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Six questions urgentes
Publié dans El Watan le 17 - 09 - 2013

Au cours de la seconde moitié de septembre se tiendront la 15e tripartite et la 1re conférence sociale. Il faut dire que jusqu'à maintenant, la tripartite a certes été un forum utile d'échanges entre partenaires sociaux, mais les thèmes abordés ont été trop généraux et les quelques rares décisions arrêtées ont été peu suivies d'effet. Et c'est bien dommage, car il ne faut surtout pas que le dialogue social perde de sa crédibilité et devienne une coquille vide, au moment même où le pays a besoin plus que jamais de délibérations, de reconstruire un consensus social indispensable pour la remobilisation autour de la relance de la croissance, de l'investissement et de l'emploi.
Quelles sont aujourd'hui les urgences économiques à prendre en charge par le gouvernement et les partenaires sociaux ?
Au préalable, il nous faut aborder une question que les Algériens ont tendance à considérer comme réglée, ou pour le moins comme pouvant attendre de l'être et qui, pourtant, se pose toujours et en des termes graves ; il s'agit de la question du statut des hydrocarbures dans la démarche économique des gouvernants.
Je me permets d'attirer l'attention du lecteur, mais il aura certainement relevé qu'ici, nous ne sommes pas encore dans l'après-pétrole mais toujours dans l'ère du pétrole et que cette étape a ses exigences : il faut savoir gérer nos hydrocarbures avec une grande rigueur car pour une longue période encore, le dossier «number one» en Algérie sera encore le pétrole. Les experts de l'économie pétrolière affirment tous que le moment où la production mondiale de pétrole commencera à baisser inéluctablement n'est pas bien loin : 2020 ? 2025 ? Date à laquelle la production mondiale plafonnera à quelque 100 millions barils/jour puis commencera à décliner. Les nouvelles découvertes qui seront réalisées seront insuffisantes pour compenser la production consommée des réserves.
Pour l'Algérie, il y aura là une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne nouvelle est que nous allons profiter encore un temps de la baisse progressive de l'offre mondiale de pétrole, qui aura un impact positif sur le prix pour les pays exportateurs : nos recettes d'exportations seront encore, sur le moyen terme, significatives. La mauvaise nouvelle est que le déclin de la production mondiale nous touchera aussi, bien évidemment, au moment même où nos propres besoins en hydrocarbures connaîtront une augmentation sensible. Nous serions alors importateurs de pétrole sur un marché de demandeurs, donc à des prix très élevés !
On voit bien ici que la tentation de «maximiser nos recettes d'exportation d'hydrocarbures» n'est pas sans risque et qu'il devient très important de savoir jusqu'où aller ou, plus exactement, il ne faut pas aller dans l'exploitation pour l'exportation de notre pétrole et de notre gaz, question cruciale s'il en est.
Dès lors, il est impératif de savoir qui décide de cette question : Sonatrach ? Le ministre de l'Energie ? Et ils le feraient au nom de quelle légitimité ? Où est passé le Conseil supérieur de l'énergie, cette structure délibérante de souveraineté ? Les «élus du peuple» n'ont-ils pas la voix au chapitre ? Plus largement encore, qui décide de notre politique énergétique, de nos choix de diversification énergétique ?
Toutes ces questions sur le pétrole nous plongent directement, en fait, dans la problématique de l'Algérie des années 2020 et les réponses à apporter éclaireront assurément les choix à retenir pour l'élaboration du nouveau régime de croissance.
Les questions urgentes
Six questions urgentes sur lesquelles on ne doit plus tergiverser et perdre encore du temps doivent être sérieusement mises à plat, débattues et déboucher sur des décisions fermes et exécutoires.
I/ Production industrielle insuffisante

