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La crise financière mondiale et l'Algérie
Publié dans El Watan le 05 - 09 - 2011

Ainsi, après la Grèce, l'Irlande et le Portugal, c'est au tour de l'Italie et de l'Espagne de susciter la défiance des investisseurs, à un moment où les Etats-Unis ont risqué la cessation de paiement. Qui va pouvoir éponger leurs dettes aux montants abyssaux ?
Le Fonds européen de stabilité financière (FESF), créé en mai 2010 après le premier plan de sauvetage de la Grèce, serait à même de prêter aux pays en difficulté au meilleur taux sur les marchés, et ce, compte tenu de la garantie qu'offrent les États de la zone euro non encore sérieusement touchés par la crise financière (Allemagne, France et Angleterre). La capacité de prêt du FESF (440 milliards d'euros) suffirait-elle, le cas échéant, pour secourir l'Espagne et l'Italie ?
Rien n'est moins sûr, d'autant plus qu'augmenter cette capacité de prêt alourdirait la dette de pays encore notés AAA. Ainsi, le plan pour sauver la Grèce coûtera 15 milliards d'euros à la France d'ici à 2014, selon le Premier ministre, François Fillon. Et il n'est pas certain que l'Espagne et l'Italie, déjà mal en point, puissent participer à cette augmentation. Il est vrai que cette crise financière, sans précédent pour beaucoup d'observateurs, s'élève pour la Grèce, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne et l'Italie à quelque 3350 milliards d'euros, soit 35% du PIB de la zone euro. La capacité de prêt du FESF ne pourra donc manifestement pas assurer cette mission.
D'aucuns pensent que seule la Banque centrale européenne (BCE) pourrait être d'un secours certain en ce cas, et ce, par le recours à la monétisation la dette publique de ces pays. Or, il semble que la BCE rechigne à pareille besogne et ne se soumettra à cette pratique que de façon très prudente afin de ne pas accroître davantage l'inflation. A contrario, la Banque Centrale américaine (FED) achète massivement des bons du Trésor. En effet, le risque encouru par une inflation plus élevée, c'est le transfert des fonds des épargnants vers les débiteurs. Sans doute, à juste raison, l'Allemagne (locomotive de l'économie européenne) ne le souhaite pas. Pour reprendre la formule imagée de Monsieur Trichet, président de la BCE : «L'inflation, c'est comme le dentifrice, une fois qu'elle est sortie de son tube, impossible de la faire rentrer dedans» (Le Point.fr).
En tout état de cause, la dégradation de la note américaine par l'agence de notation Standard & Poor's signifie au moins que la situation financière est plus grave qu'il n'y paraît ; ainsi, les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales, dans un communiqué, déclarent s'engager «à prendre toutes les initiatives nécessaires de manière coordonnée pour soutenir la stabilité financière et promouvoir une croissance économique plus forte» à un moment où la tendance est à la baisse généralisée sur les différentes places financières mondiales.
Comment, dans ces conditions, éviter la course effrénée de la chute boursière qui préfigure sans doute un nouveau krach ? Sans doute que les Etats-Unis ont encore la capacité de rembourser leur dette, le dollar demeurant encore la monnaie de réserve internationale, en l'absence d'alternative crédible à court terme. La planche à billets a donc encore de beaux jours devant elle.
Face à cette situation de crise financière aiguë, les conséquences sur l'économie réelle pourraient être désastreuses ; ainsi, les détenteurs de grands capitaux seront réticents à investir. Or, avec la baisse des investissements -et donc des embauches-, les économies européenne et américaine seront dans la récession.
Déjà, les banques, encombrées par les titres de créance américaine (752 milliards de dollars), sont exposées à une chute boursière ; ce qui pourrait les contraindre à limiter le crédit à l'économie (il semblerait même que certains établissements bancaires soient réticents à se prêter entre eux). Et la baisse de confiance dans le dollar a déjà fait chuter sa valeur face aux autres devises, notamment l'euro et le yen. La politique de la rigueur pointe à l'horizon, les Etats étant devenus impuissants à juguler cette crise. Sans doute que seule la Banque centrale européenne serait à même de disposer de quelques ressources pour la combattre (elle a d'ores et déjà fait savoir qu'elle allait racheter de la dette italienne et de celle espagnole sans ramener pour autant la confiance des marchés). Ce système de spéculation bénéficie, à coup sûr, à la classe des riches s'alliant aux divers gouvernements, qui, par une législation fiscale et sociale des plus avantageuses, les favorisent. Ainsi en est-il en France où d'aucuns observent une domination de la finance sur la politique.
