Les spécialistes de la question relèvent de nombreuses contradictions dues à la loi 98-04 et ses conditions d'application sur le terrain. La difficulté la plus importante est du ressort de la zone de protection fixée à 200 m dans le pourtour d'un monument. Est-ce une zone où il est interdit de construire ? Est-ce une zone de protection autour d'un monument classé ? Très souvent, l'amalgame est fait entre les deux, alors que légalement il s'agit-là avant tout d'une loi de protection. Les deux acceptions sont tout à fait à l'opposé l'une de l'autre, étant donné leur implication juridique sur le terrain. Il s'agit d'une loi protectrice et, de ce fait, il est nécessaire de lui donner une raison d'exister en tant que telle, avec bien sûr des règles clairement définies et à schématiser afin de les rendre lisibles pour les citoyens enclins souvent à vouloir mieux comprendre les décisions. Nous ne pouvons espérer un système solide de protection sur la base de données légales ou juridiques floues ou carrément inexistantes. La gestion du patrimoine ne doit pas être une affaire de spécialistes capables de réponses attendues, à savoir comment préserver ce patrimoine ? Comment gérer l'espace appelé «zone de protection» ? Quelles sont les règles qui leur sont imposables ? Quelle application faut-il accorder à la notion de champ de visibilité ? Quel choix conceptuel ou d'école et quelles mesures faut-il adopter pour orienter, guider ou limiter l'action en matière de préservation, de restauration, de reconstitution, de sauvetage ? Il y a, sans doute, un travail de sensibilisation et de pédagogie à envisager parallèlement, associant bien sûr la société civile quelque peu marginalisée avec la mise à l'écart du conseil de wilaya de la culture, du conseil consultatif de l'urbanisme, et la mise sous éteignoir des «Amis du patrimoine» (Ahbab el-tourath), l'association pour le développement social, économique et culturel (ADESC), JASR (Le pont). Le projet de classement de Tlemcen au patrimoine mondial est méritoire, mais il exige cependant des démarches sur la base d'un dossier complet (historique, architectural…), alors qu'à ce jour, il n'existe pas encore de dossiers techniques pour les monuments déjà classés en vertu des lois de 1967 et de 1998. La culture de la sauvegarde, de la mise en valeur est totalement absente chez les aménageurs et concepteurs, cela pour expliquer souvent les dégâts qui sont causés, même si souvent les intentions des décideurs politiques sont aujourd'hui prolixes à encourager des projets de fouilles et de restauration. A cette situation telle vécue à Tlemcen, le problème est de savoir comment soumettre le bâti et l'occupation des sols aux règles relevant de l'esprit réaliste de la loi. Quant à vouloir interdire toute construction dans un rayon de 200 m autour d'un monument classé, est tout simplement une hérésie, une absurdité dont les effets sont en contradiction avec l'esprit même de l'acte de protection, quand on sait que les monuments historiques classés arabes, espagnols ou turcs présents sont au cœur même des vieilles cités, au milieu de leurs vieux tissus. Les monuments classés, situés à l'intérieur de la médina et à sa périphérie, sont au nombre de plus d'une quinzaine à Tlemcen. Avec un rayon de 200 m autour de chacun d'eux, c'est en effet toute la ville qui est soumise à l'application des règles de protection, qu'il faut alors définir pour une lisibilité sans faille, applicables surtout à tout le monde. Or, le problème posé aujourd'hui et ce, depuis longtemps, est celui de l'absence de cahiers des charges établissant la norme en matière de d'alignement, de recul… Ces règles, même si elles ne sont pas immuables, sont pour le moins aussi nécessaires comme garde-fous, empêchant les écarts et les béances dont souffre cette gestion avec des réactions maladroites, une gestion qui appartient au monde de Kafka avec les tracasseries de la bureaucratie et souvent des écarts et des abus. L'espace pour les monuments a besoin