L'industrie nationale ne produit pas assez de biens pour satisfaire un marché intérieur en expansion permanente. Le taux de couverture des besoins nationaux par la production industrielle nationale est faible, au moment même où les exportations de produits manufacturés sont insignifiantes (entre 50 et 60 millions de dollars par an pour des importations en inputs de l'ordre de 2 milliards de dollars pour faire fonctionner l'outil de production). Apparaît déjà ici une première question à débattre : faut-il axer les efforts de relance industrielle sur une démarche de substitution aux importations et de satisfaction par la production nationale, de la demande nationale, ou plutôt aller dès maintenant à la construction d'un modèle industriel exportateur de produits manufacturés ? bien évidemment l'un n'exclut pas l'autre, mais il faut tout de même savoir ou placer le curseur.
Deux préconisations doivent être débattues.
-a/ Prendre des mesures pour gagner la bataille de la production. L'industrie nationale affiche depuis plus de dix ans des taux de croissance insignifiants et les taux d'utilisation des capacités de production installées sont bien faibles : rappelons tout simplement que la production manufacturière a baissé de 50% en dix ans et que 40% des capacités de production installées sont oisives ! On voit bien que la production industrielle nationale doit monter en cadence et des mesures doivent être prises à cette fin. Ces mesures pourraient être précisées par une «Conférence nationale de la production Industrielle», que le ministère concerné a d'ailleurs inscrite dans son agenda et commencé à préparer.
-b/ Les entreprises algériennes doivent réaliser des progrès en organisation et engager des investissements de productivité : ce sont là des priorités pour les trois années à venir. Les performances actuelles de nos entreprises, notamment publiques, sont bien médiocres et on doit absolument casser cette «fatalité».
Une profonde réforme de la gouvernance des entreprises publiques doit être engagée, qui s'articulera autour de trois principes :
-1/ Responsabiliser les dirigeants des EPE pour en faire des managers et non plus des fonctionnaires.
-2/ Autonomiser le mode de gestion sur la base de l'obligation de résultats.
-3/ Instaurer des relations non plus de tutelle administrative faites d'injonctions et d'obligations de faire et de ne pas faire, mais fondées sur une démarche contractuelle.
Dans le même temps, le gouvernement doit encourager les SGP à développer le partenariat externe avec des champions mondiaux, à privatiser chaque fois que nécessaire, le management et à impulser des actions de promotion de l'innovation au sein de l'entreprise.

II/ Niveau d'investissements productifs faible

Ces vingt dernières années ont été marquées par un très faible niveau d'investissements productifs tant de la part des entreprises que de l'Etat, qui s'est surtout consacré à rattraper le retard en investissements d'infrastructures. Il faut rappeler, aussi, que la part des investissements des entreprises dans l'investissement total a été en moyenne, sur les dix dernières années, de 8% seulement (cf. R. Bouklia), alors même que l'épargne des ménages et des entreprises n'a jamais été aussi importante et que le taux global d'épargne avoisine, ces cinq dernières années, 52%.
Il est vrai que cette tendance est en train d'être inversée et que les investissements productifs marquent un trend haussier, mais les lourdeurs bureaucratiques et les carcans procéduriers attendent toujours d'être nettoyés. Les litanies actuelles sur le climat des investissements handicapants doivent laisser place maintenant à des actions nettes, claires et à mener en urgence.
Pour ne citer que l'obstacle du financement bancaire de l'investissement, une étude de la Banque mondiale révèle que 74% du total des financements de l'entreprise proviennent des bénéfices propres de l'entreprise et les crédits bancaires financement seulement 16% des investissements.
Par ailleurs, 1% seulement des crédits à l'économie va au financement à long terme de l'investissement.
Enfin, il est intéressant de souligner qu'une banque marocaine ou tunisienne prête deux fois plus qu'une banque algérienne et que les accords de Bâle permettent de prêter trois fois plus ! On estime à plus de 800 milliards de dinars les ressources financières dont sont privés chaque année les acteurs économiques nationaux ! Le ratio de solvabilité de nos banques publiques est de 24%. Il est de 12% pour les banques marocaines et tunisiennes et les accords de Bâle imposent un ratio minimum de 8% !
III/ Absence d'innovation

Nous savons que la recherche innovation dans notre pays n'existe que dans les budgets dédiés à cette fin. Dans les faits, il n'y a pas d'innovation dans l'économie algérienne ni de la part des structures étatiques ni encore moins de la part des entreprises privées. Les entreprises qui disposent de cercles de qualité, de clusters, de centres de recherche développement, de contrats de partenariat avec la recherche universitaire se comptent sur les doigts d'une seule main. L'activité d'innovation ne peut se développer et être efficace qu'au sein de l'entreprise. L'Etat peut accompagner, encourager cette activité par un ensemble d'incitateurs, mais il appartient à l'entreprise d'engager la bataille de l'innovation. Et en l'absence de contraintes d'efficacité et notamment en l'absence de concurrence, les entreprises sont peu enclines à innover. L'obstacle peut être momentanément contourné par le recours au partenariat avec des champions étrangers et l'aide de l'Etat sous forme de crédits à faible taux d'intérêt.
IV/ Absence de politique de formation qualifiante

