Un ouvrage dont la belle écriture laisse découvrir un monde en ébullition et un auteur. Au commencement est l'histoire, celle que Farid Benyoucef veut nous conter… Il s'y attelle avec sérieux et application, puis, très vite, il cède à la première tentation survenue pour nous décrire de façon si euphorique ce que furent les beaux jours, ceux vécus par ses personnages, soi-disant. Mais nous ne le croyons pas un instant, nous comprenons tout de suite que cette vie saine, foisonnante, tellement heureuse, fut celle de toute une génération, celle de la saison qui fut la sienne… Etouffé du bonheur de pouvoir enfin évoquer ses amours jamais enterrés, Farid s'égare dans leurs entrailles. Il nous donne alors l'impression, (pas du tout fâcheuse !) de vouloir nous faire visiter un grand immeuble vide de ses occupants depuis une décennie (noire), abandonné, presque en ruine, pour nous entraîner très vite, de force, vers le bas. Nous ne savons plus alors comment sortir des labyrinthes des sous-sols de cette épave échouée au cœur d'une cité en ébullition. D'autant plus grand est notre désarroi que les bas-fonds de la tour de tristesse ne s'arrêtent pas de s'étendre pour conquérir d'autres aires de désolation voisines, avec pour unique ambition de surgir au grand jour, lumineuses et provocantes, afin de narguer les effarés qui hantent encore le pays. N'ont-ils pas compris, ces rêveurs invétérés, traités de « philosophes » pour mieux leur faire sentir leur inutilité dans un monde qui compte ses sous et cache ses tares, qu'ils n'ont plus de place parmi les « affairés » ? Qu'ils aillent voir ailleurs, il est temps ! Au bout de 100 pages (pas moins !), l'auteur se fait violence et retisse la toile nécessaire pour retrouver le fil de son récit. Il s'arrange avec subtilité pour que tout ce que, jusque-là, il a dit (si bien !) de ses personnages ne soit pas gaspillé et serve d'abord l'intrigue. Il construit rapidement le socle apparent de son ambition. Il est large, épouse la totalité de l'assise destinée à le contenir, suffisamment épaisse pour ne pas faire disproportion. Le pari de l'auteur consiste à réunir dans la déchirure (un détournement d'avion) les membres d'un clan éparpillés au gré des destins, pour finir par récompenser la femme d'une mort, imméritée mais héroïque, et punir le méchant frère à survivre uniquement grâce à la « kebda » (au sens tellement propre de cet organe féminin de toutes les adorations) de sa sœur assassinée par lui. C'est terrible et cela devait s'arrêter là ! Pourtant, chassez le naturel… Farid s'arrange pour dénouer très vite cette intrigue et reprendre les évocations dont il n'est pas encore sevré. Semble-t-il… Nous sommes désormais sortis des entrailles des sous-sols. Nous nous élançons avec lui vers la conquête des cimes où il laisse son personnage principal (l'autre frère, le policier) s'abîmer, tombé du haut de deux tours jumelles frappées au clair du jour du désir de satisfaire les envolées… A la différence de l'écrit, sublime, qui les dessine en toile de fond… Farid Benyoucef. Le noir te va si mal. Roman, 167 pages. Editions Lazhari Labter, Alger, 2009.