Cheb Mami a protégé son secret pendant presque quatre ans avant de craquer ce jeudi 2 juillet, devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Il est 15h40 quand le prince du raï, chemise blanche à manches courtes et pantalon noir, passe enfin aux aveux. La voix tremblante, une main qui essuie le front, une autre essuyant une larme, cheb Mami, de son vrai nom Mohamed Khelifati, se décharge de son lourd secret. « J'étais dépassé... c'est vrai... Je ne sais pas, je ne sais pas... J'ai fauté... » Interrogé quelques instants plus tôt par le président du tribunal, Jean-Dominique Launay, le prévenu qui a toujours prétendu être à Oran au moment où son ex-compagne subissait un avortement sauvage dans sa villa à Alger fend enfin l'armure. « J'étais dans ma résidence quand Kader m'a appelé pour me dire qu'il arrivait avec Isabelle... Paris. De notre bureau Il y avait un problème à la clinique, elle ne pouvait pas avorter dans la clinique. Kader m'a demandé de dégager de là... Alors je suis parti à l'hôtel Hilton avec un ami... Le lendemain, quand je suis revenu de l'hôtel, Kader m'a dit que tout s'est bien passé. Il m'a montré dans sa main le fœtus.. Le fœtus je l'ai vu... Je ne sais pas, je ne sais pas... J'ai fauté... » Mami écrase deux larmes et se rassoit. Adossé au box des accusés, son avocat, maître Aci, jette son stylo sur le pupitre, marmonne un juron et se tient la tête. Il sait, lui, qu'en cet instant même où Mohamed Khelifati venait de reconnaître sa présence sur les lieux du délit, le procès est plié. Poursuivi pour complicité d'enlèvement, séquestration, violences, administration de substances nuisibles, menaces et intimidation sur la personne de son ancienne maîtresse, Isabelle Simon, photographe de presse, cheb Mami, 42 ans, a donc été condamné vendredi à cinq ans de prison ferme. Son manager, Michel Lévy (Michel Le Corre) a écopé de 4 ans alors que les autres complices, Kader Lallali et Hicham Lazhar, jugés par contumace, ont écopé respectivement de six et de trois ans ferme. Sur les Hauteurs d'Alger La plaignante, Isabelle Simon, devra percevoir un dédommagement de 95 000 euros. Réfugié en Algérie depuis mai 2007 alors qu'il était placé sous contrôle judiciaire en France, cheb Mami a été arrêté lundi dernier à sa descente d'avion et incarcéré à la prison de la Santé, là où il avait déjà séjourné entre le 28 octobre 2006 et le 2 février 2007. Il devrait y rester pour cinq ans. On attendait ce procès pour enfin connaître toute la vérité sur cette affaire sordide à laquelle est mêlée la star du raï, on a eu droit à des dérobades, des reniements, des dénégations, des pleurnicheries aussi bien de la part de cheb Mami que de son ancien manager Michel Lévy. Quant aux deux autres prévenus, Kader Lallali, homme de confiance de Mami, et Hicham Lazhar, collaborateur de Lévy, ils étaient absents. Le premier étant en fuite en Algérie, le second n'a pas daigné se présenter au tribunal. Mami et Lévy se chargent mutuellement et se renvoient la responsabilité de cet acte que l'avocate de la partie civile qualifie de « barbarie », la victime s'est montrée sobre, digne. Cheveux courts, une écharpe mauve autour du cou, trench et pantalon beige, la plaignante ne s'est pas défilée devant la barre. Son témoignage aussi concis qu'un précis de maths a ému l'assistance. Elle raconte. Le 28 août 2005, Isabelle, enceinte de Mami, débarque à Alger pour effectuer un reportage sur des chanteurs de raï. A son arrivée, elle est accueillie par Hicham Lazhar, qui l'emmène directement dans un bungalow situé dans un complexe touristique alors qu'elle devait séjourner chez une amie à elle. Là, Hicham lui fait boire plusieurs verres de jus d'orange au goût amer. En réalité, le breuvage contenait de la drogue. Engourdie, elle est ensuite conduite de nuit dans un taxi dans lequel se trouvait Kader. Direction la villa du chanteur sise sur les hauteurs d'Alger. Quoique semi-inconsciente, la jeune femme tente tout de même d'emmagasiner des images, de photographier des lieux, pour pouvoir raconter un jour. Dans une chambre de la résidence, Kader supervise le travail des rebouteuses. Isabelle : « J'ai été traitée de sale chienne, salope, t'as fauté. Ils m'ont balancée sur le matelas et m'ont arraché le pantalon. Il y avait deux femmes à califourchon. On m'a fait trois piqûres, une (femme) appuyait sur mon ventre et l'autre me mettait la main dans le vagin et grattait. » « Je ne voulais pas d'un enfant illégitime » Dans cette salle improvisée en clinique clandestine, le sol ressemble à un abattoir après égorgement