Envoyé spéciale à Cannes Ignoré pendant des années, le cinéma des pays arabes intéresse de plus en plus les Européens. L'exotisme laisse place à un intérêt culturel, intellectuel et économique. Euromed Audiovisual, programme de l'Union européenne (UE), vient de publier, par exemple, le premier catalogue des films d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient : Printemps du film sud-Méditerranée. On y trouve toutes les informations utiles : dernières productions, synopsis, affiches, fiches techniques, contacts… Laura Baeza, chef de la délégation de l'Union européenne à Tunis et, auparavant, à Alger, y évoque la création du «Souk al film al arabi», précisant que ce marché arabe commun serait itinérant. Elle rappelle que le programme Euromed Audiovisuel III a lancé un appel aux producteurs des pays du sud de la Méditerranée pour inscrire leurs films (produits entre 2011 et 2013) dans ce catalogue, présenté pour la première fois à cette édition du Festival de Cannes. «Le paysage cinématographique arabe est donc en pleine évolution, mais doit être renforcé. La disparition de salles de projection dans beaucoup de pays ne permet pas de donner accès et montrer une production croissante en nombre et surtout en qualité», a souligné Laura Baeza. «L'Union européenne a donc fait le travail de la Ligue arabe !», a ironisé un critique de cinéma koweïtien. Au-delà de cette initiative, plusieurs festivals européens représentés à Cannes sont désormais consacrés au cinéma arabe, tel le Festival international du film oriental de Genève (FIFOG). Pour son directeur artistique, Tahar Houchi, il a pour ambition de présenter l'Orient en Occident dans sa diversité et sa complexité. Il y a, selon lui, une reproduction de visions idéologiques vieillissantes du Monde arabe dans les autres festivals : «Il existe des clichés de part et d'autre. Dès qu'on évoque la Suisse, on pense tout de suite au chocolat et aux comptes bancaires. A travers le cinéma et les débats, nous voulons présenter l'Orient à l'Occident et l'Occident à l'Orient, montrer que les pays arabes ne sont pas uniquement des producteurs de pétrole, mais produisent aussi des idées, des films. Les films de l'Egypte et de l'Algérie, par exemple, ont été distingués dans plusieurs pays. L'Egypte a plus de cent ans de production cinématographique. La roue de l'Histoire tourne (…). Nous travaillons sur plusieurs axes thématiques. Nous avons par exemple, la section ‘‘L'Orient dans tous ses états'' pour les films que nous n'arrivons pas à classer. Il y a d'autres sections consacrées à l'immigration, l'enfance, les femmes». La section documentaire du Fifog permettrait ainsi de réfléchir sur des questions sociales et politiques en donnant un aperçu sur «les cinéastes de demain». Tahar Houchi ajoute : «Des cinéastes qui ont un regard authentique, plus proches de la réalité. Nous sommes curieux de savoir comment ils vont évoluer. Nous voulons décomplexer un peu les jeunes cinéastes arabes qui peuvent penser qu'en Suisse, on ferait forcément de bons films. Ce qui est faux. Car l'opulence freine quelque peu la pensée. Le cinéma, l'art en général, se nourrit de problèmes.» Depuis deux ans, le Fifog a créé une compétition des films sélectionnés. Deux Figog d'or et d'argent sont attribués aux longs métrages. Idem pour les documentaires et les courts métrages. Les jurys peuvent accorder des mentions spéciales. Une compétition jeunesse est ouverte aux productions vidéo, en collaboration avec des télévisions suisses et néerlandaises. «Avec des partenaires en Algérie, au Maroc et en Egypte, nous essayons de collectionner un ensemble de vidéos révélatrices de quelque chose d'original. Nous avons aussi des compétitions scolaires entre élèves de Suisse et des pays arabes. Nous voulons défendre l'idée de l'interculturel», a-t-il ajouté. Selon Tahar Houchi, l'écho du Fifog est grandissant en Suisse : «Durant les trois premières éditions, les gens nous voyaient comme un OVNI. Nous avions deux partenaires, aujourd'hui nous en avons plus de 80, dont des télévisions suisses. Nous sommes très portés sur des partenariats médiatiques à l'étranger. A chaque édition, nous présentons une centaine de films dans 18 endroits différents. Les films sont également projetés à l'université, dans les écoles et même les cafés.» Les Algériens vivant en Suisse constituent l'essentiel de l'équipe du festival. «Nous