– Que représente le FIMAMA (Festival international de musique andalouse et des musiques anciennes) pour vous ? C'est un magnifique carrefour où se retrouvent des musiciens de plusieurs pays comme l'Iran, l'Italie, l'Inde, l'Allemagne, l'Espagne et l'occasion pour nos jeunes musiciens d'approcher des artistes de talents. A l'origine du Fimama, un homme, Rachid Guerbas, qui a voulu en faire le rendez-vous incontournable des adeptes des musiques anciennes et il a réussi son pari. Pendant le festival, les gens se côtoient, se parlent et échangent. Ce qui se passe dans les coulisses et que le public ne peut pas voir est probablement un des aspects les plus positifs de cette manifestation. Les artistes s'interrogent les uns les autres sur les instruments peu courants présentés ou encore sur des techniques instrumentales. C'est très enrichissant. Le maître du luth, le musicien syrien Muhammad Qadri Dalâl, a été particulièrement sollicité et il a volontiers expliqué les techniques et donné des conseils. Ce festival est bénéfique aussi dans ce sens qu'il permet des comparatifs entre musiques. On sent la réelle proximité entre les musiques indienne et persane et leur rapport à l'andalou. Les frontières s'estompent et les cultures se rapprochent. Les musiciens étrangers viennent parfois pour la première fois. Souvent, ils découvrent notre musique et c'est là que le festival prend toute sa dimension de réel point d'orgue. Cette image peut sembler idyllique, mais pendant dix jours nous sommes dans une autre dimension.
– Comment en est-on arrivé à l'Ensemble maghrébin ?
Une belle expérience, très particulière, qui est un des aboutissements de la nouvelle politique culturelle que nous vivons depuis l'arrivée de Mme Khalida Toumi la tête du ministère de la Culture. Dès son accession à ce poste, elle a montré un intérêt marqué pour tout ce qui est sauvegarde du patrimoine national. L'ensemble Maghrébin est la suite logique de la création des ensembles régionaux et de l'ensemble national. Il faut reconnaître que si la ministre de la culture n'avait pas décidé d'institutionnaliser les festivals, nous n'en serions pas là aujourd'hui. En plus, elle a subtilement choisi Rachid Guerbas pour lui donner la responsabilité d'organiser le tout : à Alger le festival sanaa, à Constantine celui du malouf. Il ne reste plus qu'à faire revivre et institutionnaliser le festival gharnati à Tlemcen. Il y a le festival du haouzi, mais ce n'est pas la même chose, il s'agit de deux répertoires différents.
– Parfois, on se demande quel est l'intérêt d'autant de festivals. Qu'en pensez-vous ?
L'intérêt et le but des festivals est la promotion des jeunes associations, et par là-même celle des jeunes talents. Au cours des festivals sanaa et malouf, il y a des concours qui encouragent les associations à la recherche du programme inédit le plus original, le plus stylé, le plus respectueux de la tradition, de la rythmique. Les festivals permettent de faire la promotion de cet art auprès des jeunes générations et, en même temps, cela participe à sa conservation. La rencontre entre les associations provoque et entretient une émulation qui les pousse à se concurrencer et se surpasser. Quand les associations viennent régulièrement concourir, elles sont dans l'obligation de présenter un programme nouveau à chaque fois. Le public le sait et les attend. Des habitudes sont prises, on entend des commentaires très précis faits par le public dans la salle de spectacle. Au final, l'association lauréate participe au Festival international de la Musique Andalouse et des Musiques Anciennes en invitée spéciale. A côté des festivals, il y a eu l'idée géniale de la création des ensembles régionaux. Il est vrai que quelques tentatives ont été faites par le passé, mais sans réelle implication des autorités compétentes, elles n'ont pas abouti. De plus, l'union des trois ensembles a donné l'ensemble national de musique andalouse.
– Les ensembles régionaux sont de fait différents. Et, en même temps, il y a un ensemble national. Comment cela est-il possible ?
L'art musical andalou algérien est exprimé de trois manières différentes. Les uns parlent de trois styles, et d'autres de trois écoles (Tlemcen, Alger et Constantine). On pourrait même parler de trois pôles musicaux. Toujours est-il que nous avons un répertoire poétique quasi-identique, à quelques pièces près. Nous interprétons différemment les mélodies, et les rythmes sont particuliers d'une région à une autre. Ceci augmente la richesse du patrimoine. La maîtrise des répertoires dont fait preuve Rachid Guerbas lui a permis de concevoir des programmes qui lient les trois. Interpréter une nouba dans un même mode avec des musiciens venant de trois écoles différentes était complexe au départ. Il fallait en particulier gérer les différents rythmes. Le tout était de trouver la bonne passerelle, d'une pièce à une autre, et réussir à les unir de façon cohérente pour que le public ne soit pas brusqué par la rupture qui aurait pu exister entre une mélodie tlemcénienne et une autre constantinoise par exemple, et aussi en maintenant un équilibre dans les progressions rythmiques. L'ensemble national s'est ainsi produit et a rencontré un franc succès. Lors des premiers essais, les mélanges étaient bizarres et parfois choquants. En les travaillant, ils ont recueilli l'adhésion générale des musiciens. Comme je l'ai précédemment dit, c'est une expérience particulière et enrichissante.
– Est-ce sur ce modèle que s'est créé l'ensemble maghrébin ?
Oui, en grande partie, mais avec une difficulté supplémentaire : unir l'andalou d'Algérie, la ala du Maroc et le malouf de Tunisie ! Les musiciens maghrébins disposent des mêmes diwans (répertoires). Ils ont un grand fond commun et quelques particularités. Des musicologues attribuent le mode achaq et le mode isthlal aux Marocains, le mezmoum à Sousse, en Tunisie ; le mouvement inciraf n'existe qu'en Algérie, ainsi que d'autres aspects qui augmentent la richesse du patrimoine maghrébin. Pour la clôture du FIMAMA 2012, en plus des musiciens venus de Constantine, de Tlemcen et d'Alger, il y a avait l'ensemble Abdallah El-Makhtoubi du Maroc et l'ensemble malouf maghrébin de Sousse, dirigé par Fethi Bousnina. Nous étions 69 ! Les programmes avaient été envoyés au préalable pour que chacun travaille de son côté et, une fois à Alger, les répétitions de mise au point ont eu lieu. Il y avait beaucoup de complicité et d'harmonie malgré la différence d'exécution instrumentale. Pour ce programme, Rachid Guerbas, disons-le, est un des rares chefs d'orchestre à avoir cette capacité à maîtriser les répertoires des pays du Maghreb et rassembler tout le monde dans une nouba où se sont mêlés le mode isbihane de Tunis, le mode zidane d'Alger, Tlemcen et Constantine, et le mode hidjaz el kabir marocain. Il s'avère que tous s'imbriquent parfaitement et, dans cette nouba maghrébine, on a ressenti une réelle progression rythmique accompagnée des chants. C'était un bonheur unique.
– On vous sent vraiment très enthousiaste…
Oui, parce que je crois sincèrement que nous vivons actuellement un tournant décisif dans la manière d'appréhender l'art musical andalou. Les échanges que permettent les festivals et les programmes travaillés dans ces différents ensembles ouvrent de belles perspectives d'avenir. L'andalou reste un art unique qui s'ouvre un peu plus au public national et international grâce à d'autres initiatives du ministère. Aujourd'hui, et grâce à Dieu, nous avons un ministère actif, à l'écoute des gens de culture et une ministre qui fait confiance aux artistes, qu'ils soient écrivains, plasticiens, musiciens. Il y a enfin de la promotion, de l'innovation et de la création. J'espère que cet élan continuera.