Dans cette région, les facteurs déstabilisateurs sont nombreux et développent des rivalités entre différentes forces territorialement proches les unes des autres. Mais, également, des problèmes de géopolitique interne existent. Les Touareg azawad du nord du Mali, du Niger, de Libye et du Burkina Faso posent un problème d'intégration aux pouvoirs respectifs de leurs pays. Ces populations, qui se sentent marginalisées des tissus politiques et sociaux de leurs pays respectifs, reviennent à la charge contre le pouvoir par des revendications de plus en plus récurrentes et parfois violentes et scissionnistes. Les récents bouleversements dans le Maghreb, surtout les confrontations armées en Libye, auxquelles bon nombre de combattants de ces régions ont été associés et qui se sont terminées par la chute du pouvoir dans le pays avec l'élimination de son leader, n'ont laissé aucune alternative à ces enrôlés du régime démembré, que de se replier sur leurs pays respectifs, en raflant au passage le maximum d'armes. Ce repli précipité, avec une configuration armée, allait réveiller des velléités de conquête. L'occupation du nord du Mali par ces groupes armés va aggraver la situation sécuritaire, déjà entamée par la criminalité organisée des narcotrafiquants et du terrorisme, dans la prise d'otages et le rançonnement. Ce qui va donner des dimensions géopolitiques et géostratégiques permanentes à la région auxquelles des puissances étrangères à l'Afrique ne sont pas en reste. Débordement vers une situation géostratégique Le 22 mars 2012, le coup d'Etat du capitaine Amadou Sanogo contre le président Amadou Toumani Touré (ATT) à la veille des élections présidentielles a déstabilisé toutes les instances de l'Etat et désarticulé les forces armées maliennes, dont la majorité a quitté ses positions du Nord à l'approche des rebelles touareg. Le coup d'Etat est condamné par Alger, Washington et l'Union européenne, sans plus. Le président Dioconda Traouré, désigné par intérim, a été évacué en France pour soins, après son agression du 21 mai. Cheikh Molibo Diara est désigné Premier ministre pour tenter de rétablir l'ordre constitutionnel. En avril, les rebelles touareg occupent le nord du mali et revendiquent une autonomie de l'Etat azawad (MNLA) (Déclaration à partir de la France par Hama Ag Mahmoud pour la création d'un conseil de transition). Ces groupes touareg, très mobiles sur des véhicules tout terrain, sont fortement armés. Des groupes armés, sous le nom de Ansar Eddine, en provenance de Libye, chassent les groupes touareg du MNLA du nord du Mali et progressent vers le Sud sur Tombouctou. Ils s'empressent de détruire les mausolées classés au patrimoine mondial de l'Unesco en déclarant leur intention d'imposer la charia dans le nord du mali. Ces groupes d'origine malienne, d'obédience islamiste, se rapprochent des groupes armés d'AQMI et du Mujao. Des groupes terroristes d'AQMI sévissent déjà depuis longtemps dans le Sahel. Un autre groupe terroriste, le Mujao, très impliqué dans la prise d'otages, (diplomates du consulat algérien encore sous leur menace), se développe également à l'ouest et au nord-ouest du Sahel dans le crime organisé (par le trafic de drogue, d'êtres humains, de migrants clandestins, d'esclavage, la prostitution et le blanchiment d'argent). Ces groupes ont profité de la chute du régime d'El Gueddafi pour se constituer un stock de guerre avec des armes de différents calibres, missiles sol-air, roquettes antichar. Une logistique conséquente, enterrée dans des zones sûres, leur permettant une grande autonomie de mouvement. Ils profitent d'une grande mobilité sur des véhicules adaptés au Sud et d'une grande furtivité grâce à la connaissance du terrain et leur capacité à évoluer dans des conditions météo difficiles. Ainsi se définit la posture militaire menaçante au Sahel d'une manière générale et particulière au Mali. Cette situation militaire très préoccupante, pour le Mali en premier, peut également générer une déstabilisation et une insécurité permanente pour l'ensemble des pays du Sahel. Elle interpelle à réagir pour rétablir une situation de paix et de droit constitutionnel qui garantirait la survie de la région. Dans cette optique, des initiatives africaines et étrangères à l'Afrique s'empressent de répondre au fait accompli. Ces initiatives sont pensées sous les aspects politique et militaire. Pour faire passer un recours à la guerre comme ultime solution, il est nécessaire de s'appuyer sur une résolution du Conseil de sécurité pour légitimer l'action. Aussi, le 26 septembre 2012, «le président François Hollande avertit à la tribune de l'ONU que toute perte de temps, tout processus qui s'éterniserait ne pourrait faire que le jeu des terroristes. Il pousse le Conseil de sécurité à donner son feu vert pour une intervention militaire au Mali, s/le chapitre VII de l'ONU» (Recours à la force quand la paix mondiale est menacée). Le 