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L'identité algérienne vue sous un prisme déformant
Au centre d'un débat imposé dans le prolongement du match Algérie-Egypte
Publié dans La Tribune le 05 - 01 - 2010

Le match Egypte-Algérie n'en finit plus, de prolongation en prolongation. Certains s'acharnent même à siffler une troisième mi-temps consacrée à un débat sur l'identité algérienne.
Ironie de l'Histoire, au même moment se déroule en France un débat sur l'identité française, lequel s'est transformé en une campagne anti-Islam et anti-arabe. Chez nous, c'est le match Egypte-Algérie qui est le prétexte à imposer un débat sur l'identité algérienne. Et de la même façon, le débat débouche, sous la plume de quelques journalistes algériens d'expression française, sur des attaques centrées sur la dimension arabo-islamique de l'identité algérienne et sur la langue arabe, voire sur des formulations qui frisent le racisme ou, plus exactement, l'auto-racisme.
Coïncidence ? Je ne crois pas. L'aliénation coloniale a la vie dure. Le simple rapprochement entre ces deux faits, la simultanéité et le contenu de ces deux débats devraient donner à réfléchir sur la persistance de ce phénomène d'aliénation, et son résultat : l'auto-mépris.
Il faut reconnaître qu'en France ce dévoiement du débat vers l'arabophobie et l'islamophobie a tout de suite trouvé des forces généreuses et puissantes, notamment intellectuelles, pour le dénoncer et le contrer.
Mais chez nous, tout se passe comme si, s'agissant de tout ce qui est arabe, certains s'autorisaient à dire n'importe quoi, à pratiquer le dénigrement systématique et même à ne pas éprouver le besoin de soumettre ce qu'ils disent au contrôle des faits ou de la simple logique.
Il y a des choses qu'on ne peut laisser passer. Ainsi, par exemple, cet article paru dans le Quotidien d'Oran sous le titre «l'inévitable décolonisation horizontale»(1). Je vous parlais plus haut de racisme. On peut penser que j'exagère. Pas du tout.
De la pathologie linguistique
Dans cet article, le mot Arabe est mis à dessein entre guillemets. Ainsi que le mot Maghreb. On doute, on se dit qu'on a mal vu, qu'on a mal lu, que c'est trop gros, qu'un Algérien ne peut faire ça, que les guillemets ont dû être utilisés dans une autre signification. Mais non, c'est bien du mépris. L'auteur confirme lui-même le sens qu'il donne à ce mot car il dit qu'il faut le comprendre comme, je le cite, «la désignation coloniale et occidentale (les Arabes sur la rime de ‘‘travail arabe'' ou sur le mode de l'Arabe de Camus )».
A Paris, un jour, une dame française m'avait indiqué la librairie Avicenne que je cherchais en disant c'est «une librairie arabe» pour rapidement s'excuser d'avoir employé ce qualificatif. Je lui avais dit doucement : «Je suis fier d'être Arabe». Il y a un proverbe chez nous qui dit qu'«il n'y a que l'âne qui renie ses origines». J'ai toujours trouvé ce proverbe bien dur avec l'âne. Mais continuons : l'auteur de l'article répugne même à utiliser le mot arabe pour parler de la langue parlée en Algérie. Il préférera la nommer «l'algérien» plutôt que de dire arabe parlé. Evidemment, il ne le pouvait pas car il aurait été alors en contradiction avec lui-même puisque si l'Algérie parle arabe, c'est qu'elle est quelque part arabe. C'est comme si certains perdaient toute cohérence dès qu'ils traitent de la question de l'arabe.
Nous découvrons, le monde découvre ainsi qu'il y a une langue qui s'appelle «l'algérien». Il doit également y avoir probablement le suisse, pour les Suisses francophones, le belge, le brésilien comme langue du Brésil et non le portugais, l'américain au lieu de l'anglais, etc. De cette langue, «l'algérien», il dira encore sans se soucier de la contradiction que «ce n'est pas encore une langue et ses mots sont rares, difformes». Ceci, déjà, n'est pas vrai, car l'arabe parlé est authentiquement de l'arabe, à condition de le parler réellement et non ce sabir infâme fait d'un mélange réduit de mots français et arabes à quoi certains voudraient réduire le peuple algérien pour l'enfermer dans un bégaiement permanent et l'empêcher de s'exprimer, mais nous y reviendrons. Mais en attendant, si «ce n'est pas encore une langue», comme le dit l'auteur de l'article, dans quelle langue s'exprime-t-il donc ? En français évidemment ! Nous y voilà donc. Que de contorsions pour cacher ce problème qui apparaît, d'autant qu'il le cache et qu'il n'en souffle pas un mot dans tout l'article.
