On a vu l'évacuation en toute urgence de pas moins de 24 familles et le danger persiste toujours. Face à l'impuissance, on se limite aujourd'hui à espérer qu'il arrête de pleuvoir et que les sols altérés s'assèchent pour intervenir et éviter le pire bien que celui-ci soit déjà là, puisque la ville n'a jamais enregistré un bilan aussi inquiétant. Comment Skikda est-elle arrivée à ce cauchemar ? Est-ce l'effet des dernières averses ou plutôt est-ce là les conséquences d'une gestion chaotique de l'espace, du foncier et de l'urbanisation ? Selon un technicien du Contrôle technique des constructions (CTC), la topographie de Skikda est assez particulière et devrait en principe amener les responsables à prendre en considération les phénomènes de pente qui caractérisent son sol. Le tissu urbanistique de Skikda est singulier en ce sens qu'il se présente en pentes allant de 5% à plus de 40% et, sur le plan de la géologie, le sol est constitué de schiste, une roche susceptible de se « débiter » en feuilles. A ce sujet, le technicien du CTC mentionne que « cette roche devient assez vulnérable au contact de l'eau qui, une fois infiltrée entre ses couches (feuilles), favorise ce qu'on appelle l'effet de savon ». Un jargon qui signifie tout simplement le glissement sous l'action de l'eau d'une couche sur une autre. La surface qui glisse entraîne avec elle remblais, terre végétale, bâti... Dans le cas des glissements de terrain enregistrés dernièrement, on constate aussi bien à la Résidence qu'à l'îlot des Chevriers des chutes de blocs de schiste accompagnées de terre végétale ou de remblais. Dans ses explications, le directeur du CTC de Skikda fait ressortir l'immense altération des sols qui serait due essentiellement à l'eau. « Nous sommes intervenus sur chaque site touché et nous avons constaté que les glissements ont été, dans leur plus grande partie, causés par les eaux pluviales » en mentionnant également le rôle érosif des fuites relevées sur plusieurs réseaux d'assainissement et d'eau potable. D'ailleurs, la principale recommandation du CTC était de dévier les réseaux et d'assécher les sites. Cependant, et même si la force des eaux pluviales a été assez importante pour déplacer les couches supérieures de plusieurs talus, il n'en demeure pas moins que cette situation a été aussi accompagnée, voire encouragée, par l'intervention de l'homme. Car étrangement les derniers glissements de terrain n'ont pas été enregistrés dans des zones inoccupées, mais ils se localisent plutôt là où le sol a été « dérangé » dans l'anarchie la plus totale. Le directeur du CTC se contentera de dire : « Cela a bougé là où on a touché ! » Une phrase qui consolide une réalité bien présente. A la Résidence, par exemple, le talus qui s'est affaissé et qui a couvert l'équivalent de deux étages, a été totalement dénudé de son couvert végétal au cours des années 1990. Faut-il encore rappeler l'étrange opération de « défrichement » commandée par l'APC afin de nettoyer les lieux ? A Béni Malek, les deux glissements qui se sont produits ont été engendrés par l'urbanisation anarchique propre à l'époque zeroualienne quand chacun pouvait bénéficier d'un lot de terrain et y construire. Et en l'absence de contrôle, les permis de construire seront distribués tels de petits pains. Le CTC n'a jamais été consulté. On fait appel à ses services que lorsqu'on se retrouve dans l'obligation. C'est-à-dire quand cela s'écroule. A Stora, c'est encore l'homme qui est venu perturber son propre milieu en décidant de défricher les talus presque perpendiculaires afin d'y planter une culture vivrière, généralement de la fraise, et ce, en l'absence des services concernés. Et quand on relève que « parmi les facteurs conditionnels de l'érosion, le couvert végétal est certainement le facteur le plus important puisque l'érosion passe de 1 à plus de 1000 tonnes » selon un rapport de la FAO, on comprend aisément ce qui vient de se passer. L'éboulement du Casino, qui a failli coûter la vie à des dizaines de citoyens, a été plus ou moins provoqué par les travaux de construction en amont. Et sur ce point un technicien du CTC rapporte : « Nous sommes peut-être le seul pays qui construit avant de viabiliser. » C'est-à-dire que l'ensemble des voiries et des réseaux est souvent négligé, chose qui crée une anarchie dans le drainage des eaux pluviales et des eaux usées. Quant à l'imposant éboulement de l'îlot des Chevriers, ne serait-il pas dû aux grands travaux qui durent depuis plus de quatre ans afin de bâtir une gigantesque coupole ? Ne serait-ce pas là l'effet de la déforestation engagée il y a quelques années avec le massacre, en moins d'une semaine, de toute une forêt de pins ? Un espace qui représentait un véritable repère et qui apportait un peu de verdure dans un paysage aride. Il serait bon de savoir aussi que Skikda est peut-être l'une des rares grandes villes qui ne dispose pas d'une carte de ses réseaux. C'est une réalité que les éboulements ont mis au jour. Ainsi, on apprend que suite aux éboulements de la Résidence, le CTC avait recommandé de dévier toutes les canalisations afin de permettre l'assèchement du sol. Seulement, et c'est étrange, on avait relevé que malgré l'obstruction des réseaux aux endroits concernés, l'eau fuyait toujours. D'où venait cette fuite ? Personne ne le sait ! Et c'est là le véritable drame de Skikda.