Il est légitime de se poser la question de savoir pourquoi les "réformes économiques" largement médiatisées ne produisent pas les effets attendus. Le rétablissement des équilibres macro-économiques est sans doute un résultat appréciable après les déséquilibres induits par la crise des années fin 80 et 90. Cependant ces équilibres sont entretenus par les recettes des hydrocarbures et non par une production effective de la richesse par les autres secteurs. En termes de vision dans le domaine économique, rares sont ceux qui peuvent aujourd'hui percevoir une politique économique qui trace les voies d'un nouveau régime de croissance qui ne soit pas "déterminé" par les ressources des hydrocarbures. Il se trouve que les pouvoirs publics disposent d'un pouvoir législatif pour faire voter des loi mais ne sont pas dotés d'une administration capable de conduire des réformes dans la complexité et l'incertitude, et encore moins de relais efficaces dans la société et dans l'économie ; les managers publics sont plus intéressés par un statu quo et par une transition sans objectifs clairs et surtout sans délais fixés que par une transformation de ce secteur public; les entrepreneurs privés ne constituent pas encore une force économique organisée et autonome pour jouer un rôle dans les grands processus décisionnels, eux même n'ont pas de projets clairs pour le développement du secteur privé. On a l'impression que tous les acteurs de l'économie et de la société, par manque de projets clairs, optent collectivement et sans concertation pour le statu quo comme "stratégie" par défaut.. Dans ce statu quo institutionnel, la place des hydrocarbures s'élargit de plus en plus (dans le PIB, dans les recettes fiscales, dans le commerce extérieur, dans les IDE...) et celle du secteur productif industriel se rétrécit de plus en plus dans les mêmes domaines (part de l'industrie dans le PIB 6%). La branche des industries manufacturières est la plus touchée par l'érosion, car subissant de façon directe le syndrome hollandais(les biens échangeables locaux sont les plus vulnérables face à l'importation et il devient plus profitable d'importer que de produire ; les services et les travaux publics et bâtiments étant des biens non échangeables résistent mieux). La question de la compétitivité de l'entreprise et celle de la diversification du système productif national se trouvent au cœur de la problématique de sortie du régime actuel de croissance dominée par la politique de la demande dopée par les recettes des hydrocarbures. Mais l'horizon de la fin des exportations des hydrocarbures, bien qu'incertain, se profile autour de 2025-2030. Quelle serait alors l'alternative pour l'exportation des hydrocarbures lorsqu'on relève la parfaite corrélation qui existe entre dépenses publiques, taux de croissance et prix du baril de pétrole. Ce dernier détermine tout le reste. Dans ce contexte, continuer à considérer que la croissance ne peut être tirée que par la dépense publique et le secteur des hydrocarbures c'est hypothéquer l'avenir du pays pour longtemps, de même continuer à considérer que l'intervention multiforme de l'Etat dans l'économie par le budget, le secteur public économique et les transferts sociaux tous azimuts peut suffire à enclencher un processus autoentretenu de la croissance est une vue de l'esprit. Placer l'entreprise au cœur de la politique de développement économique pour en faire le moteur de la croissance est la voie la plus sérieuse. Réussir un tel challenge dans le cadre du système économique en place est quasiment impossible. Il est indispensable d'en reconfigurer le fonctionnement pour lever les entraves ci-dessus relevées et définir une vraie politique de promotion de l'entreprise. UN CONTEXTE ECONOMIQUE SCLEROSE PRODUCTEUR DE DESINCITATIONS Le régime du fonctionnement économique a été très en deçà de ce qui est attendu en termes de croissance si l'on prend en considération le potentiel qui lui est rattaché : une demande intérieure solvable, un cadre macro-économique relativement sain, des entrepreneurs dynamiques et des ressources financières disponibles. C'est donc l'articulation entre ces éléments de potentiel qui a été déficiente, autrement dit les institutions économiques n'ont pas été efficaces. La rente dont a bénéficié l'économie algérienne a largement contribué à perpétuer ces blocages, mais la rente n'explique pas tout. Des pays rentiers ont mieux réussi la diversification de leurs économies. Sans minimiser les effets de la rente sur les comportements des acteurs économiques, d'autres facteurs sont aussi présents : système économique peu incitatif à l'innovation, système financier sclérosé, marchés des facteurs défaillant. La difficulté est d'autant plus grande que l'obstacle n'est pas lié à un manque de moyens financiers ; il tient à l'inefficacité des institutions capturées par des acteurs sans stratégie claire de développement. L'existence d'un pouvoir d'achat réel entretenu par la dépense publique, relié à un chômage croissant et à un système basé essentiellement sur l'octroi de faveurs budgétaires provoque le foisonnement de TPE à forte composante informelle. Les PME, face à la concurrence