Un titre sombre, pour un roman au réalisme désarmant. On pourrait parler d'une fresque historique de l'Algérie des années noires, car malgré la dimension fictive de cet écrit, le destin du personnage principal a pu ou aurait pu être celui de n'importe lequel d'entre nous. C'est l'histoire d'un jeune homme de quinze ans, Nazih, issu d'un milieu populaire qui, dans le contexte des années 90, va brutalement passer du monde de l'enfance à celui des adultes, monde désenchanté et douloureux. Le destin du jeune homme semble basculer en même temps que celui du pays. Destins liés, destins croisés. C'est une véritable descente aux Enfers que Mohamed Boussadi nous dépeint là. Elevé par des parents très croyants, notre héros rêve d'un monde plus juste. Ce garçon ordinaire va prendre conscience de sa condition sociale et, rendu aigri par celle-ci qu'il perçoit comme une injustice, va se réfugier dans les mosquées du quartier. Il y fait des connaissances, parmi lesquelles des exégètes qui savent parler aux frustrés et oubliés du système. C'est l'époque de la « Nadha islamia ». Cependant, Nazih refuse d'adhérer, malgré l'insistance d'un ami, à un parti politique d'obédience islamique. Le jeune homme pense vraiment réussir par donner un sens à sa vie lorsqu'il rencontre la belle Keltoum. Elle lui redonne le goût de vivre. Mais la victoire du parti islamiste aux élections va lui faire perdre tous ses idéaux et le conduire à s'enfermer dans le piège de l'extrémisme et sa spirale de violence. Le récit devient plus sombre, plus douloureux. Le pays bascule dans la violence, la mère de Nazih succombe à sa maladie. Mère-patrie, mère biologique semblent abandonner le jeune homme. En perte de repères, sous le choc, l'adolescent s'enfonce dans une dépression proche de la démence. Il vient gonfler les rangs des laissés pour compte qui plongent dans la violence pour justifier leur existence et l'attester. Comme une revanche sur ce qu'ils n'ont pas pu avoir. Frustration, jalousie, douleur, pauvreté, chômage, exclusion de la famille, amènent tout un chacun à vouloir trouver un responsable, un bouc émissaire. Ces marginaux se font alors les porteurs d'un discours extrémiste où la violence s'érige en principe. On sent véritablement la descente aux Enfers de Nazih. Et cela touche. En effet, son destin aurait pu être celui de n'importe qui. Boussadi nous contraint ici à nous identifier à son héros qui n'en est d'ailleurs pas un. Il nous permet de constater la fine frontière qui sépare la « norme » de la « folie ». Le personnage est un garçon ordinaire qui veut simplement vivre, comme nous tous. La vie, cruelle avec lui, va le conduire à se réfugier dans la violence. Il assiste pendant des mois, impuissant, à des scènes d'une cruauté absolue. C'est la fuite en avant, dans une interminable cavalcade entrecoupée d'actes de violence. Littéralement ligoté par la crainte de représailles sur sa famille, il se trouve dans l'impossiblité de soustraire les malheureuses victimes à leur tortionnaire. Jusqu'au jour où… Avec ce roman, Boussadi nous montre la vulnérabilité d'un peuple privé de repères. La dimension identitaire est en effet très prégnante ici. Destin d'un homme et d'un pays se trouvent étroitement liés. A la lecture de ce livre, on ne peut que se sentir concerné par le destin de Nazih. Nous aurions pu être lui. Nous aussi nous aurions pu plonger. Parfois le sens que prend notre vie ne dépend que de peu de choses… Une écriture à la fois simple et travaillée, un roman au réalisme saisissant.