Pour lui, l'art doit développer, à travers une œuvre, une interaction sensitive entre le peintre et le spectateur. Dans son travail se reflète la vision d'une réalité filtrée, mais non altérée, de son propre monde intérieur. Il nous livre dans ses peintures la mémoire profonde de l'Homme et son malaise dans la société. Il peint toujours avec une énergie débordante, de plus en plus maîtrisée. Depuis quelques années, deux endroits se sont imposés à lui comme lieux de travail : un immense appartement lui servant d'atelier dans un quartier tranquille où il peut se défouler sur de grands formats, laissant vivre les matières colorées sur des fonds très travaillés. L'autre espace est plus réduit mais plus intime ; il s'agit de son domicile où il ne peut travailler que sur les petits formats. Il a toujours su garder, malgré une production foisonnante, une liberté picturale quel que soit le lieu de son travail, quel que soit le support choisi, toile, papier, céramique, bronze… Les dessins à l'encre de chine, la couleur de la terre, le doré des cieux ou la brume protectrice accompagnent ses personnages dans leur grandeur, leur humilité ou leur détresse. Il les enveloppe dans une atmosphère protectrice et atemporelle en mettant en scène des images nostalgiques ou des rêves à venir sans qu'aucun détail ne les personnalise. Seules, en duo, en trio ou en groupes, ses figures se ressemblent toutes au premier coup d'œil, elles se frôlent, complices, solidaires mais sobres. Nul geste, nulle parole, nul échange. Pensives, regardant au loin, elles semblent tellement se connaître qu'il ne leur paraît pas nécessaire de communiquer. Elles sont ensemble et marchent côte-à-côte, envers et contre tout, intouchables, persévérantes. Dans certaines de ses œuvres, Lazhar Hakkar cherche à s'affecter des identités multiples, alors que dans d'autres œuvres, il part à la quête de sa propre identité. A travers des lieux, des légendes, des personnages, l'Histoire de son pays, sa peinture se lance dans la reconstruction ou la reconstitution des identités égarées. Les êtres représentés par Lazhar Hakkar apparaissent en face de nous tels des fantômes qu'il fait resurgir en un lieu étranger, en un espace neutre effaçant ainsi leur existence passée et leur offrant une nouvelle vie dans le temps du spectateur. Pourtant, ces êtres existent, possèdent des noms pour certains (Zineb, Hizya), et ont, pour d'autres, des traits bien distincts. (…) Devant son appréhension des choses et des êtres, Lazhar Hakkar a abandonné la peinture figurative pour une peinture semi-abstraite afin de saisir et de dénoncer les mensonges et les apparences sans fard. Sa représentation dénonce les usurpations et les impostures considérées comme valeurs d'authenticité. De la même manière, le masque est là pour démasquer. Les visages impassibles de ses grands portraits de femmes n'expriment vraiment pas la joie ; ils ressemblent davantage à des repoussoirs, à des visages qui se cachent derrière un masque pour ne rien révéler des épreuves du temps, des souffrances ou des vanités qu'ils ont supportées sous une chair éphémère. La peinture est matière et ne nous trompe pas, en ce qu'elle ne prétend pas incarner autre chose. Elle s'empare de la lumière, nous la renvoie pour nous guider plus loin dans notre pérégrination fusionnelle avec son œuvre. La surface de la toile tendue ou du papier, dur et tendre à la fois, est un réceptacle accueillant où les couleurs glissent et se heurtent, laissant jaillir de nouveaux sens. Les œuvres exposées constituent la genèse d'une œuvre d'une sensibilité dramatique et touchante dont maints sujets furent ensuite réalisés ou retravaillés sur toile ou sur papier huilé, à la peinture, à l'encre ou au fusain et dont font partie toutes les séries Hizya, Zineb, Riches et Pauvres, Le Monde va mal… Le travail de Hakkar est intimement lié à celui du temps et de la mémoire. Nous aimerions savoir si l'artiste se souvient de tous ces visages anonymes et de leurs regards, s'il les porte en lui. Il aborde des sujets cruciaux comme le pouvoir, la mémoire, le rôle de l'art et son insuffisance face aux grandes questions humaines. Contrairement à ceux qui confèrent à l'artiste un rôle de guide, il préfère être celui qui introduit et distille le doute, remet en question les certitudes, met à nu la fragilité et l'instabilité des individus et des systèmes, dévoile la nature double et monstrueusement ambiguë de l'homme et son tiraillement entre le bien et le mal. (…) Dans ses œuvres qui ont pour thème les situations d'aliénation, de conflit, d'isolement, de vulnérabilité ou de désespoir font écho les silhouettes spectrales, immobiles, incapables d'agir. Les intentions de l'artiste ne sont ni irrévérencieuses ni polémiques. Ses silhouettes qui observent en silence sont une allégorie de l'impuissance. Ce sont des présences qui donnent la sensation que le temps a passé. Leurs silhouettes dénuées de volume évoquent, effectivement, davantage des ombres que des corps qui se meuvent dans un lieu indéfini, sans limites, où le temps est aboli. Pas d'anecdotes ni d'action à raconter ou à décrire : debout, statiques, ils patientent, observent, marquent une pause. Ils ne luttent pas, ils veillent. Fantômes en veille, «allégories de la persistance de nos mémoires, toutes ces figures clament l'inéluctablement éphémère définition de la condition humaine». Le silence est le cri d'une colère intérieure très forte qui nous renvoie à la finitude de l'être humain, au terrible de l'existence, à une conception amère de la société. Par rapport au présent, il y a