– Malgré le recours aux moyens de paiement (crédoc) et aux instruments monétaires, les importations de l'Algérie ne cessent d'augmenter. Qu'est-ce ce qui serait susceptible d'expliquer, selon vous, cette hausse continue ? Outre la non-application de la loi régissant la concurrence, cette hausse s'explique par un très fort accroissement de la demande globale alors que l'offre nationale – faute de diversification du système productif – n'a pas été capable d'y répondre. Cette explosion de la demande est due à la dépense publique liée aux programmes d'équipement, au relèvement des salaires et des revenus fixes, à la hausse des revenus variables (due à l'inflation et à la spéculation) et à l'extension du champ des subventions. D'ailleurs, cette extension des subventions a même bénéficié, via le commerce informel, à d'autres pays, y compris des pays subsahariens. Il faut dire, cependant, que cette politique de renforcement des subventions n'a pas été propre à l'Algérie, mais a caractérisé la plupart des pays arabes, en 2011. – Pourrait-on considérer que c'est un échec des politiques de développement initiées à ce jour ? La politique de développement est une notion large et complexe qui n'a rien à voir avec l'introduction – probablement conjoncturelle – de l'obligation d'utiliser le crédoc. Cette obligation a été le remède inapproprié à ce qui était considéré comme un mal absolu : l'envolée de la facture des importations de marchandises. Par contre, il a gêné certains importateurs (y compris des entreprises publiques), a renchéri le coût des importations et a fait un cadeau aux exportateurs en les faisant ainsi bénéficier de l'assurance d'être payés, d'une sécurité juridique en matière de payement. – La dépréciation du dinar aux fins de freiner les importations est un sujet de polémique, ces derniers jours. Peut-on considérer qu'une dévaluation qui a été opérée ou gêne la monnaie qui est relativement stable actuellement ? En consultant les cours du dollar et de l'euro sur le marché interbancaire des changes, au 24 janvier courant, force est de constater une légère hausse du cours de ces monnaies exprimée en dinars. Il faut savoir qu'au milieu des années 1970, après le premier choc pétrolier ayant suscité une forte majoration du prix du pétrole, la parité du dollar (devenue libre, flottante, en 1973) s'est fortement dépréciée, occasionnant de sévères manques à gagner (en dinars) à Sonatrach. Car à l'époque, un taux de change fixe liait le dinar au franc français, de sorte que toute dépréciation sur le marché international des changes du dollar vis-à-vis du franc signifiait aussi dépréciation du dollar par rapport à notre monnaie. Le ministère de l'Industrie a voulu sortir de ce régime de change ; m'ayant demandé mon avis, je lui ai proposé de fixer la parité du dinar à l'aide d'un panier de devises, les plus utilisées dans nos transactions commerciales et financières internationales (dollar, franc français, yen, etc.) ; le ministère de l'Industrie a pu faire adopter, par le gouvernement sous Boumediène, ce régime de change. Depuis, un panier de devises a servi à définir la parité du dinar. L'avantage de cette technique (inaugurée par le FMI pour déterminer le cours des droits de tirage spéciaux) est d'avoir une fonction stabilisatrice puisqu'aux côtés de monnaies susceptibles de s'apprécier (sur un marché des changes instable), le panier contient d'autres monnaies qui, elles, se déprécient au même moment. Ce système de change, qui fonctionne au jour le jour, n‘exclut ni réévaluation ni dévaluation qui sont, par essence, des mesures administratives (même si elles sont fondées économiquement) ; à ce sujet, souvenons-nous de la forte dévaluation subie par le cours du dinar en 1994, à la veille du lancement d'un nouveau Programme d'ajustement structurel et du premier accord de rééchelonnement de la dette extérieure. C'est dire que dans le contexte de l'usage d'un panier de devises, il reste possible de «diriger», d'administrer le taux de change. C'est pourquoi, compte tenu de tous ces éléments et de la faible variation de la parité du dinar, ces derniers jours, il est possible que celle-ci soit une simple résultante des soubresauts du marché international des changes. – Au-delà du motif des importations, on avance l'interventionnisme de la Banque centrale en vue de la relance économique au détriment du maintien du niveau des prix. Qu'en pensez-vous ? Les interventions de la Banque d'Algérie sont à replacer dans le cadre des prérogatives que lui confère la loi monétaire (cette institution se souciant, particulièrement, de cibler l'inflation afin de la maîtriser, de la combattre) compte tenu de la surliquidité actuelle du système bancaire (spécialement des banques publiques), la Banque d'Algérie n'a nul besoin présentement d'intervenir (comme pourrait le faire la Banque centrale européenne) pour soutenir l'activité économique ; celle du secteur réel, par contre, la frilosité des banques publiques à employer ses liquidités dans l'appui à l'investissement productif (privé notamment) et l'emploi, interpelle tout un chacun. – A propos de l'inflation justement, malgré la hausse des salaires, le versement d'importants rappels et l'augmentation des prix, le taux d'inflation en glissement annuel reste relativement stable. Comment l'expliquez-vous ? Le taux d'inflation mesure l'accroissement des indices de prix à la consommation d'une période à l'autre. Ces indices sont des moyennes pondérées des prix de certains produits considérés comme significatifs pour le consommateur. La composition de ce panier de produits peut varier d'une année à l'autre ; les prix retenus dans le calcul desdits indices peuvent n'être pas suffisamment réalistes, etc. Cela dit, le taux d'inflation actuellement affiché ne correspond pas à la perception qu'a le consommateur du mouvement des prix, de la détérioration de son pouvoir d'achat. Par ailleurs, il reste trop élevé au regard du taux d'intérêt servi par les banques aux épargnants, ce qui les décourage et les incite à consommer ; le taux d'intérêt réel (taux d'intérêt créditeur moins taux d'inflation) est donc aujourd'hui négatif (phénomène combattu de l'ajustement structurel dans la période 1989-1998). – Cette dévaluation du dinar pourrait-elle accélérer l'inflation ? Toute dévaluation d'une monnaie entraîne ipso facto une augmentation des prix à l'importation. Tout simplement parce qu'il y a renchérissement, en monnaie locale, du dollar, de la livre sterling, etc. Une telle mesure peut avoir pour objectif la réduction des importations. La dévaluation comme la dépréciation d'une monnaie dont le cours serait libre provoquent ou amplifient l'inflation, cette dernière alimentant à son tour, à plus ou moins longue échéance, une nouvelle dévaluation (ou dépréciation externe). Et c'est ce cercle vicieux que beaucoup de pays (Turquie, Brésil, etc.) ont connu et combattu dans leur histoire économique contemporaine. La dévaluation pénalise certes les importations de biens et services, mais aussi tout transfert de fonds vers l'étranger. A l'inverse, elle est censée – par l'abaissement possible des prix en devises – favoriser les exportations de biens et services (quand le pays a quelque chose à exporter, a un système productif diversifié et compétitif) et d'éventuels mouvements de fonds vers le pays (comme les transferts des émigrés nationaux) ; elle n'influe, cependant pas sur le prix du pétrole qui est, pour le pays, une donnée, un paramètre auquel il est contraint de s'ajuster.