La France, paradis fiscal ?
Au départ, le bouclier fiscal. Les bénéficiaires dudit bouclier seraient au nombre de 979. Ils se sont vu restituer quelque 368 millions d'euros (Liliane Bettencourt, troisième fortune avec 17 milliards d'euros, aurait eu 30 millions d'euros) ; 47% des contribuables bénéficiant du bouclier, tous assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), se partagent 580 millions d'euros (75 780 euros en moyenne), soit 120 fois la moyenne de ce qui est rendu aux non assujettis à l'ISF. A cela, il faut ajouter que les trois quarts des successions ne sont pas imposables ; il est en effet permis à chaque parent de donner, tous les six ans, à chaque enfant jusqu'à 150 000 euros. Par ailleurs, d'aucuns observateurs ont pu constater que les multinationales du CAC 40 (principal indice boursier de la place de Paris) ne sont imposées qu'à 8%, alors que le taux moyen pour les entreprises françaises atteint 18% et 30% pour celles de moins de 9 salariés.
A cela doivent être ajoutés également les rémunérations des grands patrons et les bonus des traders ; ainsi, le président du conseil d'administration de BNP Paribas aurait touché, en 2008, 700 000 euros de rémunération annuelle et 836 450 euros correspondant à la valorisation de stock-options. Il semblerait ainsi que les personnes ayant de très hauts revenus (1% de la population française) «perçoivent 5,5% des revenus d'activité, 32% des revenus du patrimoine et 48% des revenus exceptionnels déclarés (plus-values, levées d'options)». Or, quand on sait que même les indemnités versées aux victimes d'accidents du travail sont depuis 2009 considérées comme un revenu, et donc imposables, on ne peut que conclure que «les plus riches sont donc exemptés de l'effort de solidarité envers les plus démunis».
Toujours est-il que le bouclier fiscal, la multiplication des niches fiscales (27% des recettes nettes de l'Etat, soit 73 milliards d'euros), la défiscalisation des droits de succession et les paradis fiscaux constituent autant de moyens aux mains des plus riches de la planète permettant l'accumulation de plus d'argent et de patrimoine.
Pour l'essentiel, les paradis fiscaux sont situés à Anguilla, la Barbade, Monserrat, Sainte-Lucie, Saint Vincent dans les Antilles ; les Iles Cook, Nauru, Niue, Samoa en Océanie ; mais également à Monaco, à Andorre, en Suisse, en Belgique, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Irlande, à Jersey… Les grandes banques européennes, y ont leurs filiales. Le poids économique et financier de ces banques ? A titre d'exemples, les deux principales banques suisses – BS et le Crédit suisse – représentent dix fois le PIB de la Suisse ; en France «le stock des actifs de BNP Paribas était en 2008, de 2075 milliards d'euros alors que la dette publique se montait à 1428 milliards d'euros», le déficit public ayant été multiplié par trois entre septembre 2008 et décembre 2009 passant ainsi de 52 à 145 milliards d'euros.
De même, il semblerait que «les actifs français gérés par des banques françaises dans les paradis fiscaux atteignent, selon les estimations, près de 500 milliards d'euros en 2008. Ce qui créerait un manque à gagner dans les recettes de l'Etat de l'ordre de 20 milliards d'euros» (Cf. «Le Président des riches», de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot pour qui «La force de l'oligarchie est énorme, elle contrôle l'économie, la finance et les médias. Ses représentants sont au cœur du pouvoir politique»).
Et la Chine, «dictature» à économie de marché ?
Peut-on dire que la Chine, la plus peuplée des «dictatures» à parti unique (1,3 milliard d'habitants) soit devenue la plus puissante économie de marché ? Ayant quelque peu éclipsé le Japon, aujourd'hui englué dans ses méandres nucléaires, suite au tsunami, elle contrôle une bonne partie de l'Asie, et, dans une moindre mesure, l'Afrique qu'elle tente de mettre sous son aile sous le label du partenariat. Il est vrai que la Chine manifeste une santé économique qui nargue celle des pays industrialisés : trente-trois ans successifs sans récession, une croissance du produit intérieur brut (PIB) à 10% l'an depuis vingt ans, des réserves de change dépassant les 4500 milliards de dollars (soit 3165 milliards d'euros)… D'aucuns pensent que cette situation s'explique par l'importante sous-évaluation du yuan qu'impose la Chine à ses partenaires et concurrents ; la Chine maintient le yuan à 0,15 dollar et à 0,11 euro, alors que, selon le Fonds monétaire international (FMI) il devrait valoir 0,25 dollar et 0,21 euro !
