Au mois d'octobre 1995, un important incendie, causé par un court-circuit électrique, ravage les locaux de la salle de cinéma Cirta, située au niveau du sous-sol de la bâtisse abritant l'hôtel éponyme. L'intervention rapide de la Protection civile avait permis de maîtriser les flammes qui menaçaient tout l'hôtel, et d'éviter une véritable catastrophe. Dans la salle, les dégâts sont énormes. Les lieux que nous avons visités sont restés en l'état durant 18 ans. Comme pour témoigner de l'ampleur du sinistre. Les traces de fumée noire sont encore visibles sur les murs, les colonnes, les balcons et le plafond. La scène, le mobilier et la siègerie ont été sérieusement endommagés. «Après sa réception par la cinémathèque nationale en 1985, la salle subira des transformations, avec le déplacement de la cabine de projection vers un niveau plus bas, ce qui a nécessité d'opérer aussi des modifications dans la salle, dont le sol a été creusé pour descendre un peu plus bas afin de permettre une meilleure projection», révèle Nouri Abdelmalek, responsable des deux cinémathèques de la ville. Des modifications non réalisées dans les normes, selon notre interlocuteur, avec des produits facilement inflammables. La porte de la cabine de projection, les hublots en plexiglas, des gaines d'électricité en bois, des panneaux en liège, des matériaux qui n'étaient pas destinés à être des coupe-feu. «S'il y avait un système coupe-feu, l'incendie se serait uniquement limité à la cabine de projection ; on aurait perdu une cabine mais pas toute la salle», regrette-il. L'ancienne Cirta Palace, conçue sous la forme d'un opéra en 1934, lors de l'extension de l'hôtel Cirta, avant de devenir cinémathèque, avait abrité en 1995 son dernier évènement cinématographique. Les journées du cinéma maghrébin avaient vu défiler des noms illustres du 7ème art et drainé un public nombreux. C'est une époque révolue, comme celle des Panoramas du cinéma organisés dans les années 1980. Aujourd'hui les lieux sont dans un état catastrophique. Il faut vraiment le voir ce triste décor dans l'une des plus prestigieuses salles de la ville ! Comme un malheur n'arrive jamais seul, quelques semaines seulement après le sinistre, des héritiers d'un ancien gérant de cette salle, sont venus réclamer les clés en vertu d'un arrêté signé en 1995 par l'ex-wali de Constantine, Mohamed El Ghazi, en application d'un décret interministériel (Intérieur, Culture et Finances) portant sur la restitution ou l'indemnisation des biens de personnes nationalisés après l'indépendance, à l'époque du défunt président Benbella. «Ce sera pour nous le début d'une longue bataille judiciaire contre les services de la wilaya de Constantine qui auraient dû mener une enquête approfondie sur les origines de la salle et distinguer entre le fonds de commerce et les murs ; une bataille qui a duré de 1997 jusqu'en 2008», rappelle Nouri Abdelmalek. La salle était à deux doigts d'être perdue à jamais. L'arrêté sera finalement annulé par l'ex-wali Mohamed-Nadir Hamimid, après une première décision d'annulation prononcée en 2004 par la chambre administrative près de la cour de Constantine, entérinée par une décision de la Cour suprême quelques années plus tard. Une victoire obtenue aussi grâce au dévouement exemplaire des membres de l'association des Amis de la cinémathèque. Ces derniers qui se sont assignés comme objectif de sauver la salle en menant une enquête en profondeur au niveau des Domaines et du foncier ont réussi à apporter les preuves formelles attestant que la salle est un bien public en ce qui concerne les murs et le fonds de commerce. En 18 ans, aucun responsable au niveau de la wilaya, ni au ministère de tutelle ne s'est soucié du sort de cette salle, complètement laissée à l'abandon, malgré le bal des experts et des bureaux d'études qui y viennent pour faire un constat sans suite. Un fiasco à la cinémathèque En-Nasr Fermée en 2000 pour des travaux de rénovation, la cinémathèque Ennasr (ex- Le Vox, puis le Triomphe), située à la rue du 19 Juin 1965, près du vieux quartier de Charaâ, devait subir une réhabilitation totale, avec la remise à neuf du capitonnage, de la siègerie, de l'électricité et de la climatisation. Une fois réhabilitée, la salle qui devait reprendre ses activités en 2003, restera encore fermée. Après le démontage des anciens appareils de projection, acheminés vers Alger, la salle En-Nasr attendra encore des mois avant de recevoir des appareils non adaptés à cette structure, ramenés, il faut le dire, dans la précipitation et la confusion après la visite, à Constantine, en 2005, de la ministre de la Culture Khalida Toumi. Cette dernière avait annoncé aussi dans la précipitation la réouverture de la salle. Une décision qui restera au stade de vague souvenir. «C'étaient des appareils remontant aux années 1970 et qui avaient servi dans les fameux cinébus et dont les dimensions et la technicité ne s'adaptaient guère à la cabine de projection d'une salle comme En-Nasr», affirme Nouri Abdelmalek. En fait ce ne sera pas le dernier couac de cette opération, puisque cette dernière s'est avérée un véritable fiasco financier, ayant coûté 2,2 milliards de centimes au contribuable. La commission de la direction de la Protection civile, chargée d'avaliser la réception de ce genre d'équipements, fera des réserves sur la nature des matériaux utilisés pour le capitonnage et les sièges, non conformes aux normes car non ignifuges. Un coup dur pour le projet qui suscitera