Qu'elles soient Européennes ou Arabo-musulmanes, elles partagent toutes les mêmes souffrances dues aux inégalités, aux violences, à la discrimination et au déni de leurs droits au nom d'un système de patriarcat basé sur la domination de la femme par l'homme. C'est une réalité que partagent les participants à la conférence sur les droits des femmes tenue à Beyrouth la semaine dernière. Partout le constat est le même, mais il est plus dramatique lorsqu'il émane d'un pays en situation de conflit armé, de guerre ou d'occupation, où les femmes deviennent les premières cibles de toutes formes de violence. Les inégalités et les violences sont les pires atteintes que subissent les femmes, qu'elles soient Européennes ou Arabo-musulmanes. C'est la conclusion à laquelle sont arrivés les nombreux participants à la conférence euroméditerranéenne, tenue récemment à Beyrouth et consacrée aux droits des femmes. Organisée par le réseau Euromed initiative féministe (EIF), qui comprend des associations féministes et de femmes d'une trentaine de pays de l'Europe et de la rive sud de la Méditerranée, qui luttent pour l'égalité entre les sexes et les droits des femmes, et contre le militarisme, la guerre et l'occupation, cette conférence de deux jours (28 et 29 novembre) a réuni les représentants de la Commission européenne, le Service européen pour l'action extérieure, l'Union pour la Méditerranée (UPM), avec une centaine de personnes entre universitaires, représentants de la société civile, des médias et des ministères impliqués dans le processus, des acteurs politiques d'au moins 22 pays des deux rives de la Méditerranée, dont l'Algérie, représentée par le Centre d'information et de documentation sur les droits des enfants et des femmes (Ciddef) que dirige Nadia Aït Zai, spécialiste du genre. Ouverts par la coprésidente d'EIF, Mme Lilian Halls French, les travaux et les débats en ateliers ont mis en exergue les violences que subissent les femmes dans une grande partie du monde, notamment la région du bassin méditerranéen, mais aussi la nécessité d'obliger les Etats à mettre en place de meilleures politiques de protection, à travers des mécanismes d'élimination de toutes formes de ségrégation, violence, inégalités et de toutes formes de stéréotype qui les encouragent. «Aussi bien en Europe, où les statistiques sur les violences conjugales sont effrayantes et où les salaires des femmes sont de loin plus bas que ceux des hommes, que dans le monde arabo-musulman, où les femmes font face à l'extrémisme religieux, les traditions et les mentalités, le combat pour l'égalité entre les sexes reste un grand défi pour les femmes. Ce constat amer ne peut être dissocié de la situation dans le monde, marquée par les conflits armés qui secouent de nombreux Etats de la rive sud de la Méditerranée, la violence de l'occupation israélienne en Palestine et la montée de l'extrémisme religieux. Le défi est très important et appelle à la nécessité de lutter ensemble pour faire en sorte que ce gouffre qui existe entre les lois et la réalité des droits des femmes sur le terrain soit comblé», déclare Mme Lillian Halls Frech, avant que les représentants officiels du Liban, la ministre des Personnes déplacées, Alice Chaptini, de la Jordanie, le ministre du Développement social, Wajeeh Azayzeh, et de la Tunisie, Imane Kalai, n'évoquent chacun de son côté les efforts de leurs gouvernements pour réduire les écarts entre les droits des hommes et des femmes. «L'augmentation de la violence et de l'extrémisme qui caractérise le contexte actuel affecte le plus les femmes car elle oblige beaucoup de gens à rentrer chez eux et à abandonner leurs lieux de travail. C'est pourquoi, nous devons étudier soigneusement la situation afin de lutter contre elle et restaurer ainsi les droits des femmes dans la région», a déclaré le ministre jordanien. Mais les débats entre participants ont montré que malgré les modifications des Lois fondamentales et des législations opérées par de nombreux pays, ainsi que les conventions internationales pour l'élimination des discriminations, les femmes continuent de subir un déni de leurs droits et leur dénominateur commun est souvent la violence et la discrimination, notamment avec les conflits armés, les crises économiques, la pauvreté, l'ignorance, l'extrémisme et les mentalités rétrogrades. Chacun des participants représentant la société civile a tenté de mettre en lumière le vécu des femmes dans son pays. Ancienne ministre croate des Affaires étrangères et européennes, présidente d'honneur du Parti du peuple croate, la députée Vesna Pusic