12 octobre 2012, le Conseil de sécurité, à la demande des autorités de transition du Mali tendant à ce qu'une force militaire internationale apporte son concours aux forces armées maliennes en vue de la reconquête des régions occupées du nord du pays, a adopté à l'unanimité de ses 15 membres la résolution 2071. Le conseil précise qu'il donnera suite à cette demande dès qu'il recevra le rapport du secrétariat général sur l'application de ladite résolution. (Le rapport a été remis le 26 novembre 2012). Cette résolution qui avantage l'option militaire donnerait si elle venait à être confirmée le feu vert pour une intervention militaire dans le nord du Mali et selon le plan des opérations établi par l'état-major des forces de la CEDEAO, qui constituent la force internationale de déploiement. La France et les USA se proposent de fournir un support logistique et de renseignement aux forces de la CEdEao, sans engagement terrestre de leurs forces qui resteront en «stand-off», (en retrait, avec risque nul). (Armons-nous et partez !). Étude de l'option militaire La décision d'intervenir militairement au Mali pour conforter les forces maliennes dans leur reconquête du nord du pays, habillée par une résolution du Conseil de sécurité, serait naturellement des plus légitimes au regard de la Charte des Nations unies. Néanmoins, elle n'aura pas consommé toutes les possibilités politiques pour l'éviter. Cette démarche précipitée, qui pousse à faire avaliser une décision d'intervention militaire sans la confronter à l'option politique, laisse penser à une attitude préconçue pour une action préétablie «Grand Moyen-Orient» ou «Europe de la Défense» qui se configurent en filigrane. Elle interpelle des spécialistes rompus au domaine de stratégie militaire à un débat sur l'opportunité de ce choix, qui ressemble étrangement aux guerres d'Irak et de Libye dans le fait accompli. Un débat qui va définir les limites de compétence entre le civil et le militaire pour une solution optimale dans l'action à entreprendre. De tout temps, la politique et ses voies diplomatiques ont prévalu pour juguler des crises et éviter des confrontations armées. La menace nucléaire a été pour beaucoup entre les deux blocs de l'après-guerre. Les terroristes de la mouvance islamiste (AQMI) sévissent depuis longtemps au Sahel avec des otages pris au Niger, au Mali, en Algérie et en Mauritanie sans pour autant susciter un désir d'en finir avec eux. Bien au contraire, ils ont été confortés par un apport financier pour mieux s'équiper. De ceux-là mêmes qui appellent aujourd'hui à la guerre et laissent la porte ouverte aux paiements de rançons. La criminalisation du rançonnement n'est pas à leur ordre du jour. Cette action militaire annoncée et qui ne vient pas encore va faire perdre, sans aucun doute, toute dissuasion des terroristes, du fait que les forces de la CEDEAO ne sont pas prêtes, et ce, avec ou sans confirmation de la décision du Conseil de sécurité de l'ONU. Une omission aussi importante dans les priorités et la préparation d'une guerre risque de rassurer les terroristes qui pourront donner libre cours à leurs exactions sur les populations civiles et détruire toutes les capacités de cet Etat. Les conséquences seront irréparables sur les êtres humains et leur environnement. Le débordement de ces terroristes est inévitable sur les pays du champ s'ils se trouvent pourchassés continuellement. Il est très peu probable qu'ils soient éradiqués rapidement. L'Algérie fait face à ce fléau depuis bien avant le 11 septembre 2001. La facture a été et reste très importante tant en vies humaines que dans les différents secteurs de l'Etat. Les Etats-Unis et l'Europe cherchent à se désengager en Afghanistan et en Irak, sans que le travail soit terminé et encore moins la paix retrouvée. Une intervention militaire dans les profondeurs stratégiques du Sahel ne peut pas être confinée uniquement dans un cadre de stratégie militaire, elle a besoin d'une réflexion sur les capacités globales du pays, puisqu'elle engage ses moyens humains, matériels et financiers. L'économie, déjà fragile des pays du Sahel, sera-t-elle en mesure de supporter l'effort de guerre ? A titre indicatif, les surcoûts de l'engagement français en Libye ont été évalués à plus de 300 millions d'euros, soit (environ 1 000 000 d'euros/jour, l'heure de vol de l'avion de combat Rafale, entre 11 000 et 13 000 euros, sans compter le ravitaillement en carburant en vol qui la portera à 29 000 euros. Les moyens militaires et civils assurant les missions des aéronefs de combat relèvent d'un budget spécial qui ne pourrait être avalisé par aucun Parlement. La logistique promise sera-t-elle adaptée et suffisante ? Que doit-on comprendre par support logistique ? L'expression ne doit pas être circonscrite uniquement au lexique des initiés. Il faut donner un meilleur éclairage pour une appréciation juste des efforts à consentir. L'effort