Les Frères musulmans comptent sur la mobilisation de rue pour faire plier les nouvelles autorités transitoires qui continuent d'aller de l'avant dans la mise en place d'institutions transitoires. Le mouvement de protestation qu'ils ont voulu pacifique au début commence à connaître une dérive violente qui menace d'entraîner le pays dans une guerre civile. Le risque est grand dans la mesure où les ponts sont, pour l'heure, coupés entre les pro-Morsi et le général Al Sissi, le nouvel homme fort de l'Egypte. De nombreuses villes égyptiennes étaient d'ailleurs en proie hier à une nouvelle flambée de violence dans des affrontements entre partisans et adversaires du président déchu. Six personnes ont trouvé la mort aux premières heures près de l'université du Caire. Deux d'entre elles au moins ont été tuées par un homme qui a ouvert le feu sur des militants pro-Morsi. Les abords de l'université, proches du centre-ville, sont, avec ceux de la mosquée Rabaa al Adawiya dans le nord-est du Caire, l'un des deux sites occupés en permanence par les islamistes depuis près de trois semaines. Quatre autres personnes avaient été tuées lundi soir – trois dans la ville de Qalioub, à la périphérie nord de la capitale, et une au Caire, près de la place Tahrir. Il est à rappeler que quelque 150 personnes ont déjà péri dans des heurts liés aux troubles politiques depuis la fin du mois de juin. La famille de M. Morsi, aujourd'hui détenu au secret, a accusé lundi le chef de l'armée, le général Abdelfattah Al Sissi, de l'avoir «enlevé», et a déclaré qu'elle allait engager des poursuites devant les juridictions égyptiennes et internationales. De son coté, le nouveau pouvoir n'a donné aucun écho aux demandes des Etats-Unis et de l'Union européenne de libérer M. Morsi, se bornant à assurer qu'il était bien traité. Dialogue de sourds Pour tenter de calmer les esprits, le président intérimaire, Adly Mansour, a appelé, dans la soirée de lundi, à la «réconciliation» et à «ouvrir une nouvelle page pour notre nation», dans une brève allocution télévisée, à l'occasion de l'anniversaire du renversement de la monarchie en 1952. L'appel de Adly Mansour n'a cependant pas été entendu par le camp politique de Mohamed Morsi qui refuse de «tourner la page». Les Frères musulmans ont ainsi réitéré leur rejet des nouvelles autorités lors d'une réunion, le même jour, des membres islamistes de la Chambre haute (Conseil de la choura), qui assumait la totalité du pouvoir législatif jusqu'à sa dissolution lors de la destitution de M. Morsi. A l'occasion, ils ont présenté une initiative de sortie de crise en trois points : «L'appel à un dialogue national global sans seuil de revendications», le retour de Morsi, le rétablissement de la Constitution et du conseil consultatif et la fin de ce qu'ils ont appelé «coup d'Etat militaire». Ainsi qu'il fallait s'y attendre, l'opposition a bien évidemment rejeté cette initiative affirmant «l'impossibilité d'un retour en arrière». Le dialogue de sourds qui s'est installé depuis une vingtaine de jours entre les Frères musulmans et les autorités de transition place l'Egypte dans une grave crise politique qui risque de lui être coûteuse au triple plan sécuritaire, économique et diplomatique. Suspendue le 5 juillet par le Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine (UA) au lendemain de la destitution de Mohamed Morsi, qualifiée par l'organisation panafricaine d'«inconstitutionnelle», l'Egypte tente d'ailleurs de rompre son isolement en engageant des démarches à l'échelle africaine. Mais, pour le moment, ses efforts sont vains. Il est vrai qu'en termes de visibilité politique, l'Egypte a connu beaucoup mieux.