Créée le 23 décembre 1991, le Gemihab (Groupe d'étude et de recherche sur l'histoire des mathématiques à Bougie) est sans doute l'une des associations culturelles les plus méritantes d'Algérie. Sa dénomination est peut-être trompeuse, car ses objectifs et ses actions la dépassent de loin. Il y a, certes, les mathématiques, mais dans une diversité étonnante : «mathématiques commerciales, sciences du calcul, sciences des héritages», auxquelles s'ajoutent l'astronomie, l'algèbre, la logique, les méthodes de navigation, la musique, etc. En fait, tout ce qui nécessite de compter et de calculer. Son domaine embrasse toute l'activité scientifique, depuis la période médiévale jusqu'au XIXe siècle, avec de riches connections sur la culture, l'art, la spiritualité, l'urbanisme et toutes les contributions de Bejaïa à la civilisation musulmane avec son ancrage dans le patrimoine amazigh. Vingt ans après, les résultats sont là, pour le moins spectaculaires. Reconnue d'utilité publique, l'association Gemihab a notamment permis de doter Béjaïa d'une bibliothèque de manuscrits, d'une banque de données, d'un centre de documentation, d'une photothèque et d'un Réseau international d'informations sur les sources de l'histoire de la ville, du Maghreb et de la Méditerranée ! Elle est derrière la création de deux musées : le Musée de géologie et le Musée de l'eau de Toudja. Son bilan se traduit en outre par des dizaines d'actions, dont plusieurs à caractère éducatif et culturel en direction de la jeunesse : le prix Saldae (pour les collégiens), le prix Ibn Hammad (pour les lycéens), le prix Ibn Raqqam d'astronomie, le projet internet et culture méditerranéenne (réseau de lycées du pourtour méditerranéen), le printemps des Olympiades de mathématiques à Bejaïa, la pièce de théâtre pour jeune public Léonardo Fibonacci à Bugia. L'action de l'association a d'ailleurs remis en lumière la vie et l'œuvre de ce grand mathématicien italien, dit Léonard de Pise (1170-1240), que son père, commerçant à Bejaïa, avait fait venir auprès de lui pour apprendre l'arabe, les mathématiques et les sciences en général. Aujourd'hui encore, les fameuses Suites de Fibonacci sont à la base, par exemple, du fonctionnement des ordinateurs. L'association a lancé de nombreux programmes de recherche à l'issue desquels elle a fait connaître au grand public des aspects importants du patrimoine de la ville : iconographie historique ancienne, manuscrits de la ville, ouvrages de Cheikh Aheddad (Silsila et Idjaza), échanges intellectuels entre Bejaïa et Tlemcen… Très active également au plan du patrimoine matériel, elle a œuvré à la valorisation – et, parfois, au sauvetage – de plusieurs sites et monuments de la région comme la zaouia de Chellata, des caveaux puniques, la médersa Yaqoubiya, la tineemert (lieu de rencontre ?) de Cheikh Oubelkacem Boudjellil, etc. A partir des vestiges de différentes époques, elle a conçu un circuit du patrimonial régional. Grâce à son activité, la ville de Bejaïa a pu adhérer à la Conférence permanente des villes historiques de la Méditerranée (1999) de même que dans la Commission euro-méditerranéenne (2000). On doit encore à Gemihab l'organisation de nombreux événements scientifiques et culturels internationaux : l'édition 2000 de l'International Mathematical Union, le 800e anniversaire de la publication du Liber Abaci (ouvrage fondamental de Fibonnaci), le 600e anniversaire de la mort d'Ibn Khaldun, l'Année mondiale de l'astronomie, le 150e anniversaire de la naissance du président portugais Manuel Texeira Gomès (exilé et décédé à Béjaïa), le 115e anniversaire du séjour à Béjaïa de Louis de Habsbourg, Archiduc d'Autriche, le 600e anniversaire de la naissance du mathématicien andalou Al Qalasadi… L'association Gemihab est sollicitée par les pouvoirs publics et diverses institutions nationales et internationales pour des études et missions. La liste de ces dernières est impressionnante, tant en nombre qu'en qualité. Elle a rédigé les aperçus historiques qui figurent dans les documents de