Pour établir l'acte de la fridha, il a eu fort à faire avec le mépris de certains agents. Il jure, par tous les saints patrons de Novembre, ne rien vouloir d'autre que « juste un peu plus de considération », dit-il. Il s'appelle Bahri Mohamed, il est fils et frère de chahid. Chahid au pluriel, comme c'est le cas pour des centaines de milliers de familles algériennes qui ont étét amputées d'un ou de plusieurs membres pour que renaisse la patrie. Son père, Lahbib Bahri, enlevé par les paras à La Casbah en 1957 et porté disparu depuis ; son frère, Ali La Pointe, Ali Amar, de son vrai nom, un héros national. « En ce premier novembre, je voudrais dire toute ma gratitude au Président. N'hayik sid raïs (chapeau Monsieur le Président) ! » L'obséquieuse et ironique boutade de Mohamed a pour motif : la bureaucratie dans toute sa splendeur. Pour établir l'acte de la fridha (acte notarié) spécifiant les ayants droit à la pension d'ancien moudjahid et fils de chahid, Mohamed a eu fort à faire avec le mépris de certains agents de l'Etat. Le notaire exigera de lui la présentation du livret de famille de son défunt père ; un document qu'il ne détient pas. Pour se faire délivrer une copie du livret en question, il se présente à la mairie de Miliana, fort des « attestations communales de membre de l'ALN de l'OC (organisation civile) ALN » portant les noms de son père et frère. « Je dois vous dire d'abord que j'ai été reçu comme un malpropre. Le préposé au guichet de l'état civil refuse de considérer les attestations en question et exige soit un extrait d'acte de décès de mon père, disparu pendant la guerre, ou une déclaration de perte du livret de famille. Sur ces entrefaites, je cours vers le commissariat de Belfort, (El Harrach), là aussi, on ne veut rien savoir et rien me délivrer. Un des officiers me reçoit. Je lui fais un topo de la situation sans lui dire que j'étais le frère à Ali La Pointe. Il m'interroge avec dédain. Ton père est vivant ? Non. Il est mort… chahid… disparu… ta mère ? Aussi, décédée. Alors, t'as pas le droit… » Mohamed se dit « désabusé », « perdu ». « A qui dois-je m'adresser si ce n'est au Président en personne. Si j'ouvre droit à cette pension, comme le stipule la loi relative au chahid et au moudjahid adoptée en 1999 et au décret exécutif portant revalorisation des pensions de moudjahidine et des ayants droit des chouhada de 2008, pourquoi me la refuse-t-on ? », s'interroge-t-il. Les voies de l'administration sont-elles à ce point impénétrables !