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La gestion de la ville : le désarroi des politiques

Que ce soit dans les discours des cafés, des réseaux sociaux ou même du président de la République, tous se rejoignent pour dire que «nos villes sont sales»(2) et décrient ce confinement de l'action urbaine dans cet énième et occasionnel, ravalement de façades, cette peinture des trottoirs et des arbres et cette construction dans l'urgence des blocs de béton et des cités dortoirs. La politique urbaine et la gestion de la ville, en Algérie, sont touchées par un strabisme chronique, pour ne pas dire une cécité. Malheureusement, ni la politique de l'habitat usitée, usée et obsolète depuis «l'ère Boumediene», ni les thèses farfelues des socialo-économistes, dénudées de toute logique urbaine, ni même les expertises des ingénieurs du tout béton armé, qui pullulent dans la presse, ne peuvent répondre aux attentes d'une ville en pleine mutation. La sauvagerie a atteint son paroxysme dans ce pays, le ridicule et la médiocrité ont un effet nocif sur le comportement du citadin et polluent son urbanité.
Toutes les théories exposées se valent. Elles nous parlent de nos gènes destructeurs, violents, de nos descendances, de la mémoire, de notre économie ou nos composantes sociologiques et j'en passe des théories les plus abjectes. Elles n'ont rien apporté de constructif à l'architecture urbaine et à l'urbanité.(3) A contrario, elles ont participé et participent encore à la «clochardisation de la cité». «Vous faites tout sauf de l'architecture», reprochait un jour mon enseignant, M. Guillois, à l'ensemble des universitaires de l'Institut d'architecture. Si seulement on pouvait voir, diagnostiquer et apporter une solution à ce mal : l'espace public est un espace violé, défiguré, balafré par ces multiples verrues que le propriétaire algérien (qu'il soit citoyen ou Etat) greffe sur les éléments qui forment l'espace urbain dans son ensemble : rues, places, trottoirs, façades, loggias, balcons, rien n'est épargné.
Tout ça devant l'impuissance des hommes de loi, d'abord, et le silence surprenant des architectes et urbanistes. Il faut comprendre l'origine du mal et comment l'espace public est malencontreusement approprié au vu et au su de tous. Commençons par ce niveau outrepassé. En bitumant parfois deux à trois couches au-dessus, ce qui représente environ 40 à 60 cm d'épaisseur, un bouleversement de tous les fonctionnements techniques de la chaussée apparaît. Les niveaux se confondent, les trottoirs se retrouvent au-dessous de la chaussée, les siphons ainsi que les avaloirs, engloutis lors des fortes précipitations, ne fonctionnent plus et rendent les rues impraticables.
Ainsi, l'Etat se dérobe face à ses responsabilités, laissant les espaces publics et les trottoirs aux mains des uns et des autres. Le propriétaire rehausse son trottoir, le personnalise, et, par précaution, car il est de nature très maligne et prévisionniste, pour ne pas dire équilibriste, construit sa bâtisse de façon à être plus haut, plus bas ou outrepassant, du moment qu'il peut se permettre sans être dérangé de s'approprier l'espace public. On assiste, impuissants à la multiplication de terrasses le long des boulevards et des rues, au détriment des piétons, tels que les personnes âgées, les enfants, les jeunes mères et leur poussette, sans oublier les handicapés qui n'ont d'autre choix que d'utiliser la chaussée en risquant de se faire renverser.
Le comble dans ce désordre, c'est que le propriétaire, le maître d'œuvre et les élus, par un accord tacite, sont convaincus que le trottoir et l'espace public sont du domaine privé, et il revient au pseudo-possesseur de les façonner selon ses désirs, ce qui est contraire à la réglementation algérienne en cours. Dans ce cas, la façade, elle aussi, peut être refaite selon ses désirs. C'est pour cette raison que l'on voit fleurir des styles qui frisent le ridicule : des clôtures de tous genres, des constructions s'inspirant du palais d'Aladin à celui d'Hollywood, sans parler bien sûr de ces boîtes de sardines avec des commerces au rez-de-chaussée et toutes sortes de champignons à l'étage.
