Et si on essayait de répondre à une question du genre : qu'ont fait les ex-pays socialistes qui ont réussi à construire une économie de marché efficiente et dynamique ? La Chine, la Pologne, le Vietnam, la république tchèque et bien d'autres entrent dans cette catégorie. On améliore toujours les analyses des paramètres de réussite et d'échec. Ils sont nombreux et parfois jouent des rôles difficilement perceptibles. Mais il y a un aspect qui est remarquable et commun à toutes ces réussites : la décentralisation et le développement local. Beaucoup d'idées fausses circulent dans notre pays sur les expériences réussies des ex-pays socialistes. Ainsi, on attribue les succès chinois aux coûts de production bas et à la centralisation du développement. Ces conceptions sont aux antipodes de la réalité. Les succès chinois sont dus aux qualifications humaines et surtout au processus de décentralisation. Une commune chinoise est une belle machine décentralisée, dotée de ressources humaines qualifiées qui planifient leur propre développement, négocient les investissements internationaux, créent des entreprises et des emplois et multiplient la richesse et le bien-être. Si bien que plus de 55% des exportations chinoises proviennent d'entreprises locales fortement décentralisées. Ce qu'il convient de Considérer Il est rare de nos jours qu'un pays améliore sa compétitivité et se développe avec un système économique hyper centralisé. Nous ne pouvons pas constituer une exception. Une économie qui fonctionne ainsi se prive des énergies et des cerveaux de millions de citoyens qui auraient pu participer efficacement à l'édification de leur pays. Comment voulez-vous qu'un pays qui mobilise une centaine de cerveaux éloignés des réalités locales et régionales batte un autre qui utilise des millions d'esprits en contact avec l'environnement immédiat des problèmes à résoudre ? Beaucoup de voix d'économistes s'élèvent de nos jours pour réclamer des plans de développement locaux et régionaux. Ceci implique qu'il faille mettre en place un vaste chantier de restructuration de l'Etat. La fiscalité, les chaînes de commandement et le processus managérial doivent nécessairement être modifiés pour accommoder la nouvelle démarche. En fait, c'est l'ensemble des orientations stratégiques et opérationnelles qui seront appelés à se modifier. Ce n'est pas une mince affaire. On est en train de la traiter avec une légèreté déconcertante. Pour bon nombre d'analystes, il faut changer la législation, autoriser les décideurs locaux à créer des entreprises, monter des banques locales, permettre une collecte de plus de taxes locales et le tour est joué. Nous avons peu appris des leçons passées. Beaucoup de nos économistes pensaient également qu'en injectant 500 milliards de dollars sur quinze ans pour moderniser les infrastructures, nous pourrions de rejoindre le club des pays émergents. Nous avons évité de poser la question essentielle : quels sont les facteurs-clés de succès ? Le raisonnement en vase clos est souvent dangereux. Il consiste à chercher des solutions toujours en interne et uniquement originales, très peu testées ailleurs. Les managers d'entreprises ont appris depuis longtemps que cette manière de réfléchir et de faire est trop souvent erronée. Le leitmotiv : «gérer c'est comparer» est de nos jours accepté par l'ensemble des théoriciens et les praticiens du management. Si notre productivité de l'entreprise s'améliore de 3%, nous sommes en situation confortable si les concurrents s'améliorent de 1%, mais en danger s'ils font des progrès de 6%. On voit bien qu'une donnée prise isolément, non comparée, signifie peu de chose. Ceci est d'autant plus vrai en contexte de management macroéconomique lorsque l'économie se globalise de plus en plus. Le développement local doit être soutenu, amélioré et toujours comparé. Les Conditions de Réussite Supposons que demain les dispositions réclamées par nos experts sont mises en place : législation adaptée, fiscalité et décentralisation. Aurions-nous un développement local suffisamment appuyé pour résoudre les problèmes d'emploi et de sous-utilisation des potentialités locales ? Un programme d'action de ce genre nécessite que l'on se préoccupe de réunir dès le départ toutes les conditions nécessaires à sa réussite. La première et la plus importante concerne les qualifications humaines. Les élus et les fonctionnaires locaux doivent être dotés des habilitations nécessaires. Ceci implique qu'il faille revoir les lois concernant les candidats aux élections locales. L'ingénierie pédagogique pour recycler les personnes en place sont à concevoir ainsi que leur mode d'emploi et de contrôle. Cette dimension est trop prise à la légère par nos analystes alors qu'elle était le pivot central des réformes chinoises et polonaises, par exemple. Le deuxième handicap demeure le management local dans ses dimensions réglementaire et opérationnelle. de la manière dont sont structurées nos APC, une telle opération a peu de chances d'aboutir. On aura besoin de prendre en charge des APC pilotes dont le mode de fonctionnement sera diffusé au reste des institutions locales. Les TIC peuvent rendre un énorme service en ce sens. Le troisième volet concerne les incubateurs et les pépinières qu'il s'agit de monter dans chaque APC. Ces institutions spécialisées dans la création des TPE et des PME/PMI participeront avec les comités stratégiques locaux à identifier les atouts des communes, les potentialités et les valoriser. Un travail énorme reste à faire dans cette direction. A ma connaissance, aucune APC en Algérie ne dispose de telles compétences, pourtant indispensables à la réussite du développement local. Enfin, le mode de fonctionnement et de contrôle des APC doit changer aux fins d'encourager les systèmes de gestion par objectifs et décourager les injonctions politico- administratives. On se souvient des 1500 entreprises communales déstructurées dans les années quatre-vingts et quatre-vingt-dix. La plupart l'étaient à cause d'interférences dans le processus managérial, qui lui-même était défaillant. Il y a d'autres conditions plus faciles à satisfaire. La morale de l'histoire est qu'il nous est impossible de nous propulser au rang de pays émergent sans décentraliser et réussir le développement des espaces locaux. Mais les succès de ces derniers nécessitent toute une ingénierie organisationnelle dont nous n'avons même pas conçu les prémisses.