d'un bœuf. Le calvaire dure jusqu'au petit matin. La besogne achevée, Kader met Isabelle dans un taxi avant de lui lancer cet avertissement : « Si tu parles, on s'en prend à ta fille... » Mami écoute le témoignage de son ex. sans ciller, le visage sombre. De temps à autre, il boit une gorgée d'eau, s'essuie le front avec un mouchoir. De retour à Paris, Isabelle consulte un gynécologue qui lui annonce que le bébé est en vie. La jeune femme veut le garder, le père ne veut pas cet « enfant illégitime ». Cheb Mami presse alors Isabelle d'avorter, malgré les délais largement dépassés. Il menace. « Ne me pousse pas à faire des choses qui pourraient m'envoyer en prison et ruiner ma carrière », lui lance-t-il au cours d'une de leurs conversations téléphoniques – il y en a presque une centaine-, que la police a dûment enregistrées pour les besoins de l'enquête. « C'est contraire à mes principes » Kader n'en fait pas moins, il la menace à partir d'Algérie de s'en prendre à sa fille. Pour se sortir de ce problème inextricable, le couple tente un compromis financier par le truchement du manager, Michel Lévy. Mami accepte de payer 30 000 euros contre un abandon d'une plainte. Isabelle reçoit un acompte de 5000 euros, ni plus ni moins. Mami refuse de payer davantage, mais il propose quand même à son ex. une enveloppe de 100 000 euros pour se faire avorter en Grande-Bretagne. Michel Lévy avertit Isabelle et lui conseille de porter plainte. « Mami est devenu fou », lui dit-il. Pour lui, le bébé est inconcevable. Le manager explique alors à la jeune femme que le chanteur est prêt à tout, même à kidnapper sa fille, âgée de trois ans et demi. « C'était la goutte qui fait déborder le vase, explique la jeune femme devant la barre. J'avais peur qu'il s'en prenne à ma fille... » Elle se rend alors au commissariat de Saint-Denis pour porter plainte contre le chanteur. Le 28 novembre, alors qu'elle faisait sa déposition, cheb Mami appelle. Il campe sur ses positions et refuse d'admettre que la boucherie commise dans sa villa à Alger n'ait pas abouti à la perte du bébé. La conversation est enregistrée. Le président du tribunal fait lecture des propos tenus par la star du raï : « Le sang, je l'ai vu, chez moi, ils t'ont grattée avec les doigts, on a rentré les cinq mains, euh, les cinq doigts, on a apporté un truc qui ressemble à un foie. T'es une malade, y a plus de bébé ! » A ce moment, Mami craque. « J'étais dépassé », dit-il en sanglots. « C'est contraire à mes principes, à ma religion. Je n'arrive pas à l'expliquer. J'ai fait une faute, c'est grave, le cauchemar. Je n'étais pas dans la villa, mais je savais ce qui se passait... » Le président lui demande alors pourquoi a-t-il toujours nié en soutenant être à Oran au moment des faits. « C'était un secret, c'était mon secret jusqu'à maintenant », répond-il. Ce secret, Mami s'est bien gardé de le révéler même à ses avocats qui assistent à ses aveux en direct. L'avortement : Une idée de Lévy Certes, cheb Mami reconnaît être à Alger lorsque la plaignante se faisait « dépecer », il admet encore qu'il était au courant de la préparation de la tentative d'avortement illégal, il regrette les faits et demande pardon à son ex., mais sa ligne de défense aura été constante : il a été victime d'un piège tenu par Lévy, Hicham et Kader. « C'était l'idée de Michel, dit-il au président du tribunal. J'ai accepté dans la panique. S'il n'avait pas proposé cette possibilité, je n'aurais jamais pensé à ça. Mais je n'ai rien fait pour l'arrêter. » Michel Lévy, lui, niera en bloc toutes les accusations portées contre lui, faisant ainsi sourire le président du tribunal, qui lui fait remarquer que depuis sa garde à vue en octobre 2006, il aura livré 9 versions différentes les unes des autres.Quel avenir pour la star du raï qui aura vendu quelque 20 millions de disques dans le monde ? Une chose est sûre : sa carrière artistique est « cramée ». En Algérie, son image de garçon gentil, du prince du raï, est passablement écornée pour ne pas dire davantage. Quant à ses affaires – Mami fait dans la spéculation immobilière qui lui rapporte entre 4 à 5 millions de dinars par mois–, elles risquent de pâtir durablement suite à son emprisonnement. La vie a réservé à cheb Mami un spectaculaire retournement de situation. C'est à Bobigny, en Seine-Saint-Denis, que le môme de Saïda a entamé, en 1986, sa carrière internationale. Vingt-trois ans plus tard, c'est au tribunal de Bobigny, à quelques encablures de la salle où il poussait la chansonnette, qu'il a été jugé et condamné. Cruel ? Non, pathétique.