Des formes étranges qui cassent l'harmonie d'ensemble et des constructions défiant toute règle d'urbanisme. Un vrai quiproquo algérien avec toutes ses conséquences. On se rend compte de la complexité de la tâche du gestionnaire de la ville et des analystes urbains, s'il en existe. Car il faut le reconnaître, si l'Etat est impuissant, c'est aussi à cause de l'absence de politique urbaine et de génie urbain et architectural. Il faut s'imprégner de la philosophie, de la culture, de l'art et de la technique de l'Urb : de la ville en Algérie et non pas en dehors de l'Algérie. On préfère quémander autour de cette quête des styles : entre les traditionnalistes, nostalgiques d'un passé qu'on veut figer, de style arabo-berbéro-mauresque, les radicalistes, qui sont souvent fâchés contre le style coloniale, et les modernistes. On oublie souvent que le style est le propre de l'inventeur, car pour créer une harmonie urbaine, il faut d'abord maîtriser la technique et pouvoir façonner une construction, un ensemble, une rue piétonnière, un quartier, une ville et même une région ou un pays suivant le génie, la créativité du concepteur.
Or, ce don n'est pas donné à n'importe quel charlatan ou footballeur reconvertis dans la construction sans formation ni inspiration. En conséquence, on retrouve le maçon et l'ingénieur, maîtres absolus de la fonction, en amont pour «pondre» cette console inesthétique et surévaluée qui retient un balcon inapproprié à une société introvertie et conservatrice. Les Occidentaux exhibent leur intimité, ce qui n'est pas le cas des Algériens.
Le rôle du maître d'œuvre, de l'architecte et de l'urbaniste dans la décision urbaine est de plus en plus hypothétique. Ceci est le premier mal d'une formation amputée des connaissances pratiques et urbaines, le second étant le manque de sens qualitatif et artistique de la question. On voit souvent cette confusion dans les décisions, les plans d'urbanisme à deux dimensions, la conception de l'architecte en manque de traits et les résultats désastreux sur le terrain. Et c'est le mal de la ville algérienne, car on a substitué à la traditionnelle pratique urbaine, cette quête aveugle de la modernité(4), sans la remettre en cause, à cette option pour le gigantisme sans maîtrise de l'outil de gestion. On a abandonné des métiers qui ont apporté énormément à la pratique urbaine tels que le concierge et le garde champêtre.
La voiture a changé notre comportement et envahi notre espace. Et ça dépasse de loin les quelques interventions sporadiques constatées avec amertume par-ci et par-là. Revenons à la voiture : aujourd'hui, les Algériens ne peuvent pas faire 200 mètres sans l'utiliser. Les maladies chroniques dues à la pollution se sont multipliées, nous rendant incapables de résoudre cette propagation, alors qu'il suffirait de limiter le recours à la voiture, nous rendant ainsi l'usage des espaces publics. J'étais à Tlemcen le jour de la visite officielle du président Hollande en Algérie et j'ai mené une enquête auprès des citoyens tlemcéniens.
Le résultat est sans appel : ils ont redécouvert le plaisir de la ville, respirer de l'air frais, l'envie de marcher et une facilité d'accès au centre-ville déconcertante. Une fois la circulation rétablie, tous regrettaient ce moment, sauf les accros de la voiture. Alors, pourquoi ne pas lancer des actions dans ce sens ? Il faut apprendre de ses erreurs et échecs, de ses expériences, mais aussi de ce qui nous entoure, de ce qui existe. Cela passe par plusieurs réformes de la politique estropiée menée à ce jour pour un bien-être urbain et une redécouverte du «plaisir de la ville».

Notes :
1) Mémoires d'un architecte, fernand pouillon. Editions du Seuil, page 36.
2) discours du président Bouteflika aux architectes algériens.
3) The M'zab and de Le Corbusier Connection, Toufik Hedna,Prospect, Architecture Scotland, March 1989 n° 36.
4) The application of traditionnal urban and architectural principles within a modern context, learning from M'zab,Toufik Hedna, Makintosh School of Architecture


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