Qu'elles vivent eu Europe, dans les pays musulmans, ou autres, les discriminations à l'égard des femmes sont les mêmes. Tout autant que les agressions physiques, elles constituent une violence à l'égard des femmes. En dépit des lois et des luttes incessantes pour l'égalité entre les deux sexes, les femmes continuent à subir les affres de la ségrégation, y compris dans les Etats connus pour être les plus en avance dans le domaine des droits. Une question à laquelle les participants aux travaux du séminaire international sur les violences à l'égard des femmes, tenus les 23 et 24 octobre à Alger, ont tenté d'apporter une réponse. Organisée par le Centre d'information et de documentation sur les droits de l'enfant et de la femme (Ciddef), en collaboration avec l'Observatoire des violences faites aux femmes, ainsi que l'Agence espagnole de coopération internationale pour le développement, cette rencontre de deux jours a regroupé de nombreux spécialistes du droit, mais également des militantes des droits de la femme venues de France, d'Espagne, du Liban et de la Tunisie. A cette occasion un hommage émouvant a été rendu à la militante et professeur universitaire Fatma-Zohra Saï, décédée le 7 octobre à Oran, à la suite d'une longue maladie. En fait, durant la première séance des travaux, les communications étaient plutôt des constats de ce qui se passe en Tunisie, après la révolution, au Liban, qui passe pour être le pays arabe le plus évolué en matière de droit de l'homme, en Espagne censé faire partie des pays développés, mais également en Algérie. Ainsi qu'elles soient Algériennes, Tunisiennes, Espagnoles ou Libanaises, les violences sont les mêmes et les discriminations aussi présentes dans les uns comme dans les autres. «En Tunisie post-révolution, les acquis sont de plus en plus menacés. A l'invitation de certaines universités, des imams moyen-orientaux appellent au retour à la polygamie, au port obligatoire du voile et même à l'excision. Les mariages coutumiers sont revenus, notamment dans les universités où l'on a dénombré quelque 260 cas entre 2011 et 2012 (…) Pire il est actuellement fait pression pour remplacer l'officier de l'état civil par al maadhoun, en quelque sorte le notaire, etc. Des femmes sont de plus en plus agressées dans la rue. Il y a quelque temps, une jeune femme, qui accompagnait son fiancé, a été interpellée par trois policiers, dont deux l'ont violée au moment où le troisième vidait les poches de son compagnon. Lorsqu'elle a déposé plainte, elle a été accusée d'atteinte aux bonnes mœurs», a déclaré la conférencière qui regrette qu'après la révolution, 49 sur les 217 membres de l'Assemblée constituante sont des femmes. Nadia Aït Zaï, directrice du Ciddef, fait l'état des lieux des discriminations légales en droit civil, droit musulman. Elle rappelle que l'Algérie a signé la quasi-totalité des conventions internationale, mais avec certaines réserves, à cause justement d'un code de la famille, au lieu et place de la Constitution, la loi suprême, qui, faut-il le préciser, garantit l'égalité entre les hommes et les femmes. «Le code de la famille est hissé au-dessus de la Constitution» Pour elle, l'Etat a hissé le code de la famille au-dessus de la loi fondamentale, ce qui est une entorse flagrante à celle-ci. «Le retour à l'orthodoxie musulmane dans sa pure tradition a fermé la porte à l'évolution du droit musulman. Même les décisions de la Cour suprême n'ont pas été porteuses d'une quelconque ouverture. Il a créé plus d'injustice et d'inégalité dans les rapports entre hommes et femmes», dit-elle, avant de poser cette question : «Peut-on s'acheminer vers une sécularisation du droit de la famille ? Peut-on faire du contrat de mariage un contrat de droit civil et non pas de droit coutumier ?» Mey Sayegh, une militante libanaise des droits des femmes, lève le voile sur une réalité cachée de son pays, connu pourtant comme étant le plus évolué dans le Monde arabe. Les discriminations sont nombreuses dit-elle, «cela va d'une inégalité dans la rémunération entre les hommes et les femmes, jusqu'aux violences intrafamiliales, en passant par les inégalités dans les chances d'accès aux postes de responsabilité, à l'activité politique, le harcèlement sexuel, et surtout le refus pour les femmes d'octroyer leur nationalité à leurs enfants». La conférencière termine en affirmant qu'«au Liban il n'y a pas de mariage civil, ce qui pousse ses compatriotes à aller en Chypre pour enregistrer leur union à cause de l'existence de 16 communautés de religions et de pratique de religion différentes et des statuts personnels différents». Les lois sont souvent confrontées aux us et coutumes Tranchant avec les précédentes communications qui vont dans le sens d'un renforcement du dispositif légale pour lutter contre la discrimination, le sociologue Zoubir Arous estime qu'«il faut plutôt se battre contre les mentalités et les préjugés pour faire évoluer la situation» parce que les lois, ajoute-t-il, «sont souvent confrontées aux règles et coutumes sociétales». Il commence par citer deux exemples concrets qui montrent