Skikda s'effrite à vue d'œil et les éboulements et autres glissements de terrain ne cessent depuis plusieurs semaines de raviver les craintes des populations de plusieurs zones et quartiers de la ville. Les experts, qui ont eu à voir de près la situation, s'accordent presque tous à affirmer qu'elle est « assez catastrophique et serait beaucoup plus préoccupante que celle vécue par la ville de Constantine ». Lundi dernier, M. Bellazougue, directeur du Centre du génie sismique (CGS), qui était en mission à Skikda, a qualifié la situation de « très sérieuse ». Il sera rejoint par M. Benchiheb, président-directeur général du Contrôle technique des constructions de l'Est (CTC Est) qui a estimé que « l'état actuel des sites touchés est préoccupant ». Un autre expert, M. Hijeb, géotechnicien et chef de département du génie civil à l'université de Skikda, avance : « Le phénomène commence à prendre les proportions d'une véritable catastrophe nationale qui dépasse de très loin les capacités d'intervention locales. » Le maire de Skikda, qui lance carrément un appel pour que la région soit déclarée zone sinistrée, dira : « Le phénomène d'éboulement prend des dimensions importantes et nécessite l'intervention de tout le monde. L'avis d'experts internationaux est plus que nécessaire. On doit agir dans l'urgence en mettant tous les moyens adéquats, car ceux dont nous disposons localement restent insuffisants. » Ce phénomène, qui frappe de plein fouet Skikda, était au départ localisé dans quelques zones à risque, avant d'altérer plusieurs autres lieux. Les chinois à la rescousse A ce jour, onze sites répartis sur l'ensemble de la périphérie de Skikda sont concernés par le sinistre et les endroits les plus endommagés se localisent au niveau de la Résidence - en plein centre-ville -, de la route de la corniche et de la route supérieure de Stora ainsi qu'à Beni Malek. Le cas de La Résidence est de loin le plus inquiétant. Tout un talus s'est effondré sur l'équivalent de deux étages, opérant, selon les dires d'un expert, de grands bouleversements dans la topographie du site, rendant ainsi impossible toute intervention directe sur les lieux. D'ailleurs, une entreprise chinoise, appelée à la rescousse, a refusé de s'engager, estimant que toute intervention mécanique était impossible vu l'exiguïté du site. Sur la route de la corniche, des restaurants, des villas ainsi qu'un hôtel désaffecté ont été totalement ébranlés par les poussées des éboulements provenant des hauteurs. L'ampleur du choc a engendré de graves fissurations dans les bâtisses, obligeant leurs propriétaires à les quitter, la mort dans l'âme. Sur la route supérieure de Stora, la chaussée s'est affaissée de plus d'un mètre et risque d'entraîner les villas construites à quelques mètres. Le même constat est à relever sur d'autres sites. A Beni Malek, à l'îlot des Chevriers, à Bouyala, à Borj H'mam, à Bouabbaz, à Zeramna ou à Boulkeroua, le même constat est relevé. A ce jour, les services communaux ont évacué plus de 35 familles et le sol reste a priori instable, d'où la crainte de l'exacerbation du phénomène. La délégation que conduisait lundi M. Bellazougue, accompagné par des responsables et des élus locaux, a eu à relever, souvent avec inquiétude, l'ampleur des dégâts. Au sujet des causes éventuelles de ce sinistre, M. Bellazougue, dans une déclaration à El Watan, tiendra d'abord à préciser : « Nous sommes aujourd'hui à Skikda pour constater les dégâts occasionnés. Il y a des sites sérieusement menacés. Nous allons étudier la situation convenablement afin d'envisager un train de recommandations pour y remédier. Seul l'engagement d'une étude d'experts pourrait nous renseigner davantage et nous permettre d'y apporter les appréciations nécessaires. » Au sujet des causes éventuelles de ces éboulements, il dira : « La région a enregistré ces derniers temps une pluviosité très importante qui n'est pas sans incidence sur le sol. » Irresponsabilité et insouciance Et d'ajouter sans trop de détails : « Il y a aussi l'effet de l'urbanisation anarchique. » M. Hijeb estime, quant à lui, que la cause principale est certainement due aux dernières précipitations, sans occulter les facteurs aggravants causés généralement par l'intervention de l'homme. En effet et sur chaque site visité par la délégation, il était facile d'en déduire les facteurs aggravants ayant conduit aux glissements ou aux éboulements. Une réalité confortée par la géologie du sol de Skikda de nature schisteuse en plus d'une topographie caractérisée par de fortes pentes. Quoique l'irresponsabilité et l'insouciance érigées en mode de gestion depuis des décennies restent a priori le premier catalyseur de tant de dégâts. La plupart des accidents survenus ont eu lieu sur des sols anarchiquement urbanisés, non viabilisés, déboisés ou tout simplement perturbés par des terrassements. « La terre a bougé là où on a touché », commentera un technicien du CTC. A cet effet, les exemples des éboulements de la route supérieure et de Beni Malek sont des plus éloquents. Des citoyens rencontrés sur les lieux affirment qu'ils ont attiré à plusieurs reprises l'attention des autorités locales. L'un d'eux déclare : « Il y a quatre ans, un glissement de terrain s'est produit juste à cet endroit (la route supérieure, ndlr). Comment a-t-on depuis accordé des permis de construire sur ce site ? Pourquoi autoriser des citoyens à construire sur des remblais jonchés sur des pentes ? Comment laisser des pans entiers de bâtisses implantées sur les amonts sans réseau d'assainissement ni caniveau pour drainer les eaux pluviales. Comment voulez-vous, avec tout ce laisser-aller, que la terre ne glisse pas ? C'est un véritable désastre. C'est un crime. »