Le manque de ressources qualifiées dans les différents domaines pénalise fortement l'économie nationale et singulièrement le secteur industriel. Ici en effet, les collectifs de producteurs et de managers difficilement constitués dans les années 1970 ont été dispersés pour des raisons et d'autres (retraites, restructuration organique des entreprises des années 1980, concurrence étrangère…) On estime aujourd'hui le taux d'encadrement de l'industrie nationale à 5%. Ce secteur souffre de pénurie de compétences et de main-d'œuvre qualifiée, mais en même temps 30% des diplômés universitaires sont refusés par le marché du travail et 46% des salariés de niveau 5 et plus occupent des postes de travail qui ne correspondent pas à leur formation.
C'est dire que le système de formation professionnelle étatique dispense de plus en plus une formation «parking» : les sortants de ces centres ne trouvent pas à s'employer car leur formation ne correspond pas aux besoins des entreprises. D'un autre côté, les entreprises algériennes n'ont pas de structure de formation qualifiante et spécialisée. Il n'y a eu en Algérie aucune Corporate University du type HEC Paris, Sup de Co, Ecole de management…
Les plans de développement des différentes filières industrielles envisagés ne connaîtront aucune efficacité si, dans le même temps, n'est pas engagé un programme ambitieux de formation des travailleurs aux différents niveaux de qualification et si les métiers et les savoir-faire ne sont pas reconstruits.
V/ Ouverture commerciale débridée

Le début des années 1990, marqué par les accords avec le FMI et le rééchelonnement de la dette extérieure, s'est caractérisé par une ouverture de l'économie nationale et un démantèlement tarifaire qui ont fait des dégâts sur notre outil de production peu compétitif tant au plan interne qu' externe. La reconquête du marché intérieur et la réduction des importations sont aujourd'hui des objectifs prioritaires dans la démarche du gouvernement. Il est clair que la réussite de la politique de substitution aux importations exige un minimum de protection de l'économie nationale afin de permettre à nos entreprises de se repositionner au moins sur le marché intérieur. Dès lors, les différents accords de libre-échange, d'association et d'accession à l'OMC, signés ou en voie de l'être, doivent être remis à plat. En tout cas, le gouvernement a intérêt à «traîner la patte» et à reporter quelque peu tous ces projets d'ouverture commerciale.
La tripartite devra aborder franchement cette question et réfléchir à la meilleure manière de concilier le soutien aux entreprises algériennes sans se fermer de tout échange commercial avec le monde.
VI/ Concurrence déloyale du secteur informel

On ne peut pas mener une politique efficace de redressement économique dans un contexte d'expansion sans précédent du secteur informel de l'économie souterraine, disent les spécialistes. Le gouvernement doit réagir de manière plus sérieuse qu'en organisant la chasse urbaine aux trabendistes. Pour lutter efficacement contre le secteur informel, il faut s'attaquer à son amont, qui est constitué par son approvisionnement, lequel pose aussi le problème de l'ouverture commerciale débridée de l'économie. Il faut donc une plus grande protection. Il faut ériger des barrières à l'entrée sauvage de marchandises. On peut en effet constater que dans les années 1970, le secteur informel était peu développé et, en certains territoires, totalement inexistant. Cette nouvelle démarche protectrice, largement à la portée de l'Etat algérien, est d'autant plus réalisable que les programmes de lutte contre le chômage, notamment des jeunes, sont aujourd'hui une réalité qui coûte d'ailleurs très cher au Trésor public.
On ne peut plus continuer à tenter des réponses à un problème, celui du chômage des jeunes (en permettant le développement sans précédent de l'économie souterraine) et en créer, du même coup, plusieurs autres, dont le plus grave est celui de la concurrence déloyale faite aux entreprises nationales qui étouffent sous la pression exercée par cette expansion de l'informel. La relance de l'industrie nationale, c'est aussi gagner la bataille contre le secteur informel.


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