Tout Etat jacobin et quelles que soient les réformes qu'il engage pour desserrer son étau sur la société, ne peut s'empêcher de mettre en place des mécanismes juridiques, financiers ou comportementaux pour contrôler la société et ses structures civiles. Le Crasc (Centre national de recherche en anthropologie sociale et culturelle) en a saisi la dimension : «La compréhension du fait associatif renvoie nécessairement à la nature du système politique mis en place et renvoie aussi au sens d'évolution des rapports qu'entretient l'Etat et ses institutions avec la société. Depuis l'indépendance et jusqu'en 1989, le processus de restructuration de la société algérienne était marqué par l'existence d'un pouvoir, centralisateur et omniprésent dans tous les secteurs d'activité de la société.» A ce titre, le Crasc estime que «les pouvoirs politiques qui se sont succédé ont été les agents principaux, sinon exclusifs, des transformations économiques et sociales au double niveau de conception et de réalisation. L'hégémonie de la puissance étatique sur les institutions, sa conception globalisante de l'ordre social, ainsi que les a priori défavorables envers le mouvement associatif, ont empêché toute tentative d'autonomisation des groupes sociaux». Il s'agit-là d'une conception paternaliste qui fait que les institutions et les agents publics imposent leur tutelle à la société et à ses structures civiles au nom de l'intérêt suprême, de la légitimité historique mais au fond, il s'agit de contrôler la société et bloquer son élan naturel d'émancipation de toute tutelle. Ainsi, l'Etat s'est toujours référé aux formes de mobilisation qu'il fondait à sa guise et de manière dirigiste (organisations de masse, unions professionnelles, etc.), pour en faire son soutien inconditionnel et un diffuseur privilégié de son idéologie sous la direction du parti unique. Les instruments de diffusion idéologique et l'arsenal juridique très contraignant (l'ordonnance n° 71/79 du 3 décembre 1971 comportait des restrictions défavorables à toute vie associative libre en Algérie) ont conduit à la constitution d'une vie associative très appauvrie. En ce sens «l'Etat, comme le note B. Dahak, est un élément constitutif de l'espace associatif, il n'intervient pas dans ce domaine, il module sa présence, il n'occupe pas l'espace, il s'en occupe !» En 1988 à la faveur de l'ouverture démocratique de nombreuses restrictions vont être levées par la loi du 4 décembre 1990. Cependant, il est à remarquer une relative libéralisation, déjà contenue dans la loi du 21/07/1997. Si sous le parti unique, cette tendance à la caporalisation du mouvement associatif répondait à la logique d'un système monolithique interdisant toute pensée opposée ou réfractaire, pourquoi cette mise au pas de la société après 1989. L'intermède démocratique Les événements d'octobre 1988 expriment, au-delà des besoins économiques, le ras-le-bol généralisé de cette chape de plomb imposée à la société étouffant ses aspirations, ses droits élémentaires et ses voix libres. L'absence d'un discours critique qu'il soit ouvertement politique ou simplement social, économique ou culturel, encourage les pouvoirs publics à imposer leur diktat à la société et à la modeler à leur convenance. Au lendemain de la déflagration du 5 octobre 1988, la scène algérienne a connu un foisonnement d'associations de toutes natures, occupant des espaces vierges et démontrant de par leur capacité de mobilisation, leurs discours, et leur activisme, l'indigence du mouvement associatif à la solde des pouvoirs publics. Le Crasc a constaté que «des espaces nouveaux sont investis : social, culturel, religieux, droit des femmes, droit de l'Homme, mouvement berbère, professionnel, environnement, etc. et toutes les catégories sociales sont interpellées. Mais cette «explosion» du fait associatif prend naissance dans un contexte de crise aiguë au niveau économique, social et politique». A la faveur de cette crise multidimensionnelle qui a failli saper les fondements de l'Etat, l'incroyable dynamique qui a marqué les années 1989 à 1991, a commencé à s'essouffler avant d'être détournée de sa vocation première. Si pour certains mouvements, il s'agissait de l'«union sacrée» pour la défense de la nation, de l'Etat et de l'ordre républicain, pour la majorité des associations, c'était une occasion pour s'inféoder au système et en devenir une clientèle docile à son service exclusif. Le Crasc soulève une question pertinente : «Peut-on considérer actuellement le mouvement associatif comme un lieu privilégié et un cadre organisé d'apprentissage de la culture démocratique où émerge progressivement une société civile, capable de s'imposer en jouant un rôle de médiateur et relais entre les attentes nombreuses et diverses de la population et les pouvoirs publics ? Obéit-il à d'autres stratégies de