Réfléchir sur la médiatisation de la répression des mouvements de protestation en Syrie, c'est aussi se demander pourquoi la rhétorique des droits de l'homme subsume toute analyse politique de la situation en Syrie. Les regrettables pertes dues aux dérives répressives du régime syrien ne doivent pas cacher les réels antagonismes de classes, les fractions partisanes, les différents courants idéologiques et religieux, sans oublier la place prépondérante qu'occupe la Syrie sur l'échiquier géopolitique du Moyen-Orient. Le régime syrien, qui balise sa politique intérieure d'une façade laïque et unificatrice, révèle à quel point elle s'appuie sur l'inconsciente fragmentation de la société lorsqu'il est poussé dans ses retranchements par des mouvements de protestation qui n'ont pas eu leur pareil en Syrie depuis 1982. La communauté alaouite et les différentes bourgeoisies communautaires clientélistes du pouvoir ressortent avec plus de prégnance dans ces moments de crise. La chercheuse d'origine syrienne Bassma Kodmani expliquait au New York Times avec justesse que «si l'opposition démocratique en Syrie veut réussir, elle doit d'abord convaincre les Alaouites qu'ils peuvent se retourner contre le régime de Bachar Al Assad sans crainte». La communauté alaouite, pierre angulaire du régime syrien Elle est la clé du régime et son changement ne se fera certainement pas sans que cette frange de la population soit convaincue qu'il leur sera bénéfique. Le parti Baas et les institutions politiques qui régissent les hautes sphères décisionnelles en Syrie n'expliquent pas la longévité du régime. La cohésion de la communauté alaouite dans l'exercice du pouvoir rappelle un certain type de régime, où la minorité gouverne une majorité (sunnite) tout en accordant des droits à toutes les minorités. La Garde républicaine, les unités armées dirigées par Maher Al Assad, frère du président, les différents services de renseignement militaire sont tous régentés par des Alaouites fidèles au régime. La communauté alaouite est ainsi prise en étau et instrumentalisée dans la lutte du régime pour sa survie. Et le régime sait très bien allouer ses ressources de manière efficiente entre communautés ethniques et religieuses. Rappelons que la Syrie compte des druzes, des ismaélites, des chrétiens de différentes églises, des Alaouites, des Kurdes, des tcherkesses, réfugiés palestiniens, etc. Selon différents analystes politiques et militants de l'opposition, la communauté alaouite ne doit pas se laisser enfermer par la manipulation communautaire du régime et doit s'exprimer pour constituer une force motrice du changement. La répression continue… la révolte aussi Chars, véhicules blindés, artillerie, navires de guerre ont fait leur entrée dans le nord-ouest de la Syrie le week-end dernier. La répression du début de semaine a davantage rapproché le pays d'un climat de guerre civile. Après des manifestations qui ont rassemblé plus de 10 000 personnes pour demander le départ de Bachar Al Assad à Lattaquié vendredi dernier, la répression s'est abattue brutalement dès le lendemain sur la ville côtière du nord-ouest de la Syrie, à 370 km de Damas. A Lattaquié, qui demeure un bastion alaouite, plus de 40 personnes ont été tuées, selon des organisations des droits de l'homme depuis samedi, début de l'offensive militaire. Lundi, les forces armées ont tiré sur des habitants qui tentaient de fuir les violences de Lattaquié et de Homs, faisant plusieurs blessés et au moins deux morts. Sur le plan international, les différentes dénonciations et sanctions visant l'impunité avec laquelle le régime syrien mate l'opposition laissent le pouvoir insensible aux exhortations et à l'isolement diplomatique. Lundi et mardi, des soldats ont pénétré dans différents quartiers du camp de réfugiés palestiniens d'Al Ramel où des enregistrements vidéo montrent de la fumée s'élevant au-dessus des habitations sur fond de tirs nourris. Les réfugiés palestiniens, présents en Syrie depuis 1948, sont une communauté de plus qui constitue l'armature sociologique du pays. Les réfugiés palestiniens dans la révolution syrienne Les réfugiés palestiniens vivant en Syrie constituent une dimension oubliée depuis le début du mouvement de la révolte en Syrie, le 15 mars 2011. Un événement peu médiatisé, passé sous silence dans sa perception syrienne, cristallise néanmoins toute l'ambivalence des différentes positions adoptées par les réfugiés palestiniens. Le 5 juin 2011, des centaines de réfugiés palestiniens vivant en Syrie se rendent au Golan pour commémorer la défaite des pays arabes face à Israël en juin 1967. Les tirs israéliens avaient fait plus 23 morts et 350 blessés, selon le ministre syrien de la Santé. Abo Zeed, un militant palestinien présent lors des événement, dénonce le rôle pro-actif des autorités syriennes : «Pourquoi les Syriens, en pleine protestation contre le régime, ont poussé les Palestiniens à la boucherie alors que la ligne de cessez-le-feu est restée calme depuis 40 ans ? Nous avons bassement été utilisés par le régime syrien pour détourner l'attention de la répression opérée contre son propre peuple. Ils nous ont tout simplement menés à la mort.» Le matin de ce massacre, cinq cars affrétés par le Baas, avec des portraits de Bachar Al Assaf et de jeunes Syriens qui scandaient «Vive Bachar Al Assad» devaient mener des Palestiniens du camp de Yarmouk au Golan, au niveau du village de Majdal Shams en territoire occupé. Le lendemain, les cortèges funéraires qui ont eu lieu au camp de Yarmouk ont dégénéré en tirs nourris jusqu'au lendemain matin, alors que des milliers de manifestants s'en prenaient violemment au bâtiment officiel du Front populaire de libération de la Palestine – commandement général (FPLP-CG) d'Ahmed Djibrill, fraction dépourvue du soutien des réfugiés palestiniens et proche du pouvoir syrien. C'est alors que la police syrienne, aidée de supplétifs du FPLP-CG, a ouvert le feu contre les manifestants faisant, selon des Organisations des droits de l'homme, 14 morts. Cet événement montre à quel point les Palestiniens ont été utilisés pour fabriquer des «martyrs du Golan». Alors que des voix s'élèvent pour dire que la révolution des Syriens n'est pas celle des Palestiniens, y compris au sein des réfugiés où cette opinion de non-ingérence est majoritaire, d'après l'Agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA, 10 000 réfugiés ont fuit le camp d'El Ramel sous les tirs des forces de sécurité syriennes. Abo Ziad, habitant du camp palestinien de Yarmouk dans la banlieue damascène, explique que «les Palestiniens n'ont pas envie de s'engager. C'est loin de nous et délicat à la fois, même si à la marge des gens prennent le parti de s'engager en pensant qu'un changement de régime serait profitable à la cause palestinienne, avec en point de mire le droit au retour des réfugiés.»