La réalisation spectaculaire des Frères musulmans en Egypte était leur succès à mobiliser contre eux, au même temps, les révolutionnaires, les contre-révolutionnaires et les néo-martiens du “printemps" égyptien. L'élément décisif de l'alliance anti-régime était les dirigeants de chrétiens coptes, ayant reçu le feu vert de leur nouveau pope, l'Anpa Touadhross, qui a ordonné la démission de ses adeptes à l'Assemblé constituante, au dernier quart d'heure de sa mission. Des simples citoyens ne cachent pas leurs craintes du pouvoir illimité, dévastateur et corrupteur de l'argent qui devient un élément décisif dans la place politique. Le président Mohamed Morsi l'a signalé clairement dans son discours de jeudi en dénonçant ceux qui ont financé les émeutes de l'intérieur ou de l'extérieur. Certes, les Frères musulmans ont commis, au départ, suffisamment d'impairs, mais s'arrêter là est un mensonge par omission, car les opposants n'ont pas manqué l'occasion pour commettre des erreurs, voire même des sacrilèges. La plus importante était leurs alliances douteuses de la dernière semaine. Sachant qu'ils sont minoritaires sur la place publique, les dirigeants de l'opposition se sont alliés de fait avec les bribes du régime décadent, les aigris de l'ancien Conseil militaire et les archi-milliardaires liés à des puissances régionales connues par leur complicité avec la famille Moubarak. La question que je me suis posée en voyant les “casseurs" des manifestations anti-Morsi était sur le volume de l'infiltration de ces manifestations par les fameux groupes de “Asfine ya Raïs" (Nous le regrettons, président) financé par les hommes d'affaires de l'ancien régime, et qui étaient la force de frappe anti-révolutionnaire de la fameuse agression de la place Attahrir, connue par “la bataille des chameaux". Les manifestants anti-Morsi ont été rassemblés à cette place, qui est devenue le symbole de la révolution, pour arracher le droit d'être, eux- seuls, les porte-parole de l'Egypte nouvelle. Cette provocation préméditée a été avortée par le choix des manifestants pro-Morsi d'une autre place, dans le département de Guizèh, nommée “Le Réveil de l'Egypte", qui se trouve devant l'université du Caire. Avec l'échec de la première provocation, les troupes anti-Morsi ont reçu l'ordre de se rassembler autour du palais présidentiel à Héliopolis, (l'Œil du Soleil), une trentaine de kilomètres plus loin. Là, les pro-Morsi se sont déplacés, deux jours plus tard, pour soutenir leur président.La majorité des médias égyptiens, trop bien connus par nous depuis l'affaire du football, ont jeté l'huile sur le feu. Les chaînes El Hayat, possédés par le président du parti El Wafd, les chaînes Dream, possédées par le milliardaire Bahgat, allié de l'ancien HCFA, d'autres chaînes animées par le fameux Amr Adib, Ibrahim Aïssa et des dizaines d'autres, toutes ont tiré sur Morsi et son régime à boulets rouges. Les unes de la presse écrite privée étaient des appels flagrants à l'émeute. S'ajoutant à cet orchestre, nous trouverons des politiciens qui n'ont pas trouvé un strapontin dans le décor politique, des magistrats qui visent une présence politique et des intellectuels qui veulent façonner le monde à leur vision. Pour comprendre la nature de l'opposition égyptienne, il faut se rappeler qu'au temps de Gamal Abdel Nasser, elle a subi, et notamment son courant islamiste, la répression du régime. Elle a beaucoup moins souffert sous Sadate, mais le régime de Moubarak a agi comme si l'opposition était une garniture nécessaire pour le régime. Mise à part les islamisants, considéré comme l'accusé principal de l'assassinat du président Sadate, le reste de l'opposition faisait un complément du décor politique, bien qu'elle avait son quota d'oppression politique qui semblait être un besoin de sa tâche. Pour mieux comprendre la situation actuelle de l'Egypte, faut-il se rappeler l'histoire des chaussures japonaises? Il y a un siècle, les très jeunes filles japonaises étaient contraintes par leur mères de mettre aux pieds des chaussures métalliques qu'elles devaient garder nuit et jour, mois après mois, jusqu'à l'âge mûr. Le but était de garder les pieds des filles bien petits, étant un des signes de beauté. Mais à quel prix ? S'ajoutant à la souffrance quotidienne et aux douleurs persistantes, le résultat était, à l'adolescence, des pieds déformés, des difficultés pour marcher, et des signes d'arthrose précoce. Les pieds, œuvre bien géniale du créateur, prenaient une forme particulière qui leur fait perdre leur capacité de maintenir l'équilibre de la personne. Les contraintes, l'asservissement et la manipulation par la police politique durant plus de trois décennies du régime ont déformé l'opposition, au point où elle se trouve dans l'incapacité de marcher normalement, encore moins, de courir à la vitesse exigée