quelque chose de décalé dans le travail de Lazhar Hakkar. Nous avons l'impression que son obsession est de commémorer la place des absents, l'importance des souvenirs. La mémoire de l'homme est tellement lourde et chargée que le besoin de créer des pense-bêtes s'est fait ressentir chez l'homme. Ses œuvres constituent autant de pense-bêtes et sa peinture devient autant une méditation qu'un témoignage (…). Son exposition pourrait presque s'intituler «Entre doute et certitude», car elle nous renvoie à une lecture sensuelle et émotionnelle. Ses œuvres révèlent une préoccupation pour un type de figuration et la condition humaine, comme en témoignent les visages de ses personnages, sûrs de leur immortalité, les silhouettes de ses personnages «inspirés» derrière lesquelles nous ne savons pas ce qui se cache, et qui nous fascinent par l'épaisseur de la matière colorée et lumineuse qui leur donne forme. Les lieux, paysages ou fonds traversent ses œuvres et sont décrits juste pour asseoir l'humain terrifié ou émouvant dans un environnement allant à l'essentiel. Les passions, les émotions, les motivations, les craintes, les doutes d'une sincérité effrayante s'accumuleront d'une manière obsessionnelle pour s'enquérir des vérités vitales. Hakkar aiguise systématiquement son regard introspectif pour les extirper, amenant la toile et le papier à se transformer en miroirs sur lesquels il couche les reflets du passé. Ses visages, représentatifs d'une identité perdue, celle de l'homme qui n'a plus de repères, sont en apparence doux et purs mais hantés par des pensées bien différentes ; Hakkar considère le visage comme le miroir de l'âme, qu'il transmet des sentiments profonds, parce que la forme même de l'œil recèle quelque chose de mystérieux qui nous interpelle en premier. Hakkar travaille par coup de cœur ; les pièces de son passé sont entassées au hasard, ses interrogations identitaires ou les déchirures de son âme s'expriment dans ses gestes, ses taches, ses traces comme une urgence sociale. De nombreux êtres perdus errent dans notre XXIe siècle en crise. Ils composent des peuples d'ombre que les concepts, l'abstraction, la technique projettent comme un chaos d'images dans son champ de vision. Sa peinture agit comme une forme d'expression personnelle, où ses expériences de vie deviennent la partie structurale de son art. Il explore les thèmes universels de la condition humaine et cherche la signification, la compréhension et l'espoir dans une société individualiste, hantée de matériel. En montrant quelques aspects de son œuvre, nous sommes saisis par la permanence de style rencontrée dans toutes ses séries. Les visages de femmes sont tantôt d'expression, tantôt à prendre comme des portraits. Ils sont traités avec une facture libre, à l'encre de chine parfois rehaussée de couleurs acryliques sourdes. La confrontation des visages permet de relever qu'ils sont tous habités d'une même profondeur. Ils portent les stigmates de l'urgence, de l'intériorité, de l'authenticité. (…) Au fur et à mesure, il change de technique et de matériel. L'œuvre frôle en permanence l'abstraction la plus totale sans y sombrer. Un rythme soutenu par des couleurs plus marquées et plus sombres orchestre ses œuvres récentes. Ses compositions fluides, lumineuses, furtives et insaisissables caractérisent parfaitement son désir de préserver un territoire particulièrement spectaculaire et spirituel. Le peintre a fait émerger avec sa technique une couleur qui règne en maître dans des compositions qui reflètent une émotion trouble. La puissance du trait, la fluidité, la lumière des peintures, des lavis, cette composition plastique parfaite nous livre un engagement du corps jusqu'à l'excès. Les vibrations picturales se laissent filtrer et s'assimilent à des traces d'humanité devenues témoignages d'un monde contemporain. On ne peut séparer la traversée de la vie de Hakkar de celle de sa peinture : elle est terrible, singulière, profondément émouvante mais réelle. Lazhar Hakkar a tantôt une palette de terre ocre qui suggère l'effacement ou le souvenir, tantôt des éclats de couleurs vives rouge, violet, vert réveillant des fonds assourdis. L'épaisseur de la peinture se raye de fils ou de couches différentes de camaïeu. La lumière, elle, baigne tout l'espace. (…) L'art doit être libre et créer des émotions. Pour arriver à son but, Hakkar utilise différents matériaux qui rendent son travail unique. Chacune de ses œuvres jaillit de sa sphère intime et trouve son origine dans le réel ; la matière se fait épaisse grâce à un procédé créatif direct et qui se manifeste sur la toile en différentes techniques. Il suffit de regarder ses tableaux où la force du signe s'exprime sans aucune médiation pour s'en persuader. La forme n'est qu'une interprétation de ce que l'on voit, ce qui importe c'est le sentiment qui s'en dégage. L'artiste ne pouvait plus peindre la grandeur de l'âme ou les profondeurs de l'inconscient sans établir une cohérence d'inspiration fondée sur la recherche de la spiritualité et la manifestation puissante d'une profonde humanité. (…) Devant les tableaux de Lazhar Hakkar, nous sommes d'abord fascinés par le foisonnement des couleurs, le crépitement de la lumière au rayonnement souvent mystique même s'il n'a pas renoncé à une certaine méthodologie qui crée une relation sincère et réciproque entre sa peinture et lui. Ce n'est pas un hasard si les titres de ses œuvres sont très travaillés et empruntés souvent à des poésies. Ils sont en effet importants pour donner à chaque œuvre une identité et leur donner une dimension indicible.