Il faisait froid lundi à Tiaret. C'est la journée où l'on juge en correctionnelle tous les maux de la société. Enfin, presque. Dans la salle, une cinquantaine de détenus. Une femme dans le box des accusés est placée à part, éloignée de cette masse de jeunes piaffant d'impatience. En face, un président de séance jeune et alerte tente de faire régner l'ordre, tantôt par des mises en garde, tantôt par la mimique et la gestuelle sans se départir d'une légendaire sagesse quand il s'agit de distinguer les faits, loin des sentiments, les pesanteurs et les apparences sur fond de jérémiades des prévenus. Monsieur Abdel Malek Benahmed en est à sa quatrième séance depuis qu'il a été nommé à ce poste de président du tribunal de Tiaret. Une séance où l'on ne juge en priorité que les justiciables mis en détention préventive. Parmi la pile de dossiers des affaires, entre autres de vols, pédophilie, adultère, consommation et commerce de drogue et enfin violence induite par l'alcool qui a valu la mort à un jeune homme au retour d'une fête arrosée. Au total, 35 dossiers traités, l'espace d'une journée, dans la sérénité et les débats contradictoires. La salle douillette et confortable grouille de robes noires alors que les policiers veillant à la sécurité s'astreignent à un autre exercice pour soulager les prévenus. Turbulents, certains d'entre ces jeunes sont rappelés à l'ordre par le représentant du ministère public et la moindre sonnerie du portable est sévèrement réprimandée. Commence l'appel à la barre pour voir défiler des jeunes accusés de trafic de stupéfiants, d'alcool, de viol et de vols sur fond de violences. Pour les affaires liées aux vols à la tire de téléphones, chaînes en or, pour fonçage illicite de puits ou pour recrutement et hébergement d'immigrés clandestins, notamment des ressortissants syriens. Lourd réquisitoire Première appelée à la barre, une dame aux apparences naïves mais poursuivie pour avoir, dit-on, « tenté d'introduire un portable à son époux emprisonné lors de sa première visite ». Elle s'en sort avec six mois de prison avec sursis et 10 000 dinars d'amende après un rappel de la loi. Une autre affaire, et non des moindres, a retenu notre attention. Elle a trait à une violation de domicile et coups et blessures volontaires. L'accusé, un jeune étudiant, est pris en flagrant délit. La dame et non moins complice de ce prévenu a quand même avoué avoir vu ce jeune à trois reprises et à l'insu de son mari. A la troisième tentative, ce don juan des temps modernes s'est retrouvé face à un mari éploré, presque humilié de cette présomption d'adultère qui ne fait pas l'ombre d'un doute. Même la démarche et le ton employé par la jeune fille laissa perplexe plus d'un. Le bilan de ce fatal face-à-face fut un échange de coups entre le mari qui revient de son travail et cet amant, la dislocation de cette famille et un dépôt de plainte pour « violation de domicile et coups et blessures volontaires » et non pas pour adultère. Le tribunal, après délibérations, n'en retint que le délit de coups et blessures car pour s'être introduit au domicile, on a retenu le fait que « c'est grâce à la complicité de la dame ». L'inculpé s'en sort avec deux années de prison et 100 000 dinars d'amende alors que la partie civile n'avait demandé que le dinar symbolique arguant que « l'intégrité de l'individu ne se monnaie pas ». Une autre affaire a trait à la pédophilie. Un enfant de la cité des 220 logements vient à la barre accabler son bourreau. Il a été amadoué par le jeune voisin de palier pour être violé dans un fatras de ferraille. L'accusé plaida l'innocence car, explique-t-il, « c'est par esprit de vengeance de la mère de la jeune victime qu'il s'est retrouvé inculpé, jurant par tous les saints n'avoir pas eu ce genre de rapports ». Le juge, qui décortiqua le rapport d'expertise du médecin légiste et même du psychologue, reste convaincu et de rendre un verdict plus ou moins clément (trois années fermes), échappant ainsi au lourd réquisitoire de dix ans prononcé par le représentant du ministère public. Le gamin relata avec force détails d'ailleurs les péripéties d'une aventure aux séquelles indélébiles. La dernière affaire qui a défrayé la chronique locale, la veille du 1er novembre, reste celle impliquant un groupe de jeunes qui, au retour d'un mariage, se sont bagarrés à coups de couteaux. Bilan : un mort et des blessures au reste du groupe. Les prévenus, qui ne cessaient de s'accuser mutuellement, ont écopé chacun d'une année de prison ferme en attendant leurs comparutions lors de la prochaine session criminelle pour le meurtre de S. M., leur compagnon d'infortune….