d'une implication claire du droit. Un monument n'est soumis aux restrictions de la loi que s'il est protégé et s'il décline la priorité du classement en raison de son historicité. Il y a lieu alors de le faire rapidement et cela, en respect des règles de procédures (délai suspensif du droit de propriété en matière de travaux d'aménagement, avant le classement national ou communal), ceci pour éviter les dérives dues à une application parfois extensive à des vestiges qui ne sont ni classés ni sur le point de l'être, par défaillance. Les autres lacunes, en matière de protection, proviennent de la loi elle-même, car dans de nombreux cas, elle n'est pas précise pour désigner exactement le monument ou le vestige à protéger et son environnement immédiat, s'agissant des impacts anciens, de vestiges et de sites archéologiques. La précision est une des conditions sine qua non de validité de la loi tant que les problèmes de protection en rapport avec l'application ne sont pas maîtrisés. Or, dans de nombreux cas, les monuments classés, figurant dans la liste, sont désignés sous des formules lapidaires, manquant de précision, voire à titre d'exemple : «Mahalla-Mansourah», est-ce le site compris à l'intérieur des murailles, recelant tout un potentiel archéologique et historique, qui est classé ou seulement les vestiges visibles de l'ancienne cite mérinide, c'est-à-dire les murs d'enceinte dont les vestiges de la mosquée ? Ou, moins précis encore, «vestiges situés sur le front nord-ouest, c'est-à-dire la façade. Le même problème se pose également pour les sites d'Agadir et d'El Eubbad. Parmi les sites archéologiques les plus menacés par l'urbanisme incontrôlé à Tlemcen, méritant des mesures urgentes de protection, nous retenons les sites des anciens palais de Mansourah et d'Agadir à l'endroit dit «Bab Rouah». C'est aussi le cas de monuments ne prouvant aucune existence ni physique ni historique et qui, on ne sait par quel hasard, font partie de la nomenclature des biens immobiliers à protéger ! D'où ce besoin ressenti de refonte de la loi, de conciliation de la loi avec le terrain et, enfin, ce besoin de faire concorder la légalité avec la réalité. La volonté de sauvegarde doit cesser d'être une simple abstraction, sans approche méthodologique, ni traçabilité, ni visibilité, ni lisibilité. Cette loi est plus orientée vers la protection des vestiges, datant d'autres époques, notamment romaine, dont le périmètre est dégagé souvent à l'infini, voir Tidis, Djemila… et pour cette raison, elle pose légalement des problèmes insolubles aujourd'hui en matière de protection des vestiges arabes dans les vieilles médinas avec la charge historique des lieux, leurs compacités, leurs masures fragiles qui continuent d'exister, c'est-à-dire de vivre au cœur de la ville moderne avec leurs lots de contraintes urbaines de protection, d'hygiène, de mise en valeur, de respect et d'amélioration qualitative de l'environnement. En l'absence d'une politique urbaine définissant clairement le rapport ville-monuments historiques, la cité pâtit d'un passif lourd et des carences qui pénalisent l'urbanisme et l'image forte de cette vieille cité réputée pour ses trésors de monuments datant du Moyen-âge arabe dans le Maghreb. En ce sens, il est à voir l'état, aujourd'hui, des derniers vestiges de la vieille médina, des quartiers anciens de Sidi Abou Madyan, Sidi Al Halloui, Agadir… qui croupissent, échappant à toute direction en matière d'urbanisme. Dans l'Etat de droit, cette gestion doit tenir compte du côté humain et tout l'investissement à faire sur les plans de la communication et de la sensibilisation, en impliquant la société civile. L' association «Ahbab tourath» de Tlemcen, la seule qui dès sa création il y a vingt ans a pris à bras-le-corps la défense du patrimoine a, à cause des problèmes de compréhension ainsi que de la mauvaise volonté des décideurs à la tête de l'administration, fini par abandonner le terrain aujourd'hui totalement déserté par la société civile .