Contrairement à certaines idées reçues, la loi de finances complémentaire (LFC) 2009 n'a pas fait de mécontents uniquement dans les milieux d'affaires français, italiens ou allemands en Algérie. Paul Burkhead, l'envoyé du représentant américain au commerce (USTR), organisme lié directement à la Maison-Blanche, en a fourni la certitude en faisant clairement savoir, lundi à Alger, que les firmes nord-américaines nourrissent également de nombreux griefs à l'égard des autorités algériennes. La nouvelle disposition sur le rapatriement des bénéfices est, ressort-il, la mesure gouvernementale qui a fait le plus de mal aux businessmen étrangers. Bien qu'ayant au moins le mérite d'être claire, la mise au point que s'est permis de faire Paul Burkhead au siège de l'ambassade américaine à Alger était quelque peu inattendue. Confinées essentiellement dans le secteur des hydrocarbures, les sociétés américaines avaient pourtant donné l'impression de se réjouir presque des déboires connus par leurs concurrents européens, en particulier français, et de ne pas être affectées du tout par le chamboulement juridique provoqué par la LFC dans la sphère économique. C'est un secret de Polichinelle : dans le marché algérien, les opérateurs américains et français évoluent à couteaux tirés. Le constat demeure vrai même si leurs représentants passent leur temps à nier l'existence d'une grande rivalité entre les deux pays. Dans ce contexte, des diplomates américains, de passage à Alger en juin dernier (soit deux mois avant l'adoption de la LFC), avaient même pris un malin plaisir à déclarer à la presse que les aménagements juridiques que comptait apporter le gouvernement ne dérangeraient pas vraiment les firmes américaines. Un revirement américain inattendu Pourquoi un tel revirement de situation ? Qu'a-t-il pu bien se passer entre les mois de juin et de septembre pour que Washington change de camp et rallie le front des mécontents, animé depuis le début du mois par les firmes françaises, italiennes et allemandes ? Les points soulevés par l'envoyé du représentant américain au commerce sont-ils à appréhender pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire de simples préoccupations d'investisseurs qui demandent uniquement à être rassurés ou sont-ils à considérer comme des menaces à prendre au sérieux ? Le fait que Paul Burkhead ait limité sa conférence de presse aux seules « confusions » provoquées par la LFC 2009 corrobore fortement l'idée selon laquelle Washington cherche à peser sur le cours des événements. Cela surtout que cette intrusion intervient au moment où le gouvernement planche précisément sur la loi de finances 2010. En tout cas, ce ne sera pas la première fois que les étrangers, les Occidentaux en particulier, interviennent dans les débats internes pour défendre leurs intérêts. Quitte, pour cela, à faire dans l'ingérence. L'opinion se souvient encore de la brutalité avec laquelle le secrétaire d'Etat américain au Commerce durant l'ère Bush avait exigé de l'Algérie d'« ouvrir » le secteur des hydrocarbures. Justement, il se peut bien, affirment des experts économiques étrangers, que les officiels américains aient décidé de suivre le mécontentement suscité par la LFC pour plaider la cause de leurs firmes pétrolières, que l'on dit désireuses de se débarrasser de la taxe sur les superprofits qui leur est imposée depuis 2006 et négocier au rabais d'autres avantages qui ne sont pas spécialement en rapport direct avec le commerce. Le gouvernement isolé Le gouvernement, qui a subi les feux nourris des opérateurs économiques nationaux durant tout le mois de septembre, devrait, après la sortie de Paul Burkhead, s'attendre à subir d'autres coups de bélier de la part de ses partenaires économiques. Le coup de semonce des Etats-Unis intervient d'ailleurs au moment où des élus français s'apprêtent à venir en Algérie pour demander au gouvernement de reconsidérer sa position. Le premier adjoint au maire de la ville de Marseille, Roland Blum, a déploré, rappelle-t-on, « un retour significatif à une politique de protectionnisme » de la part de l'Algérie. Et ce n'est que la partie visible de l'iceberg. L'Algérie, qui a toujours été considérée comme une vache à traire par l'Europe et les Etats-Unis, résistera-t-elle aux pressions occidentales ? La loi de finances pour 2010 fournira certainement la réponse que l'opinion et les opérateurs attendent. Quoi qu'il en soit, l'histoire retiendra seulement que plutôt que de s'aliéner le patronat national et de chercher à s'isoler, le gouvernement aurait gagné à associer le plus d'acteurs économiques et sociaux à ses projets. C'est connu, les batailles économiques ne se gagnent pas avec des fronts intérieurs faibles. Surtout lorsqu'on a raison. Beaucoup de pays arabes ont appris cette leçon à leurs dépens. Et en ces temps tumultueux, il n'est pas conseillé de prêter le flanc, comme le fait l'Algérie.