J'avoue que j'étais perplexe en ce qui concerne le printemps arabe, surtout en Egypte. Mais je suis arrivé à la conclusion qu'il s'agit bel et bien d'un printemps, contrairement aux analyses des apprentis sorciers, qui attribuent tout à un complot étranger, nommé Otpor, Kansas ou Soros. Une vérité saute aux yeux. Souffrant pendant des décennies de répression, de «hogra» et d'appauvrissement, les peuples de la région sont arrivés à l'étape du ras-le-bol. Ils ont perdu toute confiance, non seulement en les pouvoirs en place, mais aussi et davantage en l'opposition tous azimuts, de gauche ou de droite, prétendue islamisante ou pseudo laïque. En ce qui concerne l'Egypte, et après une période d'hésitation, je suis arrivé à la conclusion que le Haut conseil des forces armées (HCFA) n'agissait pas en amateur dans sa gestion de l'après-révolution égyptienne. \/oilà une institution qui n'avait pas, en quatre décennies consécutives, des contraintes guerrières, encore moins, des obligations de défense nationale. Le président Sadate a décrété que la guerre d'Octobre, soit la dernière guerre, erreur stratégique sans doute, car cela a fait du raïs et de son successeur la garantie sécuritaire de l'ennemi de la nation contre toute logique d'intérêt national. L'armée égyptienne s'est débarrassée de l'armement soviétique en le «vendant» à l'Irak, et parfois au double de son prix initial. De là, nous comprenons très bien une des arrière-pensées de l'attaque de l'Iran par l'Irak, encouragé énergiquement par l'Egypte. Depuis, c'est le calme, la seule tâche de quelques militaires égyptiens, «éparpillés» sur trois zones du Sinaï était la poursuite des Africains qui tentaient de traverser les frontières vers Israël, qui se termine généralement par des exécutions sommaires. La direction militaire s'est occupée essentiellement du monopole réel du pouvoir, sécuritaire au début, politique ensuite et surtout financier à la fin. C'est pour cette raison que l'armée n'a pas suivi Moubarak dans ses projets d'imiter l'exemple de Hafedh Al Assad. Quand tout a explosé en Egypte, en février 2011, le maréchal Tantaoui et compagnie ont compris que Moubarak était fini, mais le régime devait survivre.Le tsunami égyptien a fait trembler tout le monde, à commencer par les voisins, tous les voisins, sans oublier les grandes capitales internationales, à commencer par Washington. Tous les scénarios qu'a connus le monde sont passés en revue. Il s'est avéré que le HCFA a très bien manœuvré pour contourner et prendre à son compte la révolution des jeunes Egyptiens, soutenue alors par la majorité du peuple d'Oum Eddounia ! L'armée s'est présentée comme le protecteur du peuple égyptien contre la répression de la police politique, connue pour sa férocité. Elle a ainsi forcé l'admiration du peuple et est devenue la première référence nationale. Au lieu de suivre l'exemple tunisien en commençant par l'élection au suffrage universel d'une «Assemblée constituante», le conseil a mis la charrue avant «la mule», préférant commencer par des élections législatives. Ce n'était ni une erreur ni un hasard. En l'absence d'un Napoléon, étant donné que les valeureux généraux égyptiens, Chazli, Gamassi, Riad ne sont plus de ce monde, le général Omar Soleïmane se présente comme le sauveur de la nation de l'anarchie, de l'insécurité et du chaos socio-économique. Mais ça n'a pas marché, étant donné qu'il était trop impliqué avec Moubarak, qui l'a choisi comme vice-président. Les Egyptiens, connus pour leur humour, racontent que pour choisir son vice-président, Gamal Abdel Nasser devait nommer quelqu'un de plus abruti que lui, il a donc choisi Sadate.Le nouveau «raïs» a appliqué la même règle en choisissant Hosni Moubarak Quant à Moubarak, il n'a jamais pu trouver, pendant trente-deux ans quelqu'un qui réponde au critère demandé. Le HCFA a commencé à caresser les fréros dans le sens du poil, sachant leur soif, d'une part, de pouvoir, et d'autre part, leur souci de se débarrasser de la tension permanente