Ce problème qui fait que tout ce qu'il dit, que tout ce qu'il écrit sur l'arabe, il le fait en français et que ceci peut expliquer cela. Je ne dis pas qu'il ne faut pas écrire en français.
La preuve, je le fais. Il est même très possible de défendre la langue arabe en français. Mais c'est tout autre chose que de se servir du français pour théoriser une aliénation, pour s'évertuer à cacher ce problème fondamental pour tout intellectuel, celui de son rapport avec sa langue, donc avec sa société, et donc avec son peuple.
Là est la source du malaise permanent, des incohérences dont je viens de signaler quelques-unes, des contradictions de la véritable pathologie entourant, dans certains milieux, la question du rapport avec la langue. Et puisque nous y sommes, disons-nous nos quatre vérités en tant qu'Algériens. Il y a chez nous des milieux socioculturels, et je parle en connaissance de cause puisque j'en viens, qui vivent dans un inconfort, un malaise permanent concernant la question de la langue. L'Algérien francophone a développé une véritable névrose concernant la langue arabe. Il est supposé par définition la connaître puisqu'il est, par définition, Arabe, comme on le lui rappelle, aussi bien ici qu'à l'étranger, or il ne la connaît pas. Il est supposé être bilingue, mais il est en réalité monolingue, ne pouvant écrire, penser, réfléchir qu'en français. Il parle chez lui et dans son milieu en français, il travaille en français, il pense en français, il aime même en français. Cependant, il doit aussi parfois descendre dans la rue côtoyer le peuple, l'Algérie profonde. Or parler en français dans une Algérie qui hait le colonialisme, c'est se mettre au-dessus du peuple, c'est réveiller des hostilités, c'est risquer des tensions dans les relations sociales. L'Algérien francophone va alors faire semblant de baragouiner l'arabe, introduisant ici et là des mots arabes dans son français ou arabisant des mots français, d'où ce sabir, ce bégaiement continuel. Il vit, en Algérie comme à l'étranger, dans un mensonge permanent sur son identité culturelle, non pas celle du peuple algérien, mais la sienne. La solution serait simple : se libérer, se réapproprier sa langue. C'est celle choisie par les meilleurs des Algériens francophones, notamment pendant la révolution nationale au moment où l'enthousiasme national était très fort. Techniquement, apprendre une langue ne pose aucun problème.
Le même Algérien francophone qui, pendant 10, 30 ans, n'a pas appris l'arabe, notamment littéraire, peut apprendre en quelques mois l'anglais ou le russe quand il a vécu dans ces pays. Pourquoi ? Il y a probablement une raison psychologique : il n'apprend pas l'arabe, car il est supposé le connaître. Mais surtout, il y a des raisons sociales : la langue, c'est aussi le pouvoir, et la langue française continue à donner bien des privilèges et influencer la hiérarchie sociale. La tentation est alors grande de défendre le statu quo, de combattre et même de haïr ceux qui veulent le remettre en question. La schizophrénie n'est alors pas loin, mais une schizophrénie sociale, à laquelle on apporte les ressources de l'idéologie : il déclarera alors qu'il n'est pas Arabe pour ne plus avoir à le prouver. Il érigera son sabir, ou le sabir à l'emploi avec lequel il encourage le peuple, en langue nationale, comme la véritable langue vivante, puisqu'elle est celle de la rue, de la «vie réelle» : «One, two, three, viva l'Algérie (prononcer ‘‘l'Algirrrréé'')», voilà la langue étrange, «incroyable» pour laquelle il versera une larme de tendresse et tout le programme culturel qu'il proposera au peuple. Tant pis, si la jeunesse ne pourra pas s'exprimer, il lui suffira que lui puisse le faire et exprimer des idées complexes et abstraites en… français. Et qu'importe que son français si châtié, si littéraire, ne soit pas la langue de la vie réelle en Algérie. Il théorisera alors, proclamant que le français est «un élément de notre identité culturelle», que «l'Algérie est pluriculturelle, plurilinguistique», bref, une idéologie sur mesure pour lui.
