A quoi devait répondre le projet d'AADL initialement ? La formule de location-vente, qui revient à Ali Benflis, à l'époque où il était Premier ministre (2000-2003), devait permettre à la classe moyenne d'accéder à la propriété. Pour en bénéficier, il fallait que le revenu du souscripteur n'excède pas cinq fois le SMIG (8000 DA en 2000) et devait s'acquitter d'un apport initial de 25% minimum du prix du logement : 10% du prix du logement au titre d'une option d'acquisition, 5% à la remise des clés, 5% à la signature de la décision de préaffectation et 5% à la signature du contrat de location-vente. De combien est le parc AADL aujourd'hui ? L'Agence nationale de l'amélioration et du développement du logement a été chargée en 2001 par les pouvoirs publics de la réalisation d'une première tranche de 20 000 logements dans 24 wilayas, dont 9000 pour Alger. En 2002, une autre tranche a suivi, de 35 000 logements, ce qui totalise 55 000 logements, dont 25 400 pour Alger. De ce premier programme, tous les logements ont été achevés. Mais plus de 3000 n'ont pas encore été attribués : plus de 2000 logements à Alger, 60 à Médéa et 60 autres à Annaba. En 2006, un nouveau programme a été lancé, de 65 000 logements. Aujourd'hui, la première tranche de 9000 logements est achevée mais n'est toujours pas distribuée. Par ailleurs, 92 000 autres de ce programme sont en cours de réalisation, alors que «ce qui reste est en cours d'étude», annonce le président de Assur-Immo, la filiale immobilière de la CNEP (autrefois CNEP Immo) Mokhtar Boufatite. Pourquoi la construction a-t-elle pris autant de retard ? Première explication : la construction de la première tranche du programme 2006 (9000 logements), confiée à la filiale immobilière de la CNEP a, selon ses responsables, buté sur un problème de foncier. En particulier dans les grandes agglomérations telles qu'Alger, Constantine… Pour trouver des terrains, les pouvoirs publics ont dégagé des terrains agricoles non productifs, tel que décidé par le Conseil des ministres de juillet 2012. CNEP Immo a été chargée d'effectuer des études préliminaires sur les sites retenus. A Alger, deux sites comprenant 4000 logements ont été identifiés (ceux de Rouiba et de Réghaïa). Deuxième explication : à en croire Abdelmadjid Tebboune, le ministre de l'Habitat, le manque de terrain n'est pas la seule raison de ce retard : «A l'heure actuelle, il n'y a pas de société algérienne capable de prendre en charge et de mener à bien la construction de logements dans les délais», a-t-il déclaré récemment à la chaîne Al Djazairia. Mais ce n'est pas une question de nationalité puisque, d'après Leïla Bourenane, chargée de la communication à l'AADL, «il y a eu plusieurs résiliations de contrat avec les entreprises étrangères. Un premier contrat a été résilié avec les Chinois de COCTC. Puis un deuxième avec l'entrepreneur libanais Slimane Haddad. Finalement, c'est l'entreprise chinoise Gunsha qui a été chargée de poursuivre la construction». La firme chinoise COCPC, après avoir signé son contrat avec l'AADL pour réaliser 1000 logements à Draria (Alger) et 600 autres à Koléa (Tipasa), n'a, elle non plus, pas tenu ses engagements. Les chantiers qui lui ont été confiés n'ont pas avancé, alors qu'ils auraient dû être achevés en vingt mois. Du coup, cela a pris trois ans de plus pour parachever la construction. Pour le programme des 65 000 logements, Mokhtar Boufatite affirme que plusieurs contrats ont été résiliés avec des entreprises locales et étrangères. «Quand les entreprises ne respectent pas les clauses contractuelles, cela peut aboutir à des résiliations», souligne-t-il. Troisième explication : «Il y a eu un blocage entre janvier 2008 et mars 2010, ce qui a freiné l'avancement du programme. Ce blocage était dû au prix du mètre carré. A cette période, les entreprises de construction pouvaient céder, dans les autres formules, le mètre carré à 34 000 DA, alors que pour l'AADL, il était de 28 000 DA, ce qui n'encourageait pas les entreprises à travailler avec cette agence.» La relance de ce programme n'a eu lieu qu'en 2010. Ce programme a en effet connu près de six ans de retard : deux ans de blocage et un retard de trois ans et demi dans le lancement. «La convention avec la CNEP a été signée en septembre 2002, alors que la mise en chantier a été faite en février 2006, ce qui veut dire que plus de trois ans après la signature de la convention, aucune pierre n'a été posée», explique Mokhtar Boufatite en refusant de nous expliquer les raisons de ce retard au prétexte qu'il n'était pas à la tête de CNEP-Immo à cette époque.
