Alors que la somme des connaissances en médecine est en constante progression, obligeant les professionnels de la santé des autres pays à acquérir de nouvelles compétences et à utiliser les nouvelles technologies de l'information et de la communication, nous constatons ici, au contraire, que les programmes d'enseignement des différentes spécialités n'évoluent guère et demeurent cantonnés à des cours magistraux, lesquels, lorsqu'ils sont assurés, sont livrés sans aucune approche didactique à des médecins résidents peu intéressés. La qualité de la formation, de par l'insuffisance et l'inadaptation de l'enseignement dispensé et des supports pédagogiques employés, est en régression d'une année à l'autre, reléguant l'Algérie dans les classements internationaux à des positions où nous distancient des pays voisins comme le Maroc ou la Tunisie. Evidemment, la problématique de la formation médicale ne saurait se soustraire à la réalité systémique, sociopolitique et culturelle de notre pays. Il serait illusoire de penser qu'une réforme approfondie dans le domaine puisse se faire en-dehors d'une approche plus globale, qui intégrerait notre système d'enseignement universitaire et celui de la santé dans ses interactions avec les autres secteurs d'activités. Mais si le problème est complexe, il demeure inadmissible qu'aucun projet de refonte sérieux ne soit venu établir les bases d'une réviviscence salutaire en mobilisant les voies et les moyens d'une action pédagogique efficiente où ne serait plus désormais privilégiée la formation de masse aux dépens de la compétence et où les capacités d'enseignement ne seraient pas débordées par le nombre pléthorique de médecins résidents à prendre en charge. S'il est reconnu que la théorie soutient la pratique, il est regrettable que les mêmes cours éculés soient rebattus à des générations d'apprenants, qui devront plus tard — après les avoir «ingurgités» — les restituer fidèlement à l'occasion d'examens sans aucune compétence évaluative plus aptes à juger de la capacité à mémoriser que celle de comprendre, ne servant in fine qu'à valider l'année et non les savoirs. Ne serait-il pas plus judicieux d'actualiser les programmes en les rendant disponibles via un portail pédagogique cybernétique dynamique, utilisant des ressources multimédia, auquel l'apprenant aurait accès par le biais d'un code personnel remis au moment de son inscription afin de lui permettre de préparer de manière ludique ses cours magistraux. Ne serait-il pas plus avantageux de recourir systématiquement aux travaux dirigés en petits groupes avec simulation de cas et études de dossiers pratiques afin d'améliorer le raisonnement clinique, l'esprit de synthèse et développer les «réflexes d'analyse» que doit acquérir un médecin résident face à une problématique tirée du réel. Pourquoi ne pas privilégier l'accès à des références bibliographiques indicatives et une revue de la littérature accessible pour chaque question étudiée ? Ne serait-il pas plus profitable de généraliser l'élaboration didactique d'un item donné en colloque, mais aussi l'exercice à la lecture critique et à la rédaction d'articles scientifiques, tout en rendant accessible à moindre coût les outils pédagogiques nécessaires ? L'enseignement théorique des spécialités médicales ne doit plus être ce détail désuet fait de laïus abscons et «billé» dans l'indifférence à une assistance détachée, que viendra sanctionner une évaluation sommative à l'intérêt plus administratif que pédagogique, dont, par ailleurs, le caractère sanctionnant — notamment pour les spécialités chirurgicales — est un non-sens, compte tenu de la formation reçue en amont, et davantage pour les médecins résidents en tronc commun dont ce n'est pas la spécialité. Objectifs précis L'évaluation, pour être juste et fidèle à la réalité des connaissances et des compétences acquises par le médecin résident, doit être structurée et continue, reposant sur des objectifs pédagogiques précis à atteindre, correspondant à un volume horaire défini pour chacun, tant sur le plan théorique que pratique, et cela pour chaque spécialité et pour chaque année d'étude. Ces objectifs doivent être arrêtés en comité et portés de manière exhaustive sur le carnet du résident afin qu'ils puissent servir de références, de guide à la formation, d'outil fiable pour l'appréciation du degré d'acquisition des connaissances, aussi bien pour le médecin résident dans sa démarche d'apprentissage que pour le formateur dans son évaluation. Une évaluation qui ne pourra alors qu'être objective et documentée, puisque factuelle et ne dépendant plus exclusivement d'appréciations approximatives et «d'impressions personnelles». Tous les critères à évaluer (connaissances théoriques et pratiques, compétence à la consultation et aux visites, présentation de dossiers, raisonnement et attitudes cliniques, gestes chirurgicaux et techniques…), mais également ceux relevant des attitudes (sens du travail en équipe, assiduité, comportement face aux malades, orientation éthique, fiabilité et gestion du stress…), devront y être notés, précisément de manière à permettre une évaluation formative continuelle, astreignante, répétée, seule à même de juger de la progression effective du médecin résident dans l'acquisition de ses compétences. Une évaluation sommative et sanctionnelle en fin de stage n'a de pertinence que si la qualité de l'enseignement et de la prise en charge en termes d'objectifs pédagogiques atteints est à la hauteur. Ces derniers ne doivent pas se limiter à une déclaration de bonne intention paraphée en des rapports à l'onction théorique, mais prendre véritablement chair dans la réalité de l'apprentissage quotidien dans les différents services, au travers de mécanismes de formation et de procédés d'évaluation continue. Le recours à des formules de notation plus adaptées tenant compte des options de spécialité dans l'élaboration d'une moyenne entre examens théorique et pratiques doivent être discutées et confrontées aux expériences d'autres facultés à travers le monde. Il est par exemple