De l'aliénation
Il érigera son aliénation culturelle en acte libérateur. C'est ce que fait d'ailleurs l'auteur de l'article dont nous parlons lorsqu'il décrète que le rejet de l'Arabe est «un acte de décolonisation horizontale». Pourquoi horizontale ? Mais passons. L'anachronisme de l'affirmation est évident : c'est employer une catégorie relative à un phénomène de l'histoire contemporaine, le colonialisme, à un processus vieux de 14 siècles, celui de l'enracinement de la dimension arabo-islamique de notre identité.
C'est comme si quelqu'un niait que la France soit latine parce que les Gaulois ne l'étaient pas ou que les Francs étaient une tribu germanique. Ou que l'Angleterre est bretonne puisque les Anglo-Saxons (dont une tribu germanique les Angles a donné son nom à l'Angleterre) y sont arrivés après les Bretons entre les Ve et VIIe siècles. Y a-t-il eu durant quatorze siècles une guerre de libération nticoloniale contre «le colonialisme arabe»? Tout cela est évidemment absurde. Et pourtant, on est obligé de le relever car certains n'hésitent pas à répéter cette affirmation ridicule historiquement, comme cela a été le cas ces dernières semaines dans quelques journaux d'expression française.
Le ridicule devient dangereux lorsque l'appartenance identitaire est réduite à une appartenance ethnique, voire raciale : «Les Arabes, c'est l'Arabie saoudite, c'est la péninsule arabique et pas nous», avec l'opposition comme on a pu le lire dans certains journaux entre arabité et amazighité. On sait à quelles dérives racistes a pu conduire, là où elle a été encouragée, cette vision ethnique. Or, on sait que les Arabes s'identifient par des liens linguistiques, culturels et historiques. Il ne reste plus alors qu'à identifier les Egyptiens aux conquérants arabes, et la boucle de la haine est bouclée.
C'est ainsi que les clichés sur les Egyptiens «qui nous auraient imposé l'arabisation dans les années 60» et même «exporté l'islamisme» sont réapparus et ont été martelés dans divers écrits dans des journaux, sur des forums algériens d'expression française. Ce serait donc une énorme coïncidence que la langue arabe soit la langue nationale et officielle du Maroc, de la Tunisie, de la Libye, de la Mauritanie, des Sahraouis ? Ce seraient donc les Egyptiens qui leur auraient imposé, à eux aussi, «l'arabisation» ?
Quant à l'islamisme, c'est un phénomène mondial qui ne concerne pas que l'Algérie, et dont l'analyse est donc bien plus complexe. Il reste qu'il est inquiétant que de telles incohérences puissent trouver un écho et arriver à dresser les uns contre les autres des Algériens. L'aliénation est productrice de haine. Comme son nom l'indique, elle consiste à se regarder avec les yeux de l'autre, à lui être subordonné. La France voulait naturellement justifier le colonialisme et légitimer sa présence en disant qu'elle n'était arrivée en Algérie qu'après d'autres occupants (Romains, Byzantins, Turcs, etc.), dont les Arabes. Le colonisé aliéné va reprendre la même affirmation sans remarquer qu'elle est suspecte du fait même qu'elle vient du colonisateur. Fanon, dans Peaux noires et masques blancs, a bien décrit ce processus de l'auto-racisme, de l'auto-mépris, où le colonisé intègre les valeurs et la culture du colonisateur, où il se déteste lui-même, et où il déteste dans l'autre colonisé l'image qu'il lui retourne, et comment alors les colonisés se déchirent entre eux, comme nous l'avons fait pour le match Egypte-Algérie à la grande satisfaction de ceux qui nous dominent. Ainsi, chez nous, «l'arabisant» et le «francisant» (appellations bizarres et affreuses qui nous ont été transmises par le colonialisme) sont un couple infernal, produit par le colonialisme, où l'un ne peut pas exister sans l'autre et où chacun déteste le reflet que lui renvoie l'autre.