dans ce cas de figure concerne surtout la «logistique de guerre». Elle doit accompagner le combattant terrestre jusque sur les lignes de contact avec l'ennemi. Ce qui nécessite des prépositionnements sécurisés des réserves de l'arrière vers l'avant en suivant toute la progression des troupes. Cette logistique devra répondre aux besoins (surtout armes, munitions, carburant, assurer la disponibilité des moyens de combat, de transmissions). Les autres aspects de la logistique ne sont pas des moindres, puisqu'il s'agit de l'intendance avec les structures sanitaires et humanitaires. Pour les besoins des moyens aériens, il faut nécessairement des terrains de déploiement équipés, pour la mise en œuvre des vecteurs aériens. Le tout rapporté au calcul du nombre de sorties prévues. Cet aperçu non exhaustif de la mission logistique, qui, a priori va être assurée sans engagement terrestre des pourvoyeurs, mérite d'évaluer sa faisabilité, si son acheminement sera dévolu à une partie des combattants prélevés sur le dispositif global de la CEDEAO. Les capacités de combat des forces (l'ordre de bataille) seront sérieusement amputées. Le ravitaillement par voie aérienne (aéro-largage ou posé d'assaut) engagera plus de potentiels avec plus de risques (besoin plus important d'une manutention spécialisée et d'une sécurisation des aéronefs cargos à l'atterrissage) . Mission de support renseignement Cette mission très importante est en fait l'affaire de tous : population locale et vecteurs aériens de reconnaissance et prises de vue aériennes, avions, drones pour la détection des groupes terroristes et conduite des vecteurs d'attaque pour leur destruction. C'est une mission qui est en général couplée à des moyens de riposte pour une intervention rapide et destruction d'objectifs. Cependant, l'exposition des hélicoptères à basse altitude sur des objectifs mobiles armés de moyens anti-aériens sera des plus difficiles pour obtenir des résultats probants. D'autres moyens plus adaptés pourront être mis à contribution. Au plan terrestre, la mission de renseignement peut être convenablement remplie par des guides de la population locale pour l'orientation et le repérage des lieux de repli. L'écoute radio et la localisation par radio-goniométrie peuvent être mises à contribution. Une mission complémentaire de la compétence des moyens aériens des Etats-Unis serait l'utilisation de drones armés, capables de détecter et de détruire des cibles terrestres avec pratiquement un risque nul. Ces moyens peuvent être utilisés contre la neutralisation des moyens anti-aériens. Matériels très sensibles qui nécessitent une autorisation de la Maison-Blanche pour leur emploi (risquent de générer des dommages collatéraux). Étude de l'option diplomatique Elle préservera sans doute plus de vies humaines que la guerre. Elle a le mérite d'être menée par des Africains pour l'intérêt commun de la région. C'est l'Afrique qui s'affirme. Ce qui contribuera à éloigner les velléités étrangères. Elle donnera plus de temps à la négociation pour démarquer les groupes touareg du MNLA et Ansar Eddine des groupes terroristes. C'est autant de forces qui pourraient combattre les terroristes si l'option de guerre venait à se profiler. Les forces de la CEDEAO ont besoin de plus de temps pour se préparer : ce serait une opportunité. La solution négociée peut être le point de départ pour une paix durable pour l'unité du pays. Elle pourrait faire tache d'huile pour inspirer les Touareg des pays voisins. Elle aura le mérite de confirmer encore une fois sa place dans une approche stratégique avant et non après la guerre. Elle ne sera pas très utile après guerre. Le recours à la guerre ne peut être envisageable que comme ultime solution en cas d'échec de l'action diplomatique, et ce, après une bonne préparation des forces à engager. Les préparatifs de la guerre d'Irak ont demandé plus de six mois par les forces US et leurs alliés. Conclusion Comment comprendre l'empressement des ministres de la CEDEAO à l'engagement à la guerre sous prétexte qu'il y a urgence, alors qu'ils n'ont ni les moyens, ni les ressources financières, ni la préparation des combattants et des moyens militaires. Ils déplorent même un «déphasage» avec Ban Ki-moon sur son rapport au Conseil de sécurité. Sur quoi se basent-ils pour entreprendre une telle aventure ? Ne voient-ils pas venir la déferlante qui a enfoncé dans les ténèbres de l'histoire bon nombre de pays d'Afrique et du Moyen-Orient et qui entame les contours du Sahel ? L'urgence est dans la parade aux plans initiés bien loin de notre région. Le GMO est à nos portes, il nous menace par une implication satanique. L'option diplomatique choisie par l'Algérie est louable, elle dénote une grande expérience dans la gestion des crises. Notre puissance régionale servira nos principes fondamentaux en évitant de briller pour autrui et encore moins de faire le sous-traitant.