De notre correspondant à Béjaïa Kamel Amghar Parler de culture revient à évoquer des valeurs éthiques et esthétiques, à traiter des techniques et des méthodes de production et de conception, à esquisser continuellement des perspectives nouvelles et à dégager des horizons neufs. Ainsi, la culture ne peut être dissociée de l'identité, de l'histoire, de la mystique, de la science, de la recherche et de la prospective de ce devenir qui se distingue à peine au loin. C'est, en quelque sorte, un miroir dans lequel le passé, le présent et le futur s'entremêlent pour façonner les rêves, les joies et les déceptions collectives et individuelles. Souvent engagée et militante, parfois fêtarde et mondaine, la culture est un écrin qui recouvre les idées et les réalisations. Elle est profonde, complexe et légère à la fois. Le rôle premier d'un collectif, d'une association ou d'une fondation culturelle est justement de disséquer tout cela, de valoriser les héritages matériels et immatériels, de vulgariser cette pensée qui crée le lien pour nous aider à prendre conscience de nous-même. C'est dans cet esprit que s'inscrit l'action du Groupe d'étude sur l'histoire des mathématiques à Bougie (GEHIMAB), une association à but non lucratif qui se fixe comme principale mission de contribuer à l'exhumation des témoignages sur les activités scientifiques à Béjaïa, de l'époque médiévale au XIXe siècle (mathématiques commerciales, sciences du calcul, sciences des héritages, astronomie, astrologie, algèbre, méthodes de navigation, logique, musique…). Le groupe, qui rassemble des universitaires, des artistes, des étudiants et de simples citoyens, a énormément contribué à la réanimation de la scène culturelle locale en étendant ses activités à d'autres domaines de la science et du savoir, comme l'anthropologie, l'histoire, les arts, la jurisprudence, les pratiques religieuses, le soufisme, entre autres référents de notre mémoire commune. Depuis sa fondation en 1991, GEHIMAB s'est imposé comme un acteur incontournable de la vie culturelle en Kabylie et bien au-delà, à travers ses contributions régulières, ses entreprises multiples, ses manifestations thématiques et ses projets éducatifs et culturels au profit des enfants auxquels il a institué le prix Saldae (pour collégiens) et le prix Ibn Hammad (pour lycéens). On lui doit, notamment, une riche exposition sur «les rapports intellectuels entre Béjaïa et Pise» (Leonardo Fibonacci, Raymond Lulle…) en 1993, une restitution bibliographique sur «le mathématicien Eugène Dewulf (1831-1896) et les manuscrits médiévaux du Maghreb» en 1994, l'exhumation et la valorisation de la khizana de cheikh L'muhub Ouartilani, «une bibliothèque savante de manuscrits au fin fond de la Kabylie» en 1996, un brillant éclairage datant de la même année sur l'«influence de la pensée de cheikh Aheddad sur la vallée de la Soummam et le Sud-Est algérien», un colloque international sur «la ville de Béjaïa et sa région à travers les âges» (histoire, société, science et culture) en 1997, une remarquable participation au séminaire national sur l'enseignement des mathématiques en Algérie en 1999 à Alger. L'association a également dépoussiéré, au cours des années 2000, la pensée et l'œuvre de plusieurs savants comme le sociologue Abderrahmane Ibn Khaldoun (1332/1406), le jurisconsulte Abderrahmane Al Waghlissi (XIVe siècle), l'astronome Saïd Ben Ali Sherif (XVIIIe siècle), le bio-bibliographe Ghobrini (XIIIe siècle), l'historien Ibn Hammad (XIIe siècle), le voyageur L'hocine Al Wartilani (XVIIIe siècle), les mathématiciens Ribaucour et Arago, ou l'ancien président portugais Teixeira Gomès qui s'est exilé à Béjaïa de 1931 à 1941, etc., en participant à la restauration de plusieurs œuvres et sites culturels de la région. On retiendra dans ce registre le rôle de l'association dans la réhabilitation de nombre d'objets artistiques comme la statue le Zéphir du sculpteur Eugène Morioton (square Pasteur), la sauvegarde de la galerie de peinture et des arts graphiques Emile Aubry, la restauration des toiles du peintre Lucien Fontanarosa, le suivi des travaux de confortement et de réhabilitation de Fort Gouraya, de Timmamert Ichelladen (Institut coranique) (Akbou), du caveau punique. L'intervention pluridisciplinaire de GEHIMAB porte aussi sur l'Internet, la coopération inter-associative et la collaboration à la mise en place d'institutions et d'établissements culturels comme le musée géologique de Béjaïa et celui de la mer projeté dans le château de la Comtesse (Aokas). L'association, partenaire de plusieurs institutions culturelles internationales, a déjà eu plusieurs prix et titres honorifiques pour son action reconnue d'utilité publique, dont on citera la médaille de l'université de Pise (1994), celle de la ville de Lisbonne (1997), le prix de reconnaissance Mouloud Mammeri (1997) et une nomination au collège d'experts de la CPVHM (Conférence permanente des villes historiques de la Méditerranée, dont le siège est à Alghero-Sardaigne). En somme, l'association, qui développe toujours une foultitude de projets en parachevant des ateliers déjà en cours, fait figure d'acteur incontournable de la vie socioculturelle de la wilaya de Béjaïa. Sa contribution est incontestablement prépondérante dans la valorisation et la sauvegarde de la mémoire et de l'identité culturelles de l'Algérie.