aussi des interrogations. Comment peut-on engager des travaux à coups de milliards sans prendre en considération ce détail qui ne figurait pas sur le cahier des charges ? La réouverture de la salle sera encore une fois retardée. Personne n'a crié au scandale. Les travailleurs resteront sans activité durant plus de dix ans. Pis encore, toute l'opération sera revue et on revient encore une fois à la case départ. Un autre projet de réhabilitation sera engagé encore une fois, avec une autre entreprise pour se conformer aux nouvelles normes, devenues plus sévères. Après l'incendie de la cinémathèque Cirta, toute salle de cinéma devra être dotée d'une bâche à eau, d'un système anti-incendie et d'un dispositif de désenfumage, en plus des normes de confort. Tous les revêtements (murs et sièges) doivent être ignifuges. Il faudra ainsi tout refaire, même l'électricité et l'éclairage. Le chantier qui a démarré au mois d'août 2012 connaît un retard important. Selon le responsable de la salle, des problèmes ont été rencontrés lors du décapage de la façade qui présentait des fissures. Il faudra attendre l'achèvement des travaux pour prévoir l'installation des appareils de projection, commandés chez un privé à Oran. «Cela devra durer un mois avec la mise en place de tous les autres équipements, ce qui nécessitera aussi le recours à des engins spécifiques pour cette opération», dira le même responsable. Ouverte dans les années 1930, la salle En Nasr, plus connue autrefois par la Vox, avait été la première cinémathèque à Constantine, après la décision prise en 1977 par l'APC de Constantine, d'en léguer la gestion à la cinémathèque nationale. «Elle a fait pendant des années, le bonheur des cinés clubs universitaires où l'animation culturelle battait son plein, même en pleine période de la montée du courant islamiste et l'avènement du FIS dans les années 1990», se souviennent d'anciens cinéphiles. Des salles bradées par l'APC Durant des années, l'APC de Constantine a géré les salles de cinéma d'une manière que les spécialistes des questions culturelles ont qualifié de catastrophique. Ces derniers estiment que la décision de signer, pour une bouchée de pain, des actes de location des lieux avec des privés qui n'ont rien à voir avec ce métier, a été un véritable bradage. En voulant se débarrasser d'un patrimoine encombrant et coûteux, pour engranger des recettes n'ayant jamais été honorées, les responsables qui ont pris les rênes de la mairie durant le mandat 1997-2001 ont fini par commettre l'irréparable. Selon des sources de l'APC de Constantine, cette dernière a enregistré des pertes évaluées à des millions de dinars de frais de location impayées en plus des dommages causées à ces salles qui ont subi des transformations, outre le manque à gagner résultant d'une fermeture qui a duré presque dix ans pour certaines salles. Les procédures judiciaires engagées contre ces gérants ont été longues et coûteuses, alors que les exploitants se sont tirés avec des profits après avoir aménagé des salles de jeu, des gargotes, des taxiphones et des commerces d'occasion. C'est le cas de le dire pour la salle Le Rhumel (ex- Nunez, devenue le Royal en 1958) située à la rue Ali Bounab, à côté de Bab El Djabia. Louée en 1995, la salle qui ne fut récupérée qu'en 2007, se trouve dans un état de délabrement indescriptible. De plus elle se trouve sérieusement menacée par les maisons effondrées d'une partie de Souika, située en contrebas de Rahbet Ledjmal (place aux Chameaux), et plusieurs de ses issues sont presque inaccessibles. Pour la salle Numidia, ancienne l'Olympia, ouverte en 1953 dans le quartier de Bab El Kantara, considérée parmi les rares salles dotées d'un écran panoramique, elle ne sera pas épargnée par les modifications opérées par son ex-exploitant. Le sort de la salle Le Versailles, ouverte en 1955 à Sidi Mabrouk, devenue plus tard El Andalous, n'est guère meilleur. Des sources de l'APC de Constantine révèlent que cette dernière louée en 2001 pour une durée de trois ans, a été récupérée en 2005 dans un état déplorable. Il faudrait même penser au renouvellement total de ses équipements. Le même sort semble s'acharner sur la fameuse salle l'ABC, aujourd'hui El Anouar, située à la rue Laveran, dans le quartier Bellevue, inaugurée en 1948. Son attribution qui compte aussi des locaux commerciaux, s'est faite dans des conditions discutables. Le bénéficiaire a eu toute la latitude de la transformer en salle des fêtes et d'engranger des bénéfices importants. Ce qui ne pouvait pas se faire sans la complicité des élus locaux de l'époque. Ce n'est qu'à partir de 2002, avec l'arrivée d'une nouvelle équipe à l'APC, qu'une longue bataille judiciaire sera entamée pour la récupérer. Pour les quatre salles, les bénéficiaires ont été poursuivies par l'APC pour non-paiement du loyer. Malgré les décisions de justice les condamnant à libérer les lieux, ces derniers s'acharneront à faire appel auprès de la deuxième juridiction, et même une cassation à la Cour suprême. Comble de l'audace, certains ont même demandé une expertise pour évaluer les coûts des travaux engagés pour le déduire des montants des dédommagements accordés par la justice. Plusieurs années après, la destinée de ces lieux demeure encore inconnue. L'APC de Constantine est dans l'incapacité de les restaurer ou même les rééquiper. C'est dire l'ampleur du désastre causé par dix ans de gabegie, que les centaines de milliards de l'Etat ne réussiront pas à effacer.