internationalement admis aujourd'hui que l'appréciation des acquis lors de l'épreuve théorique est plus pertinente lorsqu'elle repose sur l'association Test de concordance de script (TCS)/QCM — permettant de juger à la fois le raisonnement clinique et la maîtrise des connaissances — plutôt que sur les questions ouvertes, où seule la mémorisation est appréciée. Des possibilités associant différentes méthodes d'évaluation sont possibles et doivent être mises en place dans un esprit d'exégèse et de concertation. Evidemment, cette exigence de qualité formative visant à identifier les acquis en termes d'intellection théorique et de gestes pratiques maîtrisés (en particulier pour les spécialités chirurgicales) pose un sérieux problème de compétence à la validation pour bon nombre de services où la formation pratique est insuffisante et où les médecins résidents sont livrés dans leur parcours non pas à des critères académiques, scientifiques identifiés, mais au hasard, à la recommandation, à l'affinité «personnelle» qu'ils doivent créer avec leurs formateurs pour pouvoir bénéficier au prorata de l'humeur de ces derniers de tel ou tel autre apprentissage. Parfaire la formation Il n'est plus acceptable que le médecin résident se voie constamment renvoyé à cette nouvelle panacée des formateurs démissionnaires qu'ils appellent «auto-formation». Car, c'est manifestement devenu le mot à la mode pour signifier non plus l'effort personnel et indispensable que doit fournir naturellement chaque médecin résident pour parfaire sa formation en recourant à des lectures, à des recherches, à l'étude de dossiers ou en multipliant ses heures de présence hospitalière, mais sert désormais de caution aux formateurs pour éluder leurs responsabilités et cela en livrant le médecin résident à lui-même, sans encadrement pédagogique ni assistance tutélaire. La chose est d'autant plus patente et grave lorsque ce dernier se retrouve seul, en consultation ou aux urgences, face aux malades devant assumer dans la difficulté et l'inconfort des décisions thérapeutiques qui engagent sa responsabilité et peuvent contrevenir de manière dramatique à la santé du malade. Est-il besoin d'évoquer ici les gardes nombreuses, tant en chirurgie qu'en médecine, où l'habitude fut prise de remplacer officieusement les médecins spécialistes par des médecins résidents en dernière année de formation, souvent contraints d'accepter pour ne pas disconvenir à leurs aînés, et cela dans l'illégalité la plus totale, en bafouant la déontologie et en faisant courir un risque certain aux malades. Est-il nécessaire aussi de rappeler la réalité de certaines gardes où le médecin résident doit assumer toute la charge de l'activité diagnostique et de soins, en sollicitant avis et recommandations «à distance». Ceux qui sont responsables du recul de la médecine algérienne et que l'on n'entend nulle part dénoncer la médiocrité érigée en système parce qu'ils en sont les promoteurs et les premiers bénéficiaires, ont brisé l'élan vers l'excellence et l'espoir de générations entières de médecins qui ne demandaient qu'à être formés dans les règles de l'art et qui se retrouvent hélas à se débattre entre la férule de l'incompétence et la morgue de l'oukase. Ils ont également laissé le champ libre à tant de médecins résidents serviles et opportunistes que les rouages de l'incurie et de la carence pédagogique arrangent pour ce qu'ils permettent de facilité à se hisser sans efforts ni compétences, en nageant dans les eaux troubles de la compromission. Pourtant, la formation médicale dans ses acceptions pédagogiques les plus modernes comme les plus antiques reconnaît le tutorat ou le compagnonnage (notamment pour les spécialités chirurgicales) comme élément décisif permettant à l'apprenant l'appropriation des savoirs et l'habileté au geste, tout en constituant un référent indispensable pour l'évaluation continue. Tout projet de refonte pédagogique doit le confirmer et l'imposer comme condition observable, mesurable, intégrée pleinement aux modalités d'évaluation des acquis et compétences des apprenants. Il serait par ailleurs louable d'imaginer un mécanisme par lequel le médecin résident puisse à son tour juger de la qualité de l'enseignement théorique qu'il reçoit et du compagnonnage pratique dont il bénéficie afin d'optimiser la concrétisation des objectifs pédagogiques. Pour une meilleure compréhension et une plus grande adhésion au projet de réforme, la représentation des médecins résidents au sein des comités pédagogiques de spécialité est une problématique qu'il serait urgent de considérer afin que leurs intérêts et propositions soient défendus dans le cadre d'un dialogue pérenne et responsable entre les apprenants et leurs enseignants. C'est d'ailleurs en ce sens que fut publié — bien que demeuré lettre morte — l'arrêté 358/2011 du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique enjoignant aux recteurs d'université et aux doyens des facultés de médecine à permettre une meilleure représentation des médecins résidents au sein de leurs CP. Pourtant, il n'existe pour l'heure aucune procédure administrative à même d'organiser l'élection de représentants légitimes, et seule perdure la «cooptation» au niveau de certains comités. En dépit de cela, les médecins résidents continueront à se mobiliser pour améliorer leur formation et leurs compétences, pour être représentés au sein des comités pédagogiques, pour dénoncer la médiocrité à laquelle on les soumet — que certains parmi eux cautionnent —, et pour faire de cette nouvelle génération les promoteurs de l'éthique, du savoir-faire et du «savoir-être». Les médecins résidents ont aujourd'hui une responsabilité historique pour se montrer exigeants sur la qualité de leurs revendications pédagogiques afin d'améliorer le système de santé. Ils devront se montrer à la hauteur du défi d'excellence ou alors reproduire et approfondir davantage la déliquescence qu'ils ont cru dénoncer. Leur credo est simple et tient en peu de mots : «Nous voulons être mieux formés pour mieux soigner nos malades.»