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L'école algérienne forme des universitaires presque illettrés (2ème partie et fin)
Publié dans El Watan le 14 - 09 - 2011

Ils l'ont fait pendant très longtemps, se donnant le temps de bien maîtriser la langue et la science arabes. Ensuite, ils ont commencé à la traduire dans leur langue d'origine afin de diffuser leur savoir.
Or, nous étions bien partis, juste après l'indépendance, en formant des étudiants de classe mondiale, bilingues, pour nous permettre de nous développer et construire une nation moderne. La concurrence entre les filières arabophone et francophone créaient une émulation certaine et permettaient l'existence de passerelles entre les deux langues. Une nation moderne est une nation qui maîtrise la science et dont l'école est performante.
Aujourd'hui, la plupart des pays dans le monde utilisent deux langues, l'une autochtone pour les affaires administratives, et l'autre étrangère souvent utilisée dans le domaine de la science. L'exemple suprême chez nous pouvait être l'école franco-musulmane du temps de la colonisation, qui a généré des érudits de très grande classe. Une fois le pays développé, nous pouvions alors nous pencher sérieusement sur la question de la langue, en commençant d'abord par un effort de traduction et d'édition conséquents. Pour situer le débat, l'Index translationum, cumulant les ouvrages traduits depuis 1979 par l'Unesco, montre que le premier pays dans ce sens est l'Allemagne avec près de 240 000 titres, suivie de l'Espagne avec 210 000 titres, chiffre prévisible vu que c'est la langue de presque toute l'Amérique latine et enfin la France qui en traduit près de 164 000.
Une parenthèse pour rappeler que malgré l'effort de traduction qu'ils réalisent au profit de leur langue, les jeunes Allemands d'aujourd'hui, malgré tout le poids de l'histoire, parlent un parfait anglais ! Et notre secrétaire général de l'Education nationale, lui-même excellent francophone, qui insistait dans une radio dans une allocution sur le fait que le français était une langue étrangère. Algériens, abrutissez vous !
Concernant la traduction toujours, le premier pays arabe arrive en 42e position avec 4000 titres, alors qu'Israël atteint 10 000 titres et l'Iran 11 000. Si on étudie les langues les plus traduites, l'anglais est bien sûr la première langue avec plus d'un million de titres, suivie du français avec près de 190 000 titres.La langue arabe est la 16e langue la plus traduite avec 10 000 titres derrière le latin, le grec ancien et le hongrois ! Si nous nous intéressons au nombre d'ouvrages traduits en arabe, nous atteignons le chiffre de 10 339, un peu moins que le farsi (persan) et pratiquement autant que l'hébreu à comparer avec les 271 000 ouvrages traduits en allemand, suivi de l'espagnol avec 207 000 et du français (203 000).
Quant au monde de l'édition, les statistiques de l'Unesco montrent qu'en 1996, le monde arabe avait grosso modo publié 6000 titres, dont probablement, soyons larges, 3000 titres en langue arabe, à peu près autant qu'Israël ! Le premier pays au monde, la Grande-Bretagne publiait, en 1995, dans les1 000 000 ouvrages /an, la France 35 000 ouvrages /an.
En 2005, les publications de ces pays doublent et si on regroupe les autres pays anglo-saxons, souvent des puissances mondiales, on arriverait, en 2005, à 400 000 titres/an, soit 150 fois plus de titres qu'en langue arabe ! Il faudrait un siècle et demi pour que le monde arabe produise autant de livres que le monde anglo-saxon en un an ! Pour le français, rien que pour la France, la production est de
70 000 titres, ce qui donnerait pour l'espace francophone 100 000 titres. Il est donc clair que s'aliéner une langue étrangère vu le gouffre qui existe entre la langue arabe et les langues dominantes du monde (anglais, français, espagnol, allemand) relève du suicide.
Plus que jamais, le français ou tout autre langue étrangère sont un véritable «butin de guerre» pour paraphraser Kateb Yacine.
Au lieu de quoi on a opposé l'arabe au français en générant un débat aussi passionné que stérile. On a décidé d'arabiser prématurément la société et mis, comme d'habitude, la charrue avant les bœufs. C'est inhérent au mode de fonctionnement des sociétés autocratiques et idéologiques, donc dogmatiques, dont l'idée d'un débat et d'une prise de décision concertée et consensuelle est tout bonnement exclue.