Le comble, c'est lorsque notre partisan de «la décolonisation horizontale», après avoir mis des guillemets au nom «Arabe», et prouvé ainsi sur lui-même la pertinence de l'analyse de Fanon sur l'aliénation, tente de détourner cette analyse en appelant à «la libération de l'aliénation à la colonisation arabe». Il va même jusqu'à pasticher le titre du livre de Fanon en le transformant en «peaux algériennes, masques ‘‘arabes''» (les guillemets sont encore de lui). Ainsi donc, après la langue qui s'appelle «l'algérien», on découvre qu'il y a aussi une «peau algérienne».
Et puis il y a l'affirmation que la langue arabe classique, littéraire, «la langue de l'école» est une «langue morte», discours ô combien de fois entendu. Morte, par rapport à quoi ? Par rapport à cette langue, «l'algérien» dont il parle. Je demande à chaque lecteur d'essayer de dire en «algérien» (au sens de sabir) ou même en arabe parlé tout ce qui vient d'être écrit ici, ou, dans n'importe quel article en langue française. C'est évidemment impossible. Le résultat est clair et le but avec : nous contraindre au silence, à ne pas pouvoir écrire, penser dans notre langue, raisonner scientifiquement, exprimer une pensée fine, nuancée, abstraite, élégante, courtoise, civilisée.
Il n'y a pas de civilisation sans langue littéraire.
Et qui a dit qu'il fallait enseigner à l'école la «langue de la maison», la «langue maternelle» ou la langue de la rue? Cela n'a existé dans aucun pays. De telles affirmations n'ont de succès que parce qu'elles sont basées sur l'ignorance de beaucoup de gens sur le processus de développement linguistique. C'est au contraire la langue de l'école, la langue littéraire qui est devenue partout la «langue de la maison», la langue maternelle grâce au développement de l'enseignement et sa généralisation. En France, ce n'est qu'au XIXe siècle et au début du XXe que ce processus s'est véritablement opéré : les lois Jules Ferry de 1881 et 1882, la création et la généralisation des Ecoles normales dans les départements français ont eu, en particulier, pour but de «normaliser» le français, d'enseigner le même français, le français littéraire partout. Le corps des instituteurs, formé par les Ecoles normales, a constitué une véritable institution (d'où son nom) pour servir, jusqu'au plus petit village, de référence à la langue française, pour diffuser la langue littéraire et unifier la langue de la nation. En Italie, c'est la langue littéraire de Rome qui est celle de l'école et le processus n'est pas achevé, avec une diglossie qui subsiste notamment avec l'Italien du Sud, etc.
Comment peut-on qualifier la langue arabe littéraire de «langue morte» alors qu'elle est celle de milliers de journaux, de centaines de radios, de dizaines, voire de centaines de chaînes de télé, de dizaines de milliers de sites Internet, que des chaînes étrangères comme France 24 et d'autres savent l'importance d'avoir une chaîne de télé en arabe, que la langue arabe est l'une des langues principales de l'ONU, que Microsoft, pour des raisons commerciales (350 millions de consommateurs arabes), sort son Windows en arabe avant le français, que Google donne la plus haute importance à son moteur de recherche en arabe et a racheté dans ce sens Maktoob, le grand moteur de recherche arabe.
L'Algérie serait-elle le seul pays où l'on puisse dire et écrire des énormités sur la langue arabe ?
Retour à la colonisation ?
En réalité, cette affirmation que la langue arabe classique est une langue morte comme toutes les autres affirmations remettant en cause notre identité, n'ont rien de nouveau. Il est faux de dire, comme on a pu le lire dans plusieurs journaux algériens francophones, que le match Algérie-Egypte a été «l'étincelle, le déclencheur de la prise de conscience de notre véritable identité et que nous ne sommes pas Arabes».