En 2001, les pays occidentaux ont admis la Chine à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec son contrôle des changes ; il en a résulté à la fois une désindustrialisation significative des pays occidentaux et une industrialisation conséquente de la Chine. La main-d'œuvre en Chine étant peu chère, les entreprises occidentales y concentrent leurs investissements productifs renforçant ainsi ses parts du marché mondial. Or, il est de notoriété publique que le processus de croissance s'est ralenti dans les pays occidentaux ; de même, leur commerce extérieur est devenu déficitaire et l'investissement des entreprises y est limité.
Dans ces conditions, force est de craindre que les économies occidentales soient exposées à subir une récession appelée à se prolonger. Et comment pourrait-il en être autrement dès lors qu'à partir de 2007 survient, tant aux Etats-Unis qu'en Europe occidentale, une triple crise immobilière, bancaire et boursière. Après avoir rétabli la confiance dans le secteur bancaire fin 2008, ces pays n'ont pu obtenir de la Chine la réévaluation du yuan tant souhaitée pour leur permettre de redresser leur commerce extérieur et leur PIB. Désormais, leur croissance n'est plus seulement sanctionnée par le commerce extérieur et l'investissement des entreprises mais également par l'investissement immobilier (le chômage y est élevé : 10% en France et 20% en Espagne).
Et le pire arriva. La forte relance budgétaire a entraîné la crise de leurs finances publiques. Ainsi, après la Grèce, le Portugal, l'Irlande, l'Espagne et l'Italie, d'aucuns pensent même que la Belgique, l'Autriche, la France, voire le Japon et le Royaume-Uni (ainsi que les Etats-Unis) sont configurés pour subir le même sort eu égard à l'état inquiétant de leurs finances publiques et la croissance fort modeste de leur PIB. C'est sans doute ce qui pousse les agences de notation à pousser un cri d'alarme quant à la remboursabilité de la dette publique de ces pays. C'est dans ce contexte que la Chine a bénéficié de sa stratégie amorcée en 1989, déstabilisant les pays industrialisés aux plans non seulement économique et social, mais également financier et monétaire, voire technologique…
Dans cette perspective, «Pour que la crise de 2007 ne devienne pas une nouvelle crise de 1929, il faut maintenant renverser le jeu. Il faut se mobiliser pour faire céder la Chine sur sa politique du yuan. Il suffit pour cela de préparer sérieusement et collectivement des représailles douanières à son encontre. Faute d'une telle initiative, les pays occidentaux s'enfermeront rapidement dans une spirale de déclin économique et financier qui les amènera à se retrouver chacun durablement asservi à la Chine et au Parti communiste qui la dirige depuis 1949» (Le Monde du 08.08.11).
En Algérie, sommes-nous à l'abri ?
Désormais, chacun sait que nous sommes tributaires des recettes des hydrocarbures dépendant du marché, matière première non renouvelable. Et le pouvoir politique en Algérie, à travers les gouvernements successifs, continue d'ignorer l'évidente nécessité de remettre l'économie sérieusement sur les rails : agriculture en premier afin d'assurer à notre pays la sécurité alimentaire, remettre notre industrialisation à l'ordre du jour, encouragement des PME-PMI par une politique audacieuse, initier une décennie des ressources humaines par l'incitation à la recherche par l'élite algérienne – diaspora comprise…
Or, non seulement nous continuons de demeurer des rentiers ad vitam æternam et à importer massivement notre pitance quotidienne (par crainte d'une contagion de la contestation à germe révolutionnaire ?), mais nous nous comportons comme de mauvais élèves face à la crise multidimensionnelle qui frappe les Etats-Unis et l'Europe occidentale en soutenant que nous sommes en bonne santé économique, et ce, alors même qu'il n'y a aucune visibilité de la politique économique de l'Etat, encore moins soumise au débat public en vue de sérieuses réformes.