évoque «l'ampleur» du phénomène des violences conjugales en l'absence de loi qui les criminalise. «Lorsqu'une femme appelle la police pour se plaindre de violences conjugales, elle est arrêtée avec son époux et jetée en prison avec lui. Ce qui a conduit à de nombreux décès de victimes», dit-elle. Juge de son état et membre fondatrice de la Ligue espagnole des magistrats, Zita Hernandez estime que dans son pays, malgré la criminalisation depuis 2003 de la violence conjugale, «le manque de compréhension du principe de la non-discrimination entre homme et femme constitue l'une des raisons majeures qui explique le comportement souvent injuste à l'égard des femmes». Elle plaide pour une meilleure formation des juges afin qu'ils puissent appliquer les lois sans aucune discrimination, en se référant au principe d'égalité. Pour sa part, Naila Chaabane, présidente de l'Association tunisienne de droit constitutionnel, estime que l'amendement de la Loi fondamentale de son pays pour instaurer l'égalité au sein de la famille et dans l'héritage «a sensiblement contribué à l'éducation des femmes et à l'accès de celles-ci à la politique, mais il n'a pas aidé à leur accès aux postes décisionnels où elles sont très peu représentées, soit moins de 3% seulement». Membre du secrétariat général, de l'UPM, Delphine Borione revient sur «les principes d'engagement» des Etats membres de l'organisation qu'elle représente (28 européens et 13 de la rive sud de la Méditerranée) et insiste sur «la nécessité d'un bilan et d'un plan d'actions, basés sur les rapports nationaux et régionaux présentés par la société civile pour assurer la mise en œuvre des recommandations ministérielles». Ministre jordanien des Affaires politiques et parlementaires, Mussa Maaytah trouve que la problématique du genre dans son pays «n'est pas du fait de l'analphabétisme. En Jordanie, 56% des étudiants universitaires sont des femmes, alors qu'elles ne représentent que 18% dans le marché du travail. Cet écart est le résultat des mentalités et des traditions de la société. Durant les dix dernières années, la réforme judiciaire a permis l'instauration d'un quota de 15% de députés femmes et de 25% d'élues dans les assemblées locales. Mais, la présence de la femme dans les activités politico-économiques reste très faible (…). Nous ne pouvons pas changer des faits établis et ancrés dans les mœurs avec des lois». Venue d'Egypte, Wafa Bassim, ancienne ambassadrice, membre de la commission des Affaires étrangères et du Conseil national des femmes égyptiennes, fait remarquer que «malgré les distances qui séparent les pays, le poids des traditions reste un facteur d'inégalité et d'injustice que partagent la majorité des femmes de la région euroméditerranéenne». L'Irak, un enfer pour les femmes Amir Al Kanani, conseiller juridique du président irakien, commence par saluer le «dynamisme» de la société civile de son pays «qui a contribué à arracher des acquis pour les femmes», citant «la suppression du droit du mari de battre son épouse, de la tuer au nom de l'honneur, et l'instauration du système de quota de 30% de femmes au Parlement».Toutefois, le conseiller regrette la «persistance de grandes difficultés à justifier une législation empêchant le mariage des mineures et ou imposant l'égalité dans l'héritage. En Irak, les femmes continuent à être violées, massacrées, immolées, enlevées et vendues dans des marchés comme un butin de guerre à l'ombre des luttes armées qui secouent le pays depuis des années et tout le monde reste incapable de les protéger malgré les lourdes décisions de justice, allant jusqu'à la peine de mort, à l'égard de certains des auteurs arrêtés, sans toutefois être exécutées, en raison de la situation sécuritaire et des pressions internationales». L'orateur appelle la communauté internationale à faire en sorte que les sanctions contre les auteurs de ces violences soient appliquées. Mais Intisar Al Mayali, membre de la Ligue des femmes irakiennes, apporte plus de précisions sur la situation «chaotique» en Irak. «Les Irakiennes vivent l'enfer. Elles sont violentées, torturées et obligées dans beaucoup de régions à se voiler. Des groupes armés imposent des tenues vestimentaires et leurs lois aux femmes. Le divorce arbitraire a explosé, le mariage des mineures est devenu une pratique courante. La loi sur la criminalisation des violences conjugales est bloquée sous prétexte qu'elle ne constitue pas une priorité et l'accès à l'activité politique est devenue un danger de mort», dit-elle d'un ton coléreux, comme pour apporter la contradiction aux «avancées» mises en