Développer une langue passe par une maîtrise technique, car le monde de l'édition est un monde de professionnels qui nécessite un grand savoir-faire et non des slogans creux.Il suffit pour s'en convaincre de comparer la qualité esthétique de nos manuels scolaires avec ceux des Occidentaux. Ne parlant pas de l'aspect technique, un ami enseignant du primaire m'a confié que pratiquement chaque année les manuels scolaires étaient corrigés, car réalisés dans la précipitation.
En outre, plus un pays est développé, plus il édite de livres et plus, par ricochet, sa langue se vivifie et s'enrichit. Un pays sous-développé comme l'Algérie en est évidemment incapable. Arabiser dans l'état d'arriération qui nous caractérisait était un échec programmé. D'ailleurs, de Gaulle et Debré le savaient bien, car juste avant l'indépendance, ils avaient décidé d'arabiser l'école en Algérie. En réalité, il suffisait d'être pragmatique, en se concentrant d'abord sur l'essentiel, c'est-à-dire développer d'abord notre pays, pour ensuite penser à l'arabisation en entamant l'effort préalable et gigantesque de la traduction, aboutissant in fine à rétablir progressivement la langue arabe dans ses droits.
Le but ultime serait alors que la langue arabe rejoigne le panthéon des principales langues civilisatrices. Au lieu de quoi, on s'est empressé d'arabiser à la hussarde d'une façon approximative, sans même procéder à l'examen de l'état des lieux, ce qui a conduit à la ruine de l'école algérienne. Ne dit-on pas que l'enfer est pavé de bonnes intentions.
Le résultat est là, implacable, 90% des étudiants qui arrivent à l'université n'ont jamais lu un livre (complet) de leur vie ! Nous avons «réussi l'échec !» Or, les promoteurs de l'arabisation, que nous ne remettons évidemment pas en cause, car c'est avec l'amazigh le ferment de l'identité nationale et la langue du Livre Saint, ont simplement oublié la place absolument fondamentale que joue le livre dans le processus pédagogique.
La décision prématurée de l'arabisation entraîna la disparition tout aussi prématurée des coopérants étrangers par le souci de l'algérianisation du corps enseignant.Il s'ensuit une longue descente aux enfers, car les décideurs algériens ont toujours négligé un facteur important, le déterminisme historique.De même que pour l'industrie, on ne crée pas une université ex nihilo pour la rendre performante en quelques années. Le processus de maturation prend beaucoup plus de temps, et il faut des générations d'étudiants et d'enseignants pour arriver à construire une université de qualité avec, comme préalable, le maintien de coopérants de haut niveau comme référents afin que le corps universitaire puisse se situer.
Le livre aurait pu jouer un rôle absolument décisif en limitant les dégâts. Car, les auteurs d'un ouvrage scientifique ne sont-ils pas des autorités en la matière, le nec plus ultra dans le
domaine ? Le livre scientifique a joué et aurait pu continuer à jouer un rôle décisif pour pallier, quelque peu, les faiblesses structurelles de l'université algérienne. L'expérience nous a appris que la qualité d'un enseignant est directement proportionnelle à la quantité de livres «ingurgitée».
Aujourd'hui, les meilleurs étudiants universitaires sont ceux qui maîtrisent bien le français. Ce sont souvent des étudiants africains. Quelquefois, ils sont de culture anglo-saxonne mais en venant chez nous, ils apprennent le français en cours accélérés et ils finissent par le parler et l'écrire mieux que les Algériens, car ils sont structurés mentalement et ont cette aptitude à la lecture, inexistante chez nos enfants. Parmi les plus brillants, on citera également des Algériens issus de parents francophones, pour la plupart lettrés, ou des enfants scolarisés dans des écoles privées ou étrangères, dont on retrouve d'ailleurs une bonne part des rejetons de la nomenklatura.
Ceux-là mêmes qui préconisaient et soutenaient mordicus l'arabisation. On se retrouve avec un résultat exactement opposé aux aspirations des caciques du FLN. Les universitaires francophones plus que jamais sont aux avant-postes et l'égalité des chances entre les étudiants vole en éclats. Ceux de l'intérieur du pays sont particulièrement défavorisés. Les cacochymes pharisiens qui nous dirigent jouent avec l'avenir du pays. Par leur impéritie qu'ils tentent de dissimuler par des discours cauteleux et faussement nationalistes, ils ont dilapidé la richesse la plus précieuse de ce pays : sa jeunesse. Dans un prochain article, nous proposerons des pistes pour éventuellement sortir de l'ornière. Rendons hommage néanmoins à ces apprentis sorciers, alchimistes d'un genre nouveau, car, à leur manière, tout ce qu'ils touchent, serait-ce de l'or, se transforme en plomb !


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