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Egypte : le succès de perdants (point de vue)

En février 2011, l'objectif était simplement d'en finir avec un régime moribond qui tentait de survivre avec un clonage à la syrienne.
Mais, Gamal Moubarak n'avait pas les mêmes liens organiques et sentimentaux avec l'établissement.
L'armée a très bien profité du soulèvement populaire contre le chef de l'Etat octogénaire et a commencé à remodeler la scène politique.
Le HCFA devait manœuvrer avec quatre forces.
Primo : une masse populaire convaincue que c'est l'armée qui a protégé la «révolution» et qui attend qu'elle fasse le grand nettoyage du pays.La confusion, entre l'armée et le conseil, est imposée au point où chaque critique du dernier sera traitée comme une insulte à l'armée, vainqueur d'octobre 1973.
Secundo : une force bien structurée formée par des islamisants, souvent diabolisés ensuite harcelés par le régime. Cette force a pris le train des évènements en marche et qui était prête à négocier un «deal» avec le HCFA.
Je dois souligner ici le rôle d'avant-garde joué par les jeunes islamisants qui se sont montrés rebelles face à leurs dirigeants en joignant les manifestants dès les premiers jours, voire les premières heures.
Tertio : une force hétéroclite, mais unifiée par le tsunami populaire, constituée par des fragments des partis qui vivaient en marge de la vie politique, se contentant des miettes laissées par les MoubaraK, et qui cherche maintenant à profiter de la situation en jouant sur les contradictions entre la barbe et la casquette, celle-ci trouvera en eux des partenaires nécessaire.
Quarto : tous les éléments liés à l'ancien régime par des intérêts colossaux, politiques et financiers, protégé par une police politique connue de sa férocité, utilisant une milice mercenaire de «baltaguias», hommes de main destinés aux sales besognes.
La démarche utilisée par le HCFA était l'éternel mot d'ordre : diviser pour régner, sans écarter les bonnes intentions de protéger l'Etat et sauver la nation.
On a fait en sorte que la situation sécuritaire soit dégradée au point de paralyser les activités commerciales et touristiques qui alimentent le budget quotidien du petit peuple, vivant au jour le jour.
L'ensemble de jeunes contestataires a été agacé par la lassitude du pouvoir à l'égard des anciens tortionnaires, il a été provoqué par la valse gouvernementale qui ressemblait à un moulin qui tourne à vide, ne donnant que du bruit assourdissant.
Résultat, des manifestations, des manifestations et encore des manifestations.
Petit à petit, c'était le ras-le-bol populaire, et des réactions épidermiques commencent à faire tache d'huile qui s'étend sur l'ensemble du territoire.Un autre élément s'est ajouté à la marmite bouillonnante.
Les dirigeants des Frères musulmans n'ont pas compris le jeu, se croyant plus malins, ils sont tombés dans le piège.
Leur succès électoral avait sur leurs dirigeants le même effet hallucinant que nous avons subi en 1991.
Avec une arrogance inouïe, ils ont multiplié leurs gaffes au point où ils ont mobilisé l'ensemble des intellectuels contre leur mouvement.
Le grincement des dents en Egypte est devenu comme le bourdonnement de l'oreille chez un hypertendu. Le HCFA suivait la situation de très près.L'ensemble du peuple, encouragé, voire manipulé par les médias bien connus chez nous, commence à manifester une certaine nostalgie au calme, même morbide, de l'ancien régime.Les acrobaties politiques de 16 mois ont enfanté le dilemme des élections du juin 2012.Un coup d'œil rapide sur la place politique égyptienne, après l'annonce officiel du résultat des élections présidentielles, montre que le grand gagnant est le HCFA.
Le deuxième gagnant est la contre-révolution qui a arraché une place remarquable de partenaire politique.
Il ne faut pas perdre de vue que cette contre-révolution est constituée par des centaines de milliers de mercenaires presque illettrés, mobilisés par les hommes d'affaires qui ont fait fortune grâce à l'ancien régime.
Les anciens «militants» du Parti national de l'ancien président servaient comme commissaires politiques de tout ce «ghachi».
C'est cela qui explique les contre-manifestations arborant le slogan : «Assfine ya raïs» (Désolé président…) Moubarak, bien sûr .
Ce monde est encadré et manipulé par des tortionnaires de la police politique, toujours en place, grâce à une certaine complicité quelque part dans le système.Elle est animée par une haine viscérale contre les manifestants et donne l'impression d'agir sous la bonne protection de qui vous savez.
Le grand perdant n'est pas le général Chafiq, bien que celui-ci ait perdu le fauteuil présidentiel.
Les grands perdants sont tous ceux qui n'avaient pas osé prendre position par un choix averti entre le choléra et la peste, selon la formule entendue jadis chez nous en 1991, et ressuscitée chez eux en 2012.
Lâcheté, mauvais calcul ou prudence exagérée, ça ne change en rien la conclusion, car la neutralité passive est toujours une myopie politique, doublée d'un astigmatisme bien avancé.Le choléra était un danger réel à un moment donné de l'histoire de l'humanité, mais il est devenu très facile à l'éradiquer, grâce au vaccin, et avant tout, à une hygiène très simple de vie.Ce n'est pas le cas avec la peste.
Le premier des grands perdant est Hamdine Sabbahi, le militant nassériste, qui a obtenu la troisième position au premier tour, incitant ainsi des millions à le suivre.
L'homme qui incarnait la gauche clairvoyante a croisé les bras au deuxième tour. Il n'avait pas la lucidité de Abou El Foutouh ni la maniabilité de Aymen Nour.Hamdine pouvait agir comme Le Pen en France, qui a préféré soutenir un candidat de gauche pour abattre son ennemie stratégique.
Si le troisième candidat égyptien avait pris position pour Moursi (la même conclusion s'applique à Amr Moussa), le président choisi aurait une majorité très confortable qui lui faciliterait la navigation dans les eaux troubles où les requins l'attendent à chaque mouvement. On aurait épargné au peuple une tension inutile, qui pouvait aller trop loin.
Le nouveau président sera moins vulnérable au chantage de la contre-révolution, qui essayerait de faire de lui un président de paille.
On ne doit pas oublier qu'une bonne majorité de chrétiens a voté pour Chafiq ainsi qu'un ensemble remarquable d'intellectuels.
Les abstenants sont donc responsables de l'écart modeste entre les deux candidats, et Chafiq serait en mesure de prétendre que c'est lui la véritable opposition.
Il me semble que Sabbahi, que j'estimais beaucoup, a perdu toute perspective d'être une partie de la future équipe présidentiel.
Donc, c'est une occasion presque manquée pour une réconciliation historique entre le courant islamique et l'ensemble des nasséristes. C'est dommage, mais restent les enseignements à tirer de ce tourbillon appelé, à tort ou à raison, le Printemps arabe.


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