Les arguments présentés dans ce sens sont répétés, rabâchés, ressassés depuis longtemps. Le match n'a été que l'occasion de les ressortir dans une campagne médiatique et de leur chercher une justification émotionnelle. Ils n'ont aussi rien de nouveau au sens où ces arguments font partie de la panoplie de l'idéologie coloniale sur la langue arabe et la question de l'arabité de l'Algérie. Voici ce qui était écrit dans la revue française l'Ecole républicaine n°7 de mars/avril 1954 : «Les inspecteurs primaires ont présenté, en mars 1954, une motion singulièrement étroite où ils faisaient de l'arabe dialectal un patois, de l'arabe littéral une langue morte, de l'arabe moderne une langue étrangère ; ils concluaient en recommandant d'écarter l'enseignement de cette langue considérée en ce pays comme une forme oppressive d'arabisation.» La France coloniale avait décrété l'arabe littéraire langue morte pour la raison que c'était la langue qui pouvait concurrencer le français. L'arabe parlé ainsi que l'amazigh ne lui faisaient pas peur car ils ne pouvaient évidemment remplacer le français dans la vie administrative, économique, etc. C'est la raison aussi qui explique qu'aujourd'hui c'est l'arabe littéraire qui est régulièrement attaqué. Une méthode diabolique avait été utilisée par le colonialisme français pour suggérer que l'arabe classique était une langue morte : celle de permettre le concernant l'usage du dictionnaire dans les lycées d'Algérie, de la même façon que pour le latin. Ainsi s'est établi un élément de l'argumentaire linguistique colonial, à savoir que l'arabe parlé est la langue nationale de l'Algérie et qu'il est issu de l'arabe classique comme le français du latin. Après l'indépendance, la politique d'«arabisation» (encore un mot perfide puisqu'il sous-entend que nous sommes à arabiser et donc pas Arabes), n'a eu d'autre but que de rechercher un équilibre entre l'arabe et le français, une coexistence entre ces deux langues, si l'on s'en tient aux faits, et si donc on analyse cette politique à travers ces résultats et non les intentions proclamées. Le résultat a été que tout est en double chez nous, avec la dichotomie, et les conflits qui en découlent : deux élites, l'une en arabe, l'autre en français qui ne communiquent pas entre elles, deux universités, l'une en arabe, l'autre en français, deux administrations, deux presses, etc. Comment la nation peut-elle garder ainsi son équilibre mental ? Là est l'explication de cette pathologie dont nous souffrons dans la communication entre Algériens. La situation atteint parfois des sommets dans l'incohérence : le 9 novembre dernier, je l'avais noté, le ministre de l'Intérieur s'est exprimé en français à la chaîne de télévision arabe, nationale, mais, comme d'habitude, pas de traduction de son propos. De même, le ministre des Affaires étrangères, devant des ambassadeurs algériens, va parler en français, le 8 novembre, et même au Caire le 13 novembre. Toujours pas de traduction à la chaîne nationale, comme à chaque fois qu'un Algérien s'exprime en français. Mais il suffit que ce soit un étranger qui le fasse en français à la télé, aussitôt la traduction en arabe se déclenche. C'est pourtant dans les deux cas du français. On nage dans l'absurde. En revanche, à Canal Algérie, tout propos en arabe est traduit en français. Nos deux langues nationales sont brimées dans leur propre pays : l'arabe et l'amazigh. C'est plus facilement perçu pour l'amazigh que pour l'arabe. Pourtant, le statut de langue officielle et nationale de l'arabe n'est souvent que théorique. Beaucoup de hauts responsables n'en tiennent pas compte même dans leurs interventions en public. Elle aussi est victime. Dans la haute administration et la plupart des ministères, la langue de travail est le français. De même, dans la plupart des secteurs d'activité économique, notamment modernes (télécommunications, informatique, énergie) La publicité est presque toujours en français, etc. Le parcours de la jeunesse instruite en arabe, et c'est la grande majorité des jeunes, s'apparente à un parcours du combattant : dans les réunions administratives et même officielles, le français sera utilisé et le jeune se taira. Il ne pourra pas remplir la plupart des formulaires. Dans les restaurants de qualité, on lui tendra un menu en français et on lui parlera en français, et il préférera ne pas y aller. On imagine les complexes, les frustrations et donc la révolte qui peuvent en découler. Exclu, marginalisé car instruit, cultivé mais… dans la langue de son pays. Ce n'est pas ce que voulait notre révolution nationale. Qu'on examine bien et on verra que bien des tensions, bien des non-dits, bien des conflits ouverts ou masqués, bien des particularités de la vie sociale de notre pays, s'expliquent par ces tensions culturelles.
D. L.
* Sociologue
(1) K. Daoud, le Quotidien d'Oran, 17 décembre 2009


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