dépendance notamment dans le jeu politique ?» Des associations sans assises Selon les dernières statistiques, il existerait près de 85 000 associations tous secteurs et catégories socioprofessionnelles confondus. Sur ce chiffre, seules 1 500 activent au niveau local ce qui est insignifiant. Boudhane Moussa, universitaire ne cache pas son pessimisme estimant que très peu d'associations sont utiles : «Selon le ministre de l'Intérieur et des Collectivités locales, elles seraient 85 000. C'est un chiffre énorme. Malheureusement, peu d'entre elles accomplissent véritablement leur travail. Je le dis avec beaucoup de regrets», a-t-il affirmé, ajoutant qu'en Algérie, le mouvement associatif est désorganisé et manque de formation. «La loi stipule que les associations sont apolitiques. La société civile et les partis politiques sont juridiquement séparés. Pourtant, ce n'est pas le cas chez-nous. Nous devons redéfinir les concepts et rendre à César ce qui est à César. Chacun doit faire son boulot», a-t-il mentionné. Le sociologue, Omar Derras a réalisé une enquête sur le mouvement associatif algérien qui révèle que la majorité des associations algériennes (plus de 75%) ont été créées (et agréées) entre 1990 et 2004, surtout dans la période 1995-1999 (154 associations, soit 34,5%) et les années 2000-2004 (129 associations, 28,9%). Dans l'étape suivante, l'espace associatif a connu un certain refroidissement, puisque seules 30 associations ont été créées de 2005 à nos jours. M. Derras note qu'entre 1990 et 2000, 74 associations (plus de 35%) ont été constituées à Adrar et Tamanrasset, durant cette période tourmentée, contre 72 associations (moins de 25%) dans 5 wilayas du Nord (Alger, Oran, Tizi Ouzou, Boumerdès et Béjaïa). Cette tendance de structuration de l'espace associatif actif actuel, fait dire au sociologue que les «revendications et la remise en cause de l'ordre étatique (...) ne sont pas à l'ordre du jour». Pour le sociologue Nacer Djabi, les associations sont présentes dans tous les domaines d'activité, mais elles sont toujours aussi incapables de mobiliser la société, évoquant l'inexpérience des animateurs associatifs qui se sont lancés dans l'activité, au début des années 1990. Les associations ne sont pas encouragées à activer en toute liberté, ajoute le sociologue qui met en cause la nature du système politique qui les maintient sous son contrôle, en pérennisant leur dépendance vis-à-vis des aides financières accordées par l'Etat. Djabi a relevé également l'opportunisme de certains animateurs qui utilisent le mouvement associatif comme tremplin pour une promotion sociale ou pour servir des intérêts personnels. Cette réalité manifeste a complètement discrédité la dynamique associative qui en a fait un espace répulsif aux yeux des citoyens. Le professeur de l'Université d'Alger, Ahmed Adimi, estime pour sa part, que les associations se sont dévoyées en s'impliquant dans des activités politiques. Les juristes évoquent les limites des lois régissant le mouvement associatif et les libertés d'organisation, mais semblent oublier qu'il existe des partis croupions qui ne cherchent que les faveurs des pouvoirs publics alors que leur raison d'être légale est d'aspirer à prendre le pouvoir ou de s'inscrire dans l'opposition. La société algérienne est de nature difficile à structurer, et ce, pour une somme de raisons historiques et sociologiques. Cependant, c'est aussi une société laxiste et éclatée qui ne réagit pas quand des sphères autoproclamées parlent en son nom. Pour l'Adem, «la société algérienne a perdu ses repères. La cohésion sociale a été minée par tous les modes d'exclusion. Les tiraillements observés dans la société sont dus non seulement à une crise de confiance et de légitimité mais sont la conséquence d'une lutte pour le pouvoir. A titre d'exemple, la revendication identitaire exprimée avec violence dans certaines régions du pays, est portée par des enjeux partisans. La société civile a un rôle majeur d'avenir à jouer tant elle est impliquée dans la quotidienneté politique. Les associations ne doivent pas être affectées par la précarisation des fonctions politiques. Elles doivent prendre leurs distances de l'activité politique. Les associations constituent un avenir politique pour la société parce que les partis politiques sont décrédibilisés en raison de leur proximité du pouvoir et des promesses non tenues». A l'approche de la présidentielle de 2014, les associations clientélistes y compris celles activants dans le secteur sportif, attendent que «le candidat du pouvoir» se manifeste pour lui apporter leur soutien, d'ailleurs inutile puisqu'elles n'ont pas pignon sur rue. Ce soutien garanti n'a qu'un seul but : se positionner dans la perspective d'être récompensé une fois le candidat tant convoité est «élu» par d'autres méthodes et d'autres voix. A. G.