Car si les banques algériennes sont très liquides, elles affichent aussi les ratios de créances non performantes les plus élevés. Avec un taux d'un peu plus de 16% en 2011, la Banque centrale d'Algérie considère qu'il y a fort à faire. A plus forte raison lorsque l'on devine, dans les propos tenus par le ministre des Finances, que ce taux serait de 24% pour les banque publiques. Des banques fortement mises à contribution dans le financement de projets gouvernementaux comme les dispositifs de création d'entreprises et d'aide à l'emploi ainsi que le financement des entreprises publiques. Le poids des créances détenues sur les entreprises publiques «déstructurées» se fait sentir sur le bilan des banques avec 125,687 milliards de dinars de crédits non performants en 2011. Néanmoins, le privé se taille aussi une part importante de crédits non performants estimés, selon les chiffres de la Banque d'Algérie, à près de 69 milliards de dinars, soit près d'un milliard de dollars. Au-delà des raisons ayant conduit à l'accumulation de ces crédits, il serait intéressant de se pencher sur les bénéficiaires. On pourrait de prime abord attribuer une part des crédits non performants aux dispositifs Ansej, CNAC et Angem. Conclusion hâtive dans la mesure où rien ne l'indique. Il est d'autant plus intéressant de se pencher sur le sujet que les rumeurs enflent quant aux importants crédits qui auraient été consentis aux proches de hauts fonctionnaires civils et militaires. Il est vrai que le cliché du haut fonctionnaire importateur de farine et de sucre ayant longtemps peuplé l'imaginaire collectif algérien laisse place, à la faveur des récentes affaires de corruption traitées par la justice, à une nouvelle caste de businessmen plus rompus à la haute voltige financière. Le cas Farid Bedjaoui en est la parfaite illustration. Un cas qui en appelle d'autres. Celui d'hommes d'affaires ayant suivi des études à l'étranger pour certains, qui ont élargi leurs réseaux, qui ont frayé dans l'affaire familiale d'import-import avant de se diversifier et de bénéficier des positions avantageuses dans divers secteurs comme l'industrie pharmaceutique, la finance, les télécoms, la communication, l'aviation civile ou encore les sociétés de sous-traitance aux services consulaires. Secret bancaire Cette communauté d'affaires aurait-elle bénéficié des largesses de banques croulant sous les liquidités ? Plus qu'une possibilité, d'autant plus que rien n'interdit à un opérateur de bénéficier de prêts bancaires en raison du nom qu'il porte ou de ses liens de parenté et d'amitié. L'obtention de crédits de complaisance grâce à des trafics d'influence est pour sa part illégal.Aussi, à la question de savoir qui obtient des crédits et à quelles conditions, la communauté bancaire oppose le secret bancaire. Principe universel qui protège clients et transactions bancaires, en Algérie comme dans tous les pays du monde. Cependant, on se hasarde, dans les milieux d'affaires, à quelques lectures. On nous explique ainsi que si trafic d'influence il y a, un crédit de complaisance ne sera en aucun classé au registre des créances non performantes. Car celles-ci induisent, selon les règles prudentielles de la Banque d'Algérie, non seulement des provisionnements inscrits au bilan de la banque, mais un suivi permanent. Un banquier de la place nous précise ainsi que dès le moment où une créance devient litigieuse, c'est-à-dire quand le débiteur prend du retard dans le paiement des échéances ou cesse tout simplement de payer en contestant la dette pour diverses raisons, la banque essaie de négocier un rééchelonnement, un reprofilage ou une révision des conditions, etc. Mais elle met toujours «sous surveillance» le débiteur via les mouvements de fonds, recettes et comptes rendus d'activité. Au bout de cette étape qui dure entre 6 et 9 mois, la créance devient contentieuse et la banque est tenue de mettre en œuvre les garanties prises et de recourir à la justice pour recouvrer la créance. Notre interlocuteur ajoute que les créances impayées sont enregistrées dans des comptes comptables séparés et que des dossiers par client sont tenus et mis à jour régulièrement. Avant d'expliquer que «les impayés sont suivis par une structure spécialisée de la banque, en dehors des services de crédit». Ouvrir l'accès au CNRC Ce qui fait dire à un second banquier que le trafic d'influence est à rechercher ailleurs que dans le bilan des banques, mais plutôt dans la manière avec laquelle sont constituées les garanties pour étayer le dossier de crédit. Se faisant plus précis, il nous invite à nous intéresser aux biens acquis au dinar symbolique dans le cadre de la cession des biens de l'Etat et ayant fait l'objet de réévaluation d'actifs assez douteuse pour être présentés en garantie. Nos sources n'oublient pas non plus de mettre le doigt sur les secteurs extrêmement lucratifs et les positions de quasi-monopole dont bénéficie cette classe d'opérateurs. Ils insistent aussi sur la nécessaire transparence de l'information financière. Laquelle passe en partie par l'ouverture de l'accès aux données du Centre national registre de commerce. Un industriel dénonce ainsi l'accès restrictif à ce genre de données sous couvert du respect de «la confidentialité et de la protection des associés». Pour sa part, le FCE, à sa tête Reda Hamiani, a maintes fois dénoncé cet état de fait privant les opérateurs économiques et les investisseurs d'une information économique vitale. Il estime que le CNRC constitue d'importantes bases de données, mais fait payer un accès limité et dans la discrétion à cette information. Il nous confie, à ce titre, que s'il peut arriver que cela n'arrange pas certains intérêts, l'économie de marché et l'air du temps plaident pour une banalisation de l'information financière et sa transparence.