Pourquoi autant de dossiers en suspens ? 142 000 officiellement ! Au lendemain de l'ouverture des listes, seuls 48 guichets et 168 bureaux ont été ouverts au public. Dans les trois premiers jours, les demandes ont dépassé le quota de 55 000 logements. La wilaya d'Alger a, à elle seule, enregistré plus de 90 000 demandes ! «Dès que les bureaux et guichets ont ouvert, on a reçu 300 dossiers. Il y en a qui ont passé la nuit du 17 au 18 août devant les bureaux pour attendre l'ouverture à 8h du matin ! Si la formule a connu un tel succès, c'est parce qu'elle s'adressait à tous ceux qui jusque-là n'avaient pas les moyens d'acquérir un logement», se souvient Leïla Bourenane. Mais les pouvoirs publics ont exigé de l'AADL qu'elle continue de recevoir les dossiers… jusqu'en 2005 ! Résultat : le nombre de dossiers est devenu vertigineux, la mauvaise gestion et la distribution «aléatoire» des logements ayant accentué la pagaille. En théorie, l'arrêté ministériel de 2001 stipule que l'ordre chronologique doit être le seul et incontournable critère pour attribuer les logements. «Mais il y a un grand écart entre la réalité de la distribution et le contenu de l'arrêté ministériel. Car l'AADL a distribué les logements d'une façon aléatoire, ce qui a permis aux derniers arrivés d'être les premiers servis, dénonce Osmane Djoudi, membre de l'association Al Amel (souscripteurs de l'AADL). A l'AADL, on nous a assuré qu'il n'existait aucun règlement ni loi qui obligent cette agence à respecter l'ordre chronologique.» Pourquoi certains demandeurs attendent toujours un logement depuis 2001, alors que la plupart des cités sont vides ? Parce qu'il n'existe toujours pas de fichier national du logement. Il faut savoir que l'absence de ce fichier peut permettre à certains d'acquérir plusieurs logements illégalement sans que les autorités s'en rendent compte. «La direction de la conservation foncière, qui délivre le fichier négatif prouvant que la personne n'a aucun bien privé, ne peut détecter les cas de filtre», affirme Nabil Belhadad, membre de l'association El Amel. En d'autres termes, quand une personne bénéficie d'un crédit bancaire pour un logement public locatif (social, LSP), elle ne serait pas fichée en tant que propriétaire de logement avant le remboursement de la somme globale. Du coup, cette «faille» permet aux gens de s'approprier plusieurs logements illégalement. Le projet de fichier, soutenu par le ministre de l'Habitat (à l'époque Abdelmadjid Tebboune !) n'avait pas pu voir le jour, les walis s'étant opposés à une telle mesure. «Ils sont nombreux à avoir bénéficié de logements dans plusieurs wilayas, ils n'avaient donc aucun intérêt à ce qu'un tel fichier garantisse la transparence», assure Nabil Belhadad. Les responsables de l'association El Amel affirment que «les logements inoccupés, qui sont entre les mains de l'AADL, font l'objet d'un business opaque.» «Ils auraient pu les distribuer à quelques souscripteurs éligibles des premiers programmes», fulmine Nabil Belhadad. Il demande à ce qu'une échéance soit clairement définie. «On demande l'établissement d'une liste de bénéficiaires suivie de convocations individuelles pour la délivrance de décision d'affectation et le paiement de la première tranche.» Du côté de l'AADL, Leïla Bourenane affirme que les 3000 logements vides font suite aux cas de fraude détectés. En réalité, face aux nombreux trafics dans la distribution des logements – toutes les listes sont contestées – les walis gèlent les attributions pour éviter tout dérapage. Face à cette situation, le ministre de l'Intérieur, Daho Ould Kablia, a ordonné, début octobre, que tous les logements soient distribués d'ici la fin de l'année «quitte à avoir à gérer des mouvements de protestation qui sont, d'ailleurs, inévitables». Un cadre de la CNEP affirme que l'Etat est responsable de cette situation. «Il y a une loi qui interdit aux promoteurs de distribuer des logements sans avoir finalisé les VDR (voirie et réseaux divers), alors que l'Etat, lui-même n'a pas encore débloqué de l'argent pour financer ces voiries», confie-t-il. Qu'entend le ministre de l'Habitat en disant qu'il allait «assainir ce qui reste des premiers programmes» ? D'une part, les demandeurs de l'ancien programme vont être orientés vers les nouvelles constructions, qui ne sont pas encore terminées. D'autre part, comme le souligne Leïla Bourenane, il va y avoir une «révision des 142 000 dossiers. On va s'assurer que les souscripteurs n'ont pas bénéficié de logements dans d'autres formules telles que le LSP, le logement social, ou d'un crédit de l'Etat.» Cette opération consistera également à vérifier la solvabilité du souscripteur, autrement dit, si son salaire ne dépasse pas cinq fois le SNMG. Par ailleurs, les représentants de l'association El Amel déposeront ce dimanche une demande d'audience officielle pour rencontrer le nouveau DG de l'AADL. Cette rencontre permettra aux souscripteurs de 2001-2002 de s'enquérir des dispositions par la tutelle à leur égard. Pourquoi les prix de vente ont-ils augmenté ? Le ministre a annoncé que le prix du logement AADL (F3-F4) qui était de 1,5/2 millions de dinars, «avoisinerait 3,5 millions de dinars et serait certainement inférieur à 4 millions de dinars». Comment expliquer que le prix ait doublé ? «Les données ont changé», a-t-il expliqué lors d'un point de presse en marge d'une rencontre avec les représentants des entreprises de réalisation des projets de l'habitat. En effet, le SNMG est passé de 8000 DA en 2001 à 18 000 DA en 2012. L'augmentation des prix des matériaux de construction explique également cette hausse. Les souscripteurs éligibles, s'ils ne contestent pas cette augmentation, demandent une facilité de paiement. «Suite à cette hausse, nous souhaitons que le versement soit fait en deux tranches. Nous demandons également que les souscripteurs âgés puissent porter leurs enfants garants lors de l'achat du logement», conclut Nabil Belhadad.