Rue Abane Ramdane. Du nom d'un martyr assassiné par ses pairs. Tribunal d'Alger dit Sidi M'hamed. Sous les arcades, trois petites portes invitent à y entrer. Passé le portique et les agents de sécurité affairés à contrôler, l'instance est là. Les longs corridors aux multiples portes entrouvertes laissant apercevoir des robes noires, c'est dans les films. Ici, le tribunal s'impose au premier coup d'œil. Quatre grandes colonnes soutiennent la bâtisse. Ou peut-être tentent-elles de hisser la justice à des hauteurs inaccessibles. Dans le hall rectangulaire, il y a foule. Assises sur des marches ou des bancs de fortune, des personnes sont plantées là, le regard perdu. D'autres, la majorité, déambulent, vont, viennent, s'arrêtent un court instant pour allumer une cigarette ou courent derrière une autre robe noire. Il n'y a pas beaucoup de bancs. Faute de budget ? Deux mondes cohabitent l'instant d'un moment, le temps d'une journée dans ce tribunal : les professionnels de la justice qui se distinguent par leur robe noire et les autres qui se différencient parce qu'ils n'en ont pas. Ils n'ont ni robes noires, ni robes roses, ni tenues particulières qui diminueraient peut-être du désespoir de leur cause. On s'apprête pour un entretien d'embauche ou un mariage. Pas pour passer devant un juge. La mascarade n'existe-t-elle pas au tribunal d'Alger ? « Tu croyais faire quelque chose de bien ? », interroge le juge de la chambre correctionnelle. « Tu trouves une voiture ouverte et qu'est-ce que tu fais ? Tu rentres dedans, par curiosité ? », continue-t-il, fixant du regard un petit jeune, la tête baissée, les mains derrière le dos. Visiblement, la mascarade n'existe pas. Dans la chambre correctionnelle, sept individus attendent dans le box des accusés. Sous l'œil vigilant d'un policier. Sur la gauche, le procureur. A droite, la greffière. Au centre, entre deux fauteuils vides, le président du tribunal. Il siège seul et rendra seul la sentence. Les inculpés défilent au rythme mathématique des numéros de dossiers. Le juge jauge et affirme plus qu'il n'interroge. Bruits de fond L'inculpé répond, s'emmêle les pinceaux dans des explications douteuses, est repêché par son avocate qui est à son tour interrompue par le magistrat. Personne ne s'écoute. Le public composé des membres de la famille, des copains et de simples curieux retient son souffle. « Qu'est-ce qu'elle a dit ? » (l'avocate), interroge un homme. La porte de la chambre correctionnelle, restée ouverte, laisse passer un bruit de fond. Seul le juge, l'avocat et l'inculpé peuvent s'entendre. Pendant que l'on discourt sur le fait d'être dans une voiture qui ne nous appartient pas est un début de preuve de vol, un autre inculpé bavarde à distance avec quelqu'un du public. Difficile de lire sur les lèvres, mais eux ont l'air de se comprendre. Le policier qui garde la salle vient de surprendre quelque chose de louche. Il vire deux jeunes hommes et décide de séparer les hommes et les femmes en les plaçant de chaque côté de la salle dans la partie réservée au public. Drague-t-on dans un tribunal ? A ce moment, le petit jeune qui prétend avoir voulu entrer dans la voiture par curiosité - pas pour la voler si raïs - a les épaules qui s'affaissent et son menton a rejoint sa poitrine. C'est que ça se corse pour lui. Tout le verbiage de circonstance employé par l'avocate n'a pas convaincu le juge. Le procureur, de son côté, prend des notes. Il se manifestera lorsque tous les dossiers seront passés. Les dossiers, pas les inculpés. Et uniquement à l'issue de la plaidoirie des avocats dans chaque affaire. Des affaires, pas des inculpés. A ce moment, le procureur demandera cinq, dix années, pas dinars.« Je cherche... », entend-on par-ci par-là. « Deuxième étage », réplique-t-on. Au deuxième étage, on se rend compte que ce n'était pas le bon. Le bon ? Celui du dessous. Il est des justices dites orales et d'autres écrites. Le système judiciaire anglo-saxon (tout comme sa Constitution) se base sur l'oralité et fait référence à « the precedent » en matière de jurisprudence. Le système français, tout comme sa Constitution, ne peut se référer qu'à des articles et des jurisprudences codées et répertoriées (à l'écrit). Le système algérien est de l'héritage du système napoléonien, français. Donc écrit. Sauf pour les renseignements qui se font de vigile en policier, en gardien, et de manière orale. Impossible de savoir quand telle affaire est programmée et devant quelle chambre et à quelle heure. Sur dix personnes interrogées, dix réponses différentes. La pire : « L'affaire est reportée. » Et elle ne l'est pas. Dans cette enceinte ou l'emblème de la justice, la balance, orne chaque chambre. En dessous du portrait du président de la République, Abdelaziz Bouteflika, bien entendu. Les maux sont différents, selon la salle dans laquelle on se trouve. Querelle avec son époux, vol à la tire, conflit administratif. Les plus grandes salles sont attribuées à la correctionnelle et à la criminelle. Le décor est planté avec des rideaux en velours rouge foncé. Les fauteuils du juge et des assesseurs sont d'un rouge plus clair. La climatisation qui, à l'effet d'aérer, désodorise également pour les journées de grande affluence. Les bancs et balustrades sont en bois foncé et réchauffent tout en apportant élégance et prestance à ce lieu où se mêlent tourmentes et démêlés. Dans cet univers où se disputent rouge et bois, professionnels de justice et justiciables, aucun pont. Aucun espoir ?