présentation de Béjaïa et de son territoire, comme l'Annuaire statistique de la wilaya. Elle a participé au rapport sur le bilan de la médiature de la République et elle est membre du conseil d'orientation de la Maison de la culture comme de la commission de wilaya des biens culturels, de la commission techniques historique du Plan de développement et d'aménagement urbain, de la commission technique de la Bibliothèque de lecture publique… En 2001, le wali de Béjaïa lui a confié le projet de création du Conseil consultatif de la culture de la wilaya. En 2009, le ministère des Awqafs l'a sollicitée pour concevoir le programme scientifique du colloque national «Amazighité et Islam». Enfin, au mois de juin 2012, le ministère des Affaires étrangères a intégré Gemihab dans la délégation de l'Algérie à la Conférence de Rio + 20. Le rayonnement de cette association lui a valu de nombreuses distinctions, dont la médaille de l'université de Pise pour ses travaux sur les rapports du mathématicien Fibonacci avec Béjaïa (1994), la médaille de la ville de Lisbonne pour la vulgarisation du séjour du président Gomès (1997) ou encore le prix de Reconnaissance Mouloud Mammeri, en 1997, pour la découverte, la restauration et la valorisation d'Afniq n'cheikh Lmuhud, première et unique bibliothèque savante de manuscrits cataloguée de Kabylie. L'association Gemihab a été, de plus, nommée au Collège d'experts de la Conférence permanente des villes historiques de la Méditerranée dont le siège est à Alghero en Sardaigne. Sa présence dans le champ éditorial est particulièrement appréciable. Elle a participé au Dictionnaire biographique de la Kabylie (Edisud, Paris, 2001) et s'est signalée par de nombreuses contributions de haut niveau publiées dans des revues scientifiques en Algérie, en France, en Italie, en Hollande et aux USA. C'est dire que, sous la houlette dynamique de son président, l'universitaire Djamil Aïssani, elle n'a pas cessé de déployer, au cours des deux dernières décennies, une présence scientifique et culturelle remarquable, puisant dans les ressources intellectuelles de Béjaïa et faisant appel à toutes les compétences nationales et internationales disponibles. C'est pourquoi elle a choisi de célébrer son anniversaire en rendant hommage à vingt-huit personnalités intellectuelles, aujourd'hui disparues, qui ont participé à ses rencontres, travaux de recherche, etc. On y compte de grands noms du savoir en Algérie, à l'instar du grand penseur et essayiste, Mostefa Lacheraf, ou des historiens émérites comme Mahfoud Kaddache, Moulay Belhamissi et Mouloud Gaïd. Plusieurs étrangers, renommés dans leurs domaines, figurent sur cette liste : Lucien Golvin, spécialiste du patrimoine algérien, le professeur Mohammed Souissi (Tunisie), Michel Ballieu (Belgique), Jacques Augarde (France), Marco Tangheroni (Italie) et d'autres encore. L'hommage prévu intègre également des hommes de «terrain», comme l'avocat Mahieddine Djender de Tizi Ouzou, membre fondateur de Gemihab, ou d'illustres figures de la tradition spirituelle comme les cheikhs Az Ruq Mechehed et Ouali Sabkhi de Kabylie ou Cheikh Guessoum de Annaba. Le souvenir de Nedjma Abdelfettah Lalmi (Alger) – auteure d'un précieux travail de mémoire sur Béjaïa qu'elle avait pu achever avant de partir à la fleur de l'âge – sera sans doute très présent durant cette rencontre programmée au Théâtre régional de Béjaïa Malek Bouguermouh, aujourd'hui à 14h. Le programme de cet après-midi s'achèvera sur la représentation de la pièce Mashdaly zwawi fi Tilimsan, produite par le TRB en collaboration avec le Gemihab, dans le cadre de Tlemcen 2011, capitale de la culture islamique. Cette œuvre se présente comme une incursion vivante du 4e art sur les terres du savoir et de la pensée qui rayonnaient durant des siècles que l'on disait obscurs. Finalement, alors qu'elle pourrait, en raison de son apport considérable, s'offrir un anniversaire «en fanfare», l'association Gemihab a préféré proposer un programme sobre et chaleureux. En somme, tout à fait à son image.