No passaran, avaient répliqué à l'époque déjà les conservateurs attachés à la rente. Moins d'une décennie après, le régime de Bouteflika achevait d'enterrer les acquis démocratiques et économiques en dépit de l'embellie financière, la défaite du GIA et l'aspiration des Algériens à la modernité. Les chantiers engagés par le gouvernement Hamrouche, au début des années 1990, reposaient sur deux axes : libérer l'économie nationale de l'échec du modèle centralisé et engager le pays dans un processus démocratique en accordant les libertés collectives et individuelles. La réforme constitutionnelle de 1989 avait déjà légitimé ces orientations. Le multipartisme est né, la liberté associative, syndicale, la liberté d'expression sont désormais un droit entre les mains des Algériens qui pouvaient en jouir à leur guise. Le dogme identitaire prend lui aussi un coup sérieux avec l'ouverture sur des composantes jusque-là brimées, comme la langue amazighe et la liberté de culte. Des générations d'Algériens ont milité pour arracher ces acquis. Les lendemains qui chantent, hélas, ont été très courts, noircis par le terrorisme islamiste. La spirale violente, déclenchée trois ans après Octobre 1988, avait donné un sacré coup à l'élan réformateur et offert aux conservateurs opposés à toute ouverture, le temps et l'occasion d'organiser, dans son ombre, la contre-révolution. Du socialisme à l'économie de Bazar Hamrouche fait adopter une batterie de mesures avec, au centre, la loi sur la monnaie et le crédit censée casser le monopole de l'Etat sur le commerce extérieur. Mais des effets pervers se manifestent rapidement, notamment avec le désengagement de l'Etat vis-à-vis des sociétés nationales. Résultat : plus de 800 unités de production sont dissoutes, selon le ministère de l'Emploi de l'époque, entraînant la suppression de plus 210 000 emplois, soit 5% de la population active. «C'est une transition qui dure toujours et dont le résultat est un mélange d'économie planifiée et d'économie de bazar fondée essentiellement sur l'import-import, tributaire de l'évolution des prix du pétrole», témoigne Djilali Hadjaj dans Le Monde Diplomatique du mars 2001. La perversité du pouvoir a produit aussi le drame des cadres emprisonnés à la fin des années 1990 et la criminalisation de l'acte de gestion, la démocratisation de la corruption et la fuite des cerveaux. En revanche, le taux de chômage demeure inquiétant, l'outil de production est en panne et les indicateurs macro-économiques demeurent au rouge, compte tenu de la persistance du modèle économique rentier, puisque les hydrocarbures restent la seule source de richesse. Multipartisme de façade C'est par des décisions politiques que le train des réformes économiques est dévié. C'est aussi par des décisions politiques que les libertés sont de nouveau confisquées, souvent au mépris des lois existantes. Le système du parti unique est remplacé par un multipartisme de façade. La parenthèse du pluralisme politique et la compétition démocratique se sont vite refermées. La vie politique est de nouveau régulée au seul profit des partis Etat (FLN et RND), auxquels s'ajouteront des partis islamistes récupérés par le pouvoir, à leur tête le MSP. Le ministère de l'Intérieur est chargé de mettre des bâtons dans les roues des partis de l'opposition, tout en fermant la porte aux nouveaux prétendants (pas de partis pour Ahmed Taleb Ibrahimi et Sid-Ahmed Ghozali). Seul le RND est agréé en 1997. La fraude électorale, devenue systématique, produira, entre autres, le boycott des rendez-vous électoraux d'une partie de la classe politique et l'abstention massive des Algériens. «Héritage vivace de la période d'ouverture, de la Constitution de 1989 et des lois promulguées en 1990, les syndicats autonomes sont en première ligne de la répression et des manœuvres déstabilisatrices de l'appareil sécuritaire et de ses relais», lit-on dans un rapport du Comité international de soutien aux syndicats autonomes (CISA). Ces syndicats, qui ont fait leurs preuves et démontré de grandes capacités de mobilisation, sont privés, pour la plupart, du droit à l'activité. Le ministère de l'Intérieur refuse en effet l'agrément à de nombreuses organisations syndicales, en violation de la loi. Les tribunaux contribuent à la répression du mouvement en prononçant systématiquement l'illégalité des grèves. L'UGTA, vassalisée par le pouvoir, demeure le seul interlocuteur valable pour le gouvernement, en témoigne la récente tripartite. Société civile contrôlée Idem pour le mouvement associatif. En dehors des organisations neutralisées par la carotte, des centaines d'associations peinent à décrocher l'agrément, faute d'émarger dans les structures du pouvoir. La loi 90/31 du 31 mars 1990 est considérée comme une révolution pour les militants associatifs en dépit de quelques restrictions insignifiantes, à l'époque. Cela dit, plusieurs des dispositions contenues dans cette loi ont vite été mises au placard par le ministère de l'Intérieur. En effet, seules les organisations créées dans le giron du pouvoir sont agréées, alors que des dizaines de projets associatifs sont mort-nés, n'ayant pu obtenir le sésame. Plusieurs stratagèmes sont employés pour empêcher les projets. Pour les associations à caractère national, les initiateurs n'accèdent même pas au service chargé des associations au niveau du département de l'Intérieur et, par conséquent, n'arrivent jamais à déposer leurs dossiers. Au niveau local, les porteurs de projets sont dissuadés par des enquêtes de police restrictives et des lenteurs administratives contraignantes. Quand elles sont agréées, les associations sérieuses arrivent rarement à s'imposer face aux multiples obstacles, contrairement à celles œuvrant au profit du pouvoir. Crise tous azimuts Qu'est-il advenu des réformes et qu'en pense celui qu'on qualifie de père des réformes, Mouloud Hamrouche ? «La situation est déplorable. Le peu de progrès réalisé après 1998 a été laminé et la société étouffe actuellement. Il n'y a plus d'espaces d'expression. Et nos préoccupations, en tant qu'Algériens, sont débattues sur des plateaux de télévision étrangers. Les Algériens sont malades de leurs gouvernants», a-t-il affirmé lors de l'université d'été organisée par l'UGEL. En effet, les lois fondamentales, émanant de la Constitution de 1989 et qui ont ouvert la voie à la démocratie, n'ont jamais été respectées par les décideurs. La stabilité de l'Algérie se trouve toujours menacée par des problèmes structurels aux retombées sociales désastreuses : crise de logement, crise de confiance, chômage, résurgence des structures archaïques, crise identitaire, religieuse, contre-performance de l'école, échec de la réforme de l'administration, de la justice, de l'université, persistance du terrorisme et échec de la politique de la main tendue.Aujourd'hui, le pouvoir annonce encore des réformes, mais les réformes sans liberté sont vouées à l'échec, décrète encore Mouloud Hamrouche.