que souvent les coutumes ont plus de force que la loi elle-même. «Il y a quelques jours, le Haut-Conseil ibadite de Ghardaïa a interdit aux femmes mozabite de se présenter aux élections communales, et en Kabylie, un village a décidé que les femmes n'héritent pas pour que toute la région de Kabylie l'adopte. Ce n'est qu'en 1965 ou 1966 qu'un arrêt de la Cour suprême redonne aux femmes leur droit à l'héritage. La religion a bon dos. Une grande partie des actes discriminatoires sont le fait des traditions et non pas de la religion. Il faut être très vigilants», conclut le sociologue. Abondant dans le même sens, Mme Ghania Graba, juriste, parle de «la logique des droits face à l'évolution des rapports du genre». Elle démontre que tout est basé sur «la domination sociale de la femme par l'homme», ajoutant : «Ce sont les traditions qui nous ont façonnées. C'est très difficile de sortir de ce gant.» La juriste rappelle quelques faits qu'elle a vécus lorsqu'elle était membre de la commission chargée de la préparation du texte sur les droits politiques des femmes. «Il y a eu de très fortes réticences parmi les magistrats et au sein même de l'Etat. C'était des discussions très houleuses. Il a fallu près de six mois pour sortir avec 15 articles.» Pour sa part, Mme Soumia Salhi, de la commission femme de l'UGTA, a axé sa communication sur les discriminations en milieu professionnel. «Le déni du droit des femmes est dans tous les pays du monde, car l'humanité a connu partout un ordre patriarcal depuis plusieurs millénaires qui impose une prééminence des hommes sur les femmes, du père sur le fils (…) En Algérie, l'égalité entre les sexes est garantie par l'article 29 de la Constitution qui reste très en avance sur les pratiques sociales. Pourtant, la réalité algérienne est faite de discriminations nombreuses. Les dispositions relatives au travail font état par exemple d'une flopée de textes anti-discriminatoire et ne souffrant d'aucune équivoque, notamment en matière de protection de la maternité, de droit à un congé de maternité, d'interdiction du travail de nuit, sauf dérogation, et de réduction de quelques années de l'âge d'accès à la retraite. Ajoutée à l'égalité concrète devant le droit à l'enseignement qui a produit une transformation majeure du sort des femmes, cette égalité a fait émerger massivement l'emploi féminin frôlant la parité dans les fonctions qualifiées. Nous sommes passés d'une femme sur trente à plus d'une sur six dans la population active. Un bouleversement des pratiques sociales d'une Algérie conservatrice, a bousculé les mentalités et exercé une pression incontournable sur le code de la famille de 1984 porteur d'inégalité. C'est le paradoxe de ces magistrates disposant des mêmes salaires et des mêmes attributions professionnelles que leurs collègues masculins qui sont chargées de juger et de faire respecter par les hommes et les femmes un code de la famille qui les soumet, elles-mêmes, à tutelle pour décider de leur propre vie», révèle Mme Salhi. Elle affirme que même consacrée, l'égalité des salaires est affaiblie par le monopole des hommes sur les postes de responsabilité. Elle met en garde contre le recours de plus en plus fréquent aux contrats à durée déterminée, considéré comme faisant partie du travail informel, du fait que les femmes ne bénéficient pas du congé de maternité. 75 000 femmes sont violées en France Chaque année En France, les discriminations sont tout aussi nombreuses. Venue de France, Mme Liliane Halls bat en brèche cette idée reçue que les Occidentales sont plus nanties que celles qui vivent dans les pays sous-développés. D'emblée, elle déclare qu'en France, les discriminations sont aussi nombreuses qu'ailleurs : «Il n'y a pas de cadre pour lutter contre les violences. En France, les statistiques ne parlent que des violences sexuelles pour cacher les autres violences. Le nombre de 75 000 femmes violées chaque année en France ne correspond pas à la réalité, puisqu'une victime sur dix seulement dépose plainte. Début 2000, j'avais reçu des femmes musiciennes qui se plaignaient de discriminations parce que les musiciens refusaient qu'elles soient des chefs d'orchestre. Il y a un grand écart entre la réalité et les textes de loi dans l'espace européen où moins de 10% seulement des postes de responsabilité sont attribués aux femmes, où la notion de chef de famille empêche les femmes de travailler, où 500 000 femmes meurent chaque année suite à des avortements clandestins, où les immigrants sont exclus de tous les droits et travaillent comme des esclaves, où des disparités entre les salaires des femmes et des hommes sont très importantes, où le droit du libre choix est bafoué.» En bref, un tableau aussi noir que ceux déjà présentés par les autres conférencières venues du Monde arabe. A la fin des travaux, quelques recommandations ont été rédigées. Il s'agit de présenter des projets d'amendement de la Constitution pour la rendre plus égalitaire en introduisant le principe de citoyen et citoyenne, et en prévoyant une haute autorité qui se charge des violences à l'égard des femmes.