– La saison estivale de cette année a été particulièrement dramatique pour le patrimoine forestier à travers le pays, notamment dans la région de Kabylie. D'un point de vue économique, quelles seront les retombées de ces incendies en série qui ont réduit en cendres des centaines d'hectares de forêts ? L'incendie est sans doute le facteur de dégradation ravageur de la forêt. Ces incendies sont souvent allumés volontairement (pyromanes, bergers) ou involontairement (négligence) par l'homme. Ce dernier apporte la flamme et modifie son environnement. Les retombées ne sont pas seulement économiques, mais aussi sociales et écologiques. On assiste à un déséquilibre écologique parce que la forêt est un écosystème complexe et riche, offrant des abris aux nombreuses espèces et population animales, végétales, fongiques et microbiennes. Le feu déstabilise cette population, expose le patrimoine forestier aux glissements de terrains, à l'érosion, à la désertification et aux coulées de boues. Les retombées socio-économiques sont importantes. La forêt entretenue est une caisse d'épargne dans laquelle une somme versée (arbre planté) se transforme par l'accumulation des intérêts en capital considérable pour les générations futures, objectif principal du développement durable. Les incendies répétés détruisent une source de revenu crucial aux ruraux. Des centaines de milliers d'arbres fruitiers partent en fumée. Cela constitue un manque à gagner aux propriétaires. Des quantités importantes de bois sont ravagés par les feux au lieu qu'elles soient échangées sur le marché ou injectées dans le circuit économique local, régional et national. Le paysan assiste, impuissant, à une catastrophes qui dévore ses sources de revenus (les fruits, plantes médicinales….). L'activité touristique se voit amputée de ses beaux sites naturels qui attirent les touristes qui cherchent la quiétude forestière. L'activité économique et commerciale est généralement perturbée durant ces périodes de grands incendies qui provoquent des coupures d'électricité. Les pertes directes et indirectes s'élèvent à des milliards de dinars. Les exactions de l'homme pyromane détruisent une large partie des programmes de développement rural réalisés dans le cadre des PPDRI (programmes de proximité de développement rural intégré). – Tenant compte de la cadence avec laquelle ces incendies ont dévasté plusieurs régions, ne pensez-vous pas que le patrimoine forestier est mal protégé malgré son rôle de facteur de développement rural ?
La forêt est un patrimoine sérieusement menacé, étant âgé, dégradé et incendié. Les forêts algériennes s'étendent sur une superficie de 14% du territoire national, soit 0,12 ha par habitant sur un peu plus de 4 millions d'hectares. La région nord est plus boisée avec 61,5%, les hauts-Plateaux 36,5% et 2% au sud du pays. Ce patrimoine public est menacé par les actions de déboisement, de défrichage et des incendies répétés qui anéantissent annuellement presque 40 000 ha. Ce patrimoine est aussi menacé par les maladies parasitaires ; la pression du cheptel entraîne la destruction progressive des sols. Sans omettre la désertification qui menace près de 14 millions d'hectares dans les hauts-Plateaux, soit 89% de la superficie steppique (2 millions ha). Le patrimoine forestier est très mal protégé, nous n'avons qu'à voir le sort réservé au barrage vert réalisé durant les années 1970 par les jeunes appelés du service national. Il est du devoir des pouvoirs publics d'infliger des sanctions sévères aux pyromanes et du devoir de la société civile de dénoncer ces actes dévastateurs de la richesse nationale qui compromettent l'avenir des générations futures. Les médias sont censés sensibiliser au maximum l'opinion publique sur le danger d'extermination de nos forêts. – Les incendies ont également causé des dégâts matériels importants, pour ne citer que la wilaya de Tizi Ouzou où près de 40 000 oliviers viennent de périr. Ces pertes ne risquent-elles pas de porter un coup dur à la filière oléicole déjà vulnérable et mal développée ?
Bien sûr, les populations rurales sont directement exposées aux incendies. Elles subissent les effets négatifs de ces feux de forêt. Les wilayas de Jijel, Béjaïa, Sidi Bel Abbès, Médéa, Chlef et Aïn Defla ont enregistré la destruction de plus de 30 000 ha dont 5000 ha de maquis. La wilaya de Tizi Ouzou a presque perdu la moitié de son patrimoine forestier ; pour l'année en cours, elle a perdu plus de 7000 ha dont 4 000 ha de forêts. Ces feux lui ont détruit 817 ha d'arbres fruitiers dont 500 ha d'oliveraies avec plus 40 000 oliviers. En effet, nous assisterons cette année à une baisse de la production d'huile d'olive, ce qui impliquerait une flambée des prix afin que le producteur rentabilise ses moyens productifs. Le consommateur subira comme toujours cet impact négatif imposé par ces pyromanes qui restent sans sanctions. Plusieurs programmes réalisés dans le cadre du développement rural ont été complètement anéantis par les incendies. Ces programmes ne pourront jamais donner les résultats escomptés dans cette situation de terre brûlée imposée par des hors-la-loi. En matière de développement rural, nous assistons à plusieurs effets négatifs tels que : la réduction des effets positifs des programmes de développement rural et local ; réduction ou destruction de la production agricole locale ; démobilisation des paysans entrepreneurs qui assistent impuissants à la destruction des efforts de plusieurs années de leur labeur et d'attente. – Et qu'en est-il de la prise en charge des pertes subies par les victimes de ces catastrophes ?
Premièrement, les pouvoirs publics doivent absolument assister ces paysans productifs qui offrent un produit du terroir non importé. Une assistance matérielle qui prendra en considération la réalité physique et financière de chaque circonscription administrative, à savoir les reliefs, le climat ou l'importance des dégâts. Il est nécessaire de trouver les moyens et les mécanismes de ne prendre en charge que ceux qui ont été touchés par ces catastrophes afin de barrer la route aux rentiers de situation qui peuvent être ces mêmes pyromanes. Deuxièmement, les assurances doivent rembourser les paysans qui ont assuré leur patrimoine végétal, arboricole et animal, viticole, oléicole…. La procédure de remboursement doit faciliter aux paysans de renouveler ce qui a été détruit par les exactions pyromanes dans des délais raisonnables. Nous avons une société qui bouge, un pays qui se modernise, de nouveaux acteurs de développement naissent mais nos institutions ne suivent pas, il est temps de s'adapter aux réalités du terrain afin de faire une évaluation juste qui donnera une visibilité aux décideurs. C'est dans ce cadre que les services compétents chargés de prendre en charge ces catastrophes incendiaires réussiront leurs missions de protection de ce patrimoine public.