Ce constat a été établi par des journalistes et des spécialistes des médias lors d'une table ronde sur le thème «La presse algérienne : état des lieux et perspectives», organisée, jeudi soir, par le Front des forces socialistes (FFS). Trois conférenciers se sont relayés pour dresser un état des lieux d'une presse algérienne en deçà des espérances. Ammar Belhimer, journaliste et docteur en droit, Mohamed Iouanoughen, rédacteur en chef du quotidien Wakt El Djazaïr et Ali Djerri, ancien directeur de publication du journal El Khabar, ont puisé dans leur expérience du métier pour expliquer la situation actuelle de la presse algérienne et les rapports qu'elle entretient avec le pouvoir. Sans concession aucune, les trois conférenciers ont cloué au pilori le pouvoir en place, désigné comme premier responsable de la régression de la presse nationale. Ainsi, Ammar Belhimer a souligné d'emblée l'ampleur de l'influence du politique sur les médias en Algérie. Une influence allant parfois jusqu'à la désignation du directeur de publication. «On ne peut pas dissocier l'ordre politique de l'ordre médiatique. La situation de la presse est le reflet de l'impasse politique dans laquelle se trouve le pays actuellement. La presse est prise en tenaille entre deux facteurs : politique et économique. Il y a d'un côté la cooptation discrétionnaire et de l'autre les groupes d'intérêt», a affirmé A. Belhimer. Afin d'illustrer cette dégradation, Ammar Belhimer s'appuie sur les résultats de la première étude d'évaluation de la presse algérienne réalisée par des experts et intitulée «Baromètre africain des médias (2009)». A l'issue de cette étude, les spécialistes ont attribué des notes catastrophiques, ne dépassant pas 2,5/5, à la presse algérienne. La notation portait sur plusieurs critères, dont l'étique et la déontologie, l'exactitude de l'information, l'impartialité dans le traitement de l'information, la formation des journalistes et l'autocensure et le syndicalisme. Selon lui, à cause d'une formation professionnelle «généralement insuffisante», les normes techniques ne sont pas toujours respectées et le traitement des événements est largement superficiel. Dans certains cas, enchaîne-t-il, les journaux se contentent de l'information qui leur est fournie sans mener leur propre enquête. Mais le plus grave est la généralisation de l'autocensure. Selon l'étude, la pratique est présente à tous les échelons d'une rédaction. Cette situation risque d'être aggravée par le dernier amendement du code pénal qui expose le journaliste à la sanction. «A côté de l'autocensure, ajoute-t-il, les propriétaires des médias empiètent sur l'indépendance des journalistes.» Ce faisant, Ammar Belhimedr appelle à la mise en place d'organes de régulation de la scène médiatique nationale. Qui a le droit d'éditer un journal ? Il préconise, dans ce sens, la restauration des deux autorités de régulation – le Conseil supérieur de l'information et le Conseil supérieur de l'audiovisuel – créées dans le cadre de la loi 90-07 portant code de l'information et dissoutes en 1992. De son côté, Mohamed Iouanoughen a axé son intervention sur un autre grave problème qui tire la presse algérienne vers le bas. Il s'agit du piège du récépissé d'enregistrement de demande de création de journaux. Ce document qui devrait être un droit, selon lui, à tous les journalistes jouissant de tous leurs droits civiques et politiques, devient un outil de pression entre les mains des services et du pouvoir sur les professionnels des médias. «Cette situation a engendré de faux journalistes et des trabendistes de la presse. Il y a des gens qui n'ont rien à voir avec la presse qui créent des journaux sans aucun respect de la loi», précise Mohamed Iouanoughen. Dans ce sens, il plaide pour la mise en place des textes législatifs garantissant la liberté d'éditer afin de mettre un terme à l'abus d'autorités dont usent et abusent des forces occultes au pouvoir. Dans le même sens, Ali Djerri met l'accent sur la profusion de titres de presse ayant la même ligne éditoriale et le même rédacteur en chef (DRS). Ces titres, ajoute-t-il, vivent sous perfusion grâce à la manne publicitaire de l'ANEP. Cela influe négativement, déplore-t-il, sur la qualité de la presse nationale, dans la mesure où la majorité des titres ne font même pas d'effort pour améliorer la qualité de leur information. Ali Djerri plaide, lui aussi, pour la création d'instances régulant le secteur. Poursuivant, il affirme que le pouvoir «n'accepte pas que la presse soit un contre-pouvoir».