exergue par le conseillé du président irakien. Présidente de l'Union générale de la femme palestinienne, Majda El Masri fait un constat des plus noirs sur la situation en Palestine. Les trois dernières guerres, dit-elle, «ont multiplié les cas de violence à l'égard des femmes, le mariage précoce, la procréation et le divorce arbitraire (…). Elles sont plus de 95 000 à vivre dans des caravanes». Pour Mme Lillian Halls French, malgré les législations de plus en plus nombreuses, «nous enregistrons un recul effrayant et un front de lutte miné par les crises et l'usure. Nous sommes dans un monde schizophrénique qui d'un côté reconnaît l'importance du phénomène de la violence et, de l'autre, montre un visage d'oppresseur des femmes. Nous constatons un recul sans précédent de la société civile, même en France, d'où je viens. Tous les moyens sont bons pour empêcher le sursaut : harcèlement administratif, blocage des sites web, et l'administration a tendance à coopter des organisations qui ne répondent pas à aux standards internationaux pour en faire des interlocuteurs. La résolution onusienne 13/25 a été ratifiée par tous les Etats sans être appliquée. Elle devient caduque parce qu'elle ne protège malheureusement pas les femmes». Représentant l'Algérie, une journaliste d'El Watan évoque les stéréotypes et les mentalités qui font régresser les droits des femmes. «Les violences à l'égard des femmes sont intrinsèquement liées aux inégalités de pouvoir entre homme et femme ainsi qu'à des expressions violentes de la masculinité. La manipulation de la religion par des forces conservatrices des régimes et l'interprétation archaïque du fait religieux par des extrémistes islamistes ont fini par rendre le combat militant pour l'égalité une tâche des plus ardues voire des plus dangereuses à tel point que l'affirmation des droits est devenue synonyme de rupture avec les valeurs culturelles et traditionnelles, voire même synonyme d'apostasie et d'hérésie», note la conférencière. Elle précise : «Les lois les plus parfaites peuvent s'avérer inefficaces si elles ne sont pas accompagnées d'une volonté politique et d'une stratégie globale de lutte contre les mentalités rétrogrades et les visions de masculinité.» Le débat s'enflamme lorsqu'une des participantes, une opposante syrienne vivant au Liban, s'est interrogée sur «l'absence de la société civile algérienne et les raisons qui l'ont poussée à voter pour un homme sur une chaise roulante». C'est Nadia Aït Zai, directrice du Ciddef, qui lui répond : «Visiblement l'Algérie dérange. S'il y a un pays où la société civile participe au combat pour la lutte contre les inégalités c'est bien l'Algérie. Vous avez tous ici reçu les études et les recherches faites dans ce sens. Sachez que la criminalisation de la violence a été faite en Algérie bien avant beaucoup de pays ici présents et c'est durant le mandat de ce Président et grâce à la société civile…» Et de rappeler tous les travaux que le Ciddef a transmis lors des différentes rencontres et conférences internationales de l'Initiative Euromed. Les participants ont, par ailleurs, mis en avant les recommandations nationales et régionales et leur forme définitive. Quatre ateliers ont été consacrés aux thèmes «Elimination des discriminations à l'égard des femmes et promotion de la participation des femmes dans la vie politique et économique» ; «Réforme de l'éducation pour lutter contre les stéréotypes de genre» ; «Elimination de la violence contre les femmes dans les situations de guerre et d'occupation» ; «Garantie de la liberté et d'indépendance de la société civile et des organisations de soutien des droits des femmes». Les discussions ont fait ressortir plusieurs situations que partagent les femmes dans la région euroméditerranéenne, à savoir la marginalisation de leurs droits, l'absence de volonté politique à réaliser l'égalité des sexes, la sous-représentassion des femmes dans la prise de décision, la discrimination juridique et l'écart entre les textes et leur application pratique, la persistance des stéréotypes de genre, la prévalence de la violence contre les femmes et les filles dans les sphères publiques et privées dans le monde. Mais, c'est dans les pays en situation de conflit armé, de guerre, ou d'occupation que les femmes souffrent le plus avec un nombre croissant d'abus sexuels, de torture et d'esclavage. Pour les conférenciers, l'insécurité aggrave les violences contre les femmes. Toutes ces recommandations serviront à soutenir les politiques d'égalité des sexes qui seront adoptées lors de la réunion ministérielle prévue en 2017.