avons toujours accordé une place de choix au cinéma algérien lorsque nous avons des propositions», note Houchi. En 2014, le Fifog aura pour thème «Le corps comme objet de désir et espace de confrontation idéologique». «Nous partirons de films qui touchent au corps, à l'amour, à l'homme ou la femme… Le champ de réflexion est large. Nous essayerons de coller un peu à l'actualité. Aujourd'hui, dans les réseaux sociaux, il y a des discussions quotidiennes sur l'utilisation du corps pour exprimer des idées politiques», a relevé Tahar Houchi. Au sud de la Suède, la ville de Malmö abrite chaque mois de septembre, depuis 2011, l'Arab Film Festival (MAFF). «C'est le seul festival arabe en Suède et le seul ouvert à une compétition en Scandinavie. Nous voulons en faire la plus grande manifestation cinématographique arabe en Europe du Nord. Notre but est de ramener les films arabes dans les régions les plus lointaines d'Europe. Nous avons choisi la troisième ville de Suède, où vit une forte communauté arabe (Irakiens et Libanais surtout, ndlr), une ville proche de la capitale du Danemark, Copenhague, à 23 km. Le festival est financé à 70 % par le gouvernement suédois. Le reste est assuré par les sponsors», explique Muohamad Keblawi, directeur du festival. Il a indiqué que pour la première édition, 36 films arabes on été projetés et 75 pour la deuxième. «Pour la prochaine, prévue en septembre 2013, nous travaillons à la programmation de 100 films arabes. Nous avons trois compétitions : longs métrages, courts métrages et documentaires. Des prix symboliques seront accordés aux meilleures productions. La valeur de ces distinctions va augmenter au fil du temps. Nous faisons en sorte que les films primés soient distribués dans les salles en Suède. Pour cela, nous négocions avec les distributeurs, discutons avec les télévisions pour que les meilleurs documentaires et courts métrages soient achetés et diffusés. Nous organisons aussi des nuits arabes et des débats, des projections dans les écoles. Chaque film est suivi d'un débat avec le réalisateur, les comédiens, les producteurs. L'accueil du public suédois est merveilleux. Il y a un grand intérêt pour le septième art arabe», a-t-il souligné. L'intérêt des médias suédois est acquis. La télévision publique suédoise (SVT1) a retransmis en direct la cérémonie d'ouverture du festival en 2012 et le «red carpet» (entrée des artistes). «L'ouverture du MAFF est traitée dans les principales télévisions comme un événement. Les journaux suédois suivent nos activités durant toute l'année et assurent une large couverture au festival. En dehors de l'événement lui-même, nous organisons à longueur d'année des projections et des débats sur le cinéma arabe. Pour la prochaine édition, la nouveauté sera un workshop sur la réalisation d'un film en cinq jours. Pour ce faire, nous allons inviter une vingtaine de cinéastes de moins de 27 ans des pays arabes. De jeunes cinéastes européens seront également invités. Les candidats admis seront ceux ayant réalisé déjà un film, quel que soit le format. Ce groupe de cinéastes va créer plus tard un network pour travailler ensemble. Une manière de jeter un pont entre ceux qui font le cinéma dans les pays arabes et en Europe», a noté Muohamad Keblawi. Il a regretté que l'image de l'Arabe dans le cinéma européen et nord-américain demeure négative, ce qui, selon lui, peut être lié à un objectif bien précis ou à une profonde ignorance de la culture arabe. «D'où notre idée de dialoguer, de discuter pour nous faire connaître mieux. Nous souhaitons que le MAFF contribue davantage à ce dialogue», a-t-il insisté. Les organisateurs du MAFF travaillent également comme facilitateurs de projets de coproductions. «Il existe plusieurs fondations et organisations en Suède qui financent la production de films des pays en développement, d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Notre rôle est de mettre en contact les producteurs arabes avec ces organisations. Nous pouvons même le faire pour des pays tels que la Finlande, le Danemark et la Norvège», a expliqué Muohamad Keblawi qui souhaite que les producteurs arabes se manifestent. Peut être que les Algériens seront intéressés… Sites à consulter : Malmo Arab Film Festival : www.malmoarabfilmfestival.se/ Euromed Audiovisual : www.euromedaudiovisuel.net/ Festival international du film oriental de Genève : www.fifog.com