Or, quelle est l'attitude de l'Algérie dans ce contexte, à un moment où le monde s'inquiète légitimement face à la crise multidimensionnelle dont celle financière qui annonce une récession à même de ruiner l'économie mondiale ? L'Algérie annonce d'importantes réserves de change (quelque 160-170 milliards de dollars), mais également quelque 100 milliards de dollars ( ?) détenus en bons du Trésor américain. De l'avis de nombre d'experts en économie, l'Algérie aurait mieux fait d'investir ces liquidités pour développer le pays. Quoi qu'il en soit, notre ministre des Finances, Karim Djoudi, a déclaré à l'APS, le 13 août 2011, que «les placements des réserves de change de l'Algérie à l'étranger sont sécurisés» dès lors que leur capital est garanti et couvert contre les risques de change et que le gouvernement peut les retirer à tout moment. Que penser de ces déclarations face à la crise financière mondiale actuelle ?
D'aucuns pensent que : «La solution la plus souhaitable est l'utilisation à des fins de développement, de la ressource humaine – ressource bien plus importante que toutes les ressources en hydrocarbures – et la valorisation de l'entreprise concurrentielle». Il ajoute que «le vrai débat qui dépasse largement l'aspect monétaire est celui de la transformation de cette richesse virtuelle en richesse réelle et relancer la sphère réelle afin de créer des emplois créateurs de valeur ajoutée afin de diminuer les tensions sociales. Et ce, afin de réaliser la transition d'une économie de rente à une économie hors hydrocarbures dans le cadre des valeurs internationales renvoyant à l'approfondissement de la réforme globale et à une meilleure gouvernance. Sur ce point, débat essentiel et stratégique pour le devenir de l'Algérie, le ministre des Finances a été absent» (Mebtoul).
D'autres économistes algériens font l'amer constat de la situation économique de l'Algérie ; ainsi, il s'avère que «l'industrie algérienne se délite, alors même que l'industrialisation du pays était le choix stratégique fait dans les années 60. Si rien n'est entrepris dès l'année 2011, l'Algérie n'aura plus d'industrie d'ici dix ans. La situation économique sera d'autant plus dramatique que nous savons que l'Algérie n'est pas un pays agricole (faible superficie agricole, pluviométrie insuffisante…)» (Bouzidi). Conscient que l'enjeu industriel est vital pour notre pays, il pense qu'il est impératif de renouer avec notre ambition industrielle.
Citant le cas de la Tunisie et du Maroc qui occupent, pour l'un, des segments d'équipementiers pour les grands avionneurs mondiaux (Airbus, Boeing) et, pour l'autre, pour les grands constructeurs automobiles (ainsi que l'Inde qui a fait de sa ville de Bangalore le pôle d'excellence mondial de formation dans la haute technologie, notamment informatique), il estime que c'est à l'Etat de construire les conditions nécessaires pour l'accueil des investisseurs, qu'ils soient étrangers ou nationaux.
Et de préconiser une politique audacieuse d'infrastructures de transport et de télécommunications permettant de relier efficacement l'économie nationale au reste du monde ; une législation immobilière assouplie ; un système de formation solide et adapté où l'Etat donne à l'école, à l'université, à la recherche les moyens nécessaires à la formation d'une main-d'œuvre qualifiée, capable d'utiliser, voire de perfectionner les technologies les plus sophistiquées, une administration au service des entreprises (bref, «tous les ingrédients que nous n'avons pas en Algérie !»).
Nous sommes loin de ce schéma, et ce d'autant plus que notre pays serait au second rang des pays africains en termes d'effort d'armement derrière l'Afrique du Sud, consacrant en moyenne de 3% de son PIB par an aux dépenses militaires, soit environ 4,5 milliards d'euros pour 2011. Le budget militaire algérien s'accroîtrait de près de 10% par an (Le Matin DZ).
La question demeure donc de savoir comment faire un usage judicieux de nos ressources financières et ménager les ressources en hydrocarbures ? En avons-nous la volonté politique afin de nous prémunir des aléas de l'économie mondiale soumise aux desiderata des Etats-Unis et de l'Europe occidentale ? In fine, comment réformer notre système économique pour éviter qu'il ne continue de fonctionner au bénéfice de l'oligarchie financière algérienne, héritière du monopole du commerce extérieur que Mohamed Boudiaf dénonça en son temps sous le vocable de «mafia politico-financière» ?


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