«La disposition mère de la Constitution algérienne a des airs de bricolage institutionnel. Mais l'article 87 incarne l'esprit même d'une Loi fondamentale qui consacre, depuis 1963, le régime présidentialiste.» Pour Fatiha Benabbou, professeur en droit constitutionnel, cet article est un «verrou», une «forteresse», qui accorde tous les pouvoirs au président de la République et empêche les tentations de verser dans un système parlementaire. «On croit à tort que la Constitution algérienne est calquée sur le modèle français, poursuit la spécialiste. En réalité, elle s'inspire des Constitutions latino-américaines qui, elles-mêmes, ont pris dans la Constitution américaine ce qui les intéressait et n'ont gardé que de quoi assurer la prééminence d'un pouvoir sur les autres.» Plus exactement, la prééminence d'une fonction, la fonction présidentielle, et pas d'un souverain. Si ce sytème fonctionne aux Etats-Unis, où le Président et le Congrès sont élus sur la base d'une force politique réelle, avec une véritable séparation des pouvoirs, il n'en est pas de même en Algérie. Résultat : dans le cas présent, où le Président est malade depuis plusieurs années, le pays se retrouve à la merci d'un blocage institutionnel à la moindre vacance du pouvoir. Aucune loi ne peut être promulguée, ni publiée dans le Journal officiel, aucun Conseil des ministres ne peut se tenir sans sa présence. Il lui est aussi impossible de déléguer son pouvoir de recourir au référendum ou de dissoudre l'APN. Nacer Eddine Ghozali, professeur de droit à l'université de Paris Nord, ancien membre de la cour de justice de l'OPAEP et vice-président de l'Académie internationale de droit constitutionnel, se souvient pourtant que «lors de l'élaboration de la première Constitution en 1976, l'esprit qui prévalait était celui de l'ouverture. Mais on n'est pas allé jusqu'au bout…» CORSET Pour le spécialiste, c'est plutôt le modèle français qui a pris le dessus. De nombreuses dispositions de la Constitution algérienne sont inspirées de la Constitution française, comme l'article 16 (sur les pouvoirs spéciaux). Fatiha Benabbou reconnaît que cette concentration des pouvoirs du Président est surtout vraie depuis 2008. «La révision a été menée pour éviter les aléas de la voie référendaire, explique un constitutionnaliste. Bouclée en trois semaines, elle a reçu l'aval respectivement du Conseil constitutionnel, puis du Parlement à main levée à une écrasante majorité formée par les partis de l'Alliance présidentielle.» Le premier amendement supprime la règle de limitation des mandats, le second réorganise l'Exécutif et l'ex-chef de gouvernement perd son titre pour devenir Premier ministre. «Enfermé dans une espèce de ‘‘corset orthopédique'', totalement soumis à la volonté discrétionnaire de son chef, le Premier ministre a été réduit, tout compte fait, au rôle de simple ‘‘commis''», poursuit-il. L'ancien ministre et diplomate Abdelaziz Rahabi, qui a animé en août dernier à Alger un débat sur le thème «Quelle Constitution pour quelle Algérie ?», rappelle que cette révision de 2008 n'a été pensée que dans la perspective de l'élection présidentielle de 2009, à l'instar des autres Constitutions et révisions consitutionnelles, toujours adoptées «en réponse à des pressions sociales et politiques.» «En 1963, elle était au service de la révolution socialiste et ne reconnaissait pas la séparation des pouvoirs. La révision de 1988, décidée après les événements d'Octobre, a introduit la fonction de chef de gouvernement, énumère-t-il. La Constitution de 1989 a été fondatrice du multipartisme. Celle de 1996 a apporté la limitation des mandats et surtout le blocage du tiers présidentiel à l'APN, conséquence des élections de 1991. La révision de 2002 a consacré la langue tamazight comme langue nationale, une victoire du mouvement citoyen en Kabylie.» STATUT Enfin, un autre chapitre en dit long sur l'esprit présidentialiste du texte : celui de la révision de la Constitution, qui doit être soumis au Président pour lui permettre d'apprécier la conformité des propositions avec les constantes et valeurs fondamentales de la nation, que sont «le respect des principes fondamentaux et des composantes de l'identité nationale», à savoir «l'islam, l'arabité, et l'amazighité», ainsi que «le caractère républicain de l'Etat, l'ordre démocratique basé sur le multipartisme, l'islam religion de l'Etat, l'arabe langue nationale et officielle, les libertés fondamentales et les droits de l'homme et du citoyen, l'intégrité et l'unité du territoire national, ainsi que l'emblème national en tant que symboles de la Révolution et de la République». «Là aussi, on peut se demander à quel titre le chef l'Etat s'offre le rôle de contrôler la régularité des propositions d'amendement aux dispositions de l'article 178 de la Constitution ?, s'interroge un juriste spécialiste de la Consitution. Un début de réponse peut découler de l'interprétation toute personnelle que le président Bouteflika a de son statut dans l'édifice institutionnel.» Pour Fatiha Benabbou, «le chef de l'Etat endosse trop de responsabilités». Il serait donc plus judicieux «d'arriver à rééquilibrer et donner plus de pouvoir au Premier ministre afin qu'il puisse assumer la responsabilité de la politique de la nation».