créée par les jeunes manifestants de la place Tahrir, devenue symbole de la révolution et lieu saint des révolutionnaires. Toujours avec leur humour ironique, les jeunes Egyptiens commentent les faits, en se référant à l'histoire d'Ali Baba et les quarante voleurs : Moubarak, le chef de la bande, est parti, il reste les trente-neuf voleurs.C'est à partir de ce moment que le contraste avec la Tunisie devient de plus en évident. Le chef d'état-major tunisien, Rachid Ammar, n'a fait que deux apparitions médiatiques, d'ailleurs très discrètes.Mais en Egypte, le conseil militaire a accaparé le devant de la scène. Certains membres du HCFA sont devenus de véritables vedettes médiatiques. D'anciens généraux à la retraite ont monopolisé les chaînes de télévision et inondé les petits écrans par une diarrhée verbale qu'ils qualifiaient d'«analyses stratégiques !» Plus grave encore, une confusion malsaine a été entretenue entre le rôle politique du conseil et la mission nationale de l'institution militaire. Aussi, chaque critique d'une démarche politique du conseil est rapidement considérée comme une insulte à l'armée, voire une trahison au pays. L'objectif était, d'une part, de faire taire toute critique, et d'autre part, de marginaliser la force populaire de la place Tahrir. Le conseil lance une campagne de dénigrement contre les jeunes, les accusant sans preuves d'être à la solde des forces étrangères qui menacent la sécurité nationale et la stabilité de l'Egypte. L'objectif était simplement de dresser le peuple contre l'avant-garde qui a tant sacrifié contre la dictature, oubliant que ce sont bien les jeunes manifestants qui ont donné sa légitimité au HCFA. Les forces qui ont profité de la révolution voulaient mettre fin à la «légitimité révolutionnaire» et au rôle politique des jeunes indomptables de la place Tahrir. L'ensemble des jeunes étaient convaincus que la démarche adoptée n'était pas appropriée. La place Tahrir est redevenue l'unique symbole de la révolution, ce qui a commencé à agacer à la fois les militaires et les fréros. Certes, les jeunes étaient animés d'une bonne volonté et d'un esprit remarquable de sacrifice, mais ils étaient pratiquement sans expérience politique et sans direction stratégique. Les dirigeants islamistes n'ont pas appris la leçon algérienne et ils ont ignoré totalement les expériences tunisienne et marocaine. Après avoir obtenu la majorité parlementaire, ils ont procédé à la formation d'une Assemblée constituante de 100 membres, en insistant pour avoir une majorité confortable. Cela a eu comme conséquence une levée de boucliers dans la classe politique, notamment chez les chrétiens, qui constituent presque 15% de la population. Ivres de leur succès, les dirigeants islamiques commencent à menacer Al Ganzouri, le chef du gouvernement, qui a été choisi par le conseil militaire. Les FM se sont précipités aveuglement vers le piège. Le HCFA, après avoir réussi à dresser le petit peuple contre les jeunes révolutionnaires, a su présenter les FM, toutes tendances confondues, comme des assoiffés de pouvoir qui manquent non seulement de la notion d'Etat, mais aussi du sens réel de la démocratie. C'est ainsi qu'un homme fort, soutenu par les ténors de l'ancien régime, militaires et civils, a tenu tête à la quasi-totalité des candidats, bien que sa candidature souffrât des tâches juridiques. C'est ainsi que le général Chafiq dispute aujourd'hui la présidence au docteur Morsi, le n°1 des FM. Certains se rappellent du dilemme éternel, de choisir entre la peste et le choléra.Mais une majorité d'Egyptiens voit en lui l'unique espoir contre l'anarchie et le K.-O. économique. Si j'étais égyptien, je voterais Chafiq, s'il évite d'être une nouvelle copie d'Ion Iliescu, adjoint intime de Nicolas Ceausescu, qui a volé la révolution roumaine en 1989 et a enterré, une deuxième fois, les victimes de Timisoara. La montée spectaculaire de Hamdine Sabbahi est une garantie remarquable que la force vive de l'Egypte ne se laissera pas faire.