par les événements. Les erreurs se multiplient J'avais admis un jour, au sujet des élections présidentielles de l'Egypte, que je peux accepter l'expression utilisée, qui les qualifie comme un choix entre le choléra et la peste. Mais le choléra qui était il y a quelques décennies, une épidémie ravageuse, ne l'est plus aujourd'hui, avec l'eau de Javel, le savon et la vaccination. Ce n'est pas le cas de la peste. À choisir entre Mohamed Morsi et Ahmed Chafik, la question ne devait pas être posée par ceux qui ont souffert le diktat du régime de Moubarak, et qui devaient savoir qu'avec Chafik ça serait le “moubarakisme" sans Moubarak. C'est l'élément que Hamdine Sabbahi, l'éminent leader du courant nassériste, n'a pas voulu comprendre, n'ayant pas la capacité d'encaisser le fait qu'il a été éliminé au premier tour des élections. La neutralité passive de la gauche au second tour a été la cause de la faible majorité de Morsi, ce qui a fait perdre à l'Egypte une bonne occasion d'une réconciliation de fait entre le courant islamique et le courant nassériste. Si Sabbahi et la gauche égyptienne d'une façon générale, avaient soutenu Morsi, une situation d'un consensus général pouvait se développer, et le leader “nassériste" pouvait aspirer même au poste du Premier ministre. Le prestigieux Amr Moussa resterait au-devant de la scène. L'ensemble de la société civile pouvait être une partie dynamique de l'Egypte nouvelle. Tout cela doit nous rappeler le retrait de nos candidats aux élections de 1999. Malheureusement, la gauche égyptienne, les nasséristes en tête, se trouve aujourd'hui l'allié obligé des anciens du régime Moubarak, à leur tête les grands chefs militaires qui ont perdu leurs postes de commandement en faveur du rajeunissement de la direction de l'institution militaire. Morsi, apercevant qu'il ne pouvait pas affronter, à la fois, les alliés du HCFA, fous de rage suite à ce qu'ils qualifient d'ingratitude du président, les ténors de l'ancien régime qui agissent comme une bête blessée, les hommes d'affaires archi-milliardaires qui craignent les comptes à rendre, les anciens de la police politique qui se rappellent la fin des tortionnaires du Chili, la gauche boîteuse mais enragée, le pléthore des activistes des droits de l'homme, les féministes qui perdent un fonds de commerce, les artistes qui ont peur des barbus, les islamophobes de bonne volonté, les coptes avec un nouveau pape qui essaierait un bras de fer avec le régime, suivant l'exemple de son prédécesseur avec le président Sadate. Ma déception de Sabbahi n'a d'égale que ma déception d' Amr Moussa et Abou El Ghar, mais aussi de Mohamed Morsi lui-même. Choisir un islamisant comme ministre de l'Information, en ignorant un ténor comme Hamdi Kandil, était une faute très coûteuse au président, qui se trouve aujourd'hui avec la majorité des journalistes et pratiquement toutes les chaînes privées de télévision sur le dos, en l'absence d'un chef d'orchestre bien rodé, et une politique de communication bien étudiée et dûment réfléchie. Par contre, on le critique pour avoir choisi un jeune Premier ministre, sans un passé politique connu ni une expérience économique reconnue, mais je pense que ça été bien réfléchi, car se débarrasser d'un “bleu" ne serait pas très coûteux. D'ailleurs, le président Bourguiba avait prouvé à maintes reprises qu'un Premier ministre pouvait être un bouc émissaire exemplaire. Jusque-là, Morsi a agi avec une sérénité remarquable, avec une volonté de fer, et surtout, avec une série de mesures qui ont renforcé son règne, notamment sur le plan militaire. La contestation actuelle qui enflamme la rue en Egypte signifie tout simplement que l'opposition est sûre de perdre le référendum sur la Constitution, confirmant que ses cris pour la démocratie ne sont qu'une hypocrisie classique. Prétendre que le peuple n'est pas mûr pour juger les articles du père des lois est désapprouvé par les faux textes distribués gratuitement partout, afin de salir la nouvelle Constitution. Le rejet des appels du président au dialogue confirme qu'El Baradei et compagnie veulent, à tout prix, arracher par une psychose de masse manipulée ce qu'ils n'ont pas pu obtenir par les urnes. Le malheur c'est que des révolutionnaires aigris, à tort ou à raison, se trouvent dans la même tranchée aux côtés des bribes de l'ancien régime. L'extérieur n'est pas étranger à ce qui se passe en Egypte, et les Israéliens se frottent les mains, en espérant le pire. Morsi aura besoin de beaucoup de courage, d'agilité, de lucidité, de patience pour réussir son pari. Il doit, surtout, ne pas confondre entêtement et fermeté, obstination et détermination. Pour le moment, c'est l'opposition qui ne fait pas la déférence. Elle essaye d'imposer sa vision en créant la confusion entre un consensus de partenaires et la dictature d'une minorité. M. A.