de l'informel, font basculer, au moins une partie de leurs activités dans ce dernier. Les moyennes et grandes entreprises privées privilégient les activités à retour rapide, se diversifient beaucoup, souvent pour accéder à la rente liée au commerce extérieur et n'ont aucun désir pour des stratégies pour la remontée progressive dans la filière. A ces anomalies systémiques du fonctionnement économique s'ajoute une segmentation dangereuse dans le système financier : le secteur bancaire public finance essentiellement le secteur public via le Trésor et le secteur bancaire universel privé (essentiellement d'origine étrangère) finance le commerce extérieur du secteur privé, alors que des banques d'affaires étrangères sont quasi exclusivement tournées vers les grandes sociétés étrangères installées en Algérie. Dès lors, la capture de l'épargne se fait au profit des activités non productives ou à faible taux de capitalisation et surtout dans les branches à faibles risques. Le marché financier joue un rôle mineur dans le financement des entreprises productives. La faible compétitivité des entreprises n'est pas spécifique au secteur privé. Le secteur public marchand connaît une inefficience structurelle mesurée par sa faible contribution à la valeur ajoutée ; les différentes mesures prises par les pouvoirs publics pour lui redonner une viabilité financière (un effort financier considérable évalué à 13 Mds de $) n'ont pas produit les effets attendus, pis encore elles ont conforté l'inertie des dirigeants et entretenu le statu quo. Les réaménagements institutionnels successifs (fonds de participation, holding, SGP) ne semblent pas provoquer une dynamique de redressement. La question des droits de propriété dans l'entreprise publique et son corollaire la relation Principal -Agent (propriétaires – management des EPE) avec leurs coûts d'agence ne trouve pas de réponse dans ces réaménagements institutionnels. BÂTIR DES ENTREPRISES COMPETITIVES EN ALGERIE, EST-CE POSSIBLE ? L'économie algérienne se caractérise aussi par l'existence d'entreprises peu nombreuses, de petite taille, très faiblement compétitives et peu innovantes. Il ne s'agit pas ici de faire du secteur des hydrocarbures un secteur non concerné par le développement économique et social du pays, mais de neutraliser les effets pervers d'une rente qui inhibe toute initiative et produit une insouciance systémique de bâtir une économie compétitive (insouciance des pouvoirs politiques, insouciance des acteurs économiques) et plus grave que tout, la rente incite à la prédation. Comme l'économie et la société algériennes sont irriguées par les ressources des hydrocarbures, il sera très difficile, du jour au lendemain, d'arrêter cette irrigation ; elle serait même contreproductive ; la question doit être gérée dans un projet global de développement du pays qui, tout en s'appuyant sur les hydrocarbures, créera une économie de production compétitive. La place des hydrocarbures sera définie et les ressources excédentaires seront placées/ investies à long terme (les expériences dans ce domaine sont nombreuses : Fonds d'investissement international, participations dans le capital des grandes sociétés industrielles internationales, financement des grands programmes d'innovation-recherche-développement, grands projets de formation de la ressource humaine...). Le désengagement de la dépendance des hydrocarbures se fera de manière graduelle pour permettre à l'économie de continuer à fonctionner puisqu'elle y est totalement assujettie, pour préparer l'alternative aux hydrocarbures. C'est dire combien cette rupture entre économie de production et hydrocarbures sera difficile à atteindre, mais en même temps c'est l'une des conditions de la construction d'une économie compétitive autoentretenue. Mettre de l'ordre dans le fonctionnement du système Il est indéniable que beaucoup d'efforts ont été accomplis ces dernières années en matière de facilitations dans les enregistrements, la législation commerciale et les incitations budgétaires et fiscales à l'investissement. Il est vrai aussi que les incitations fiscales et parafiscales ont été proposées, mais les entreprises, particulièrement les plus dynamiques, attendent d'autres formes d'incitation qui sont d'une autre nature. En effet, les seuls avantages budgétaires et fiscaux, certainement nécessaires, ne constituent pas des incitations fortes pour tous les types d'entreprises ; ils ont un impact plus décisif dans la phase de lancement des entreprises que dans la phase de développement de celles qui existent déjà. Les mesures prises en février 2011 ont provoqué une croissance du nombre de création entre mars et juin 2011 avec des pics de 30.000 créations par mois. Mais elles n'ont pas, de l'avis des entrepreneurs, impacté le comportement d'investissement des entreprises en développement. Les incitations peuvent être assorties de conditions sur les résultats à atteindre dans le cadre d'une démarche contractuelle. On peut imaginer des programmes par secteur ou branche ciblés (plan électronique, plan agroalimentaire, plan chimie/pharmacie, plan exportation....) ; ou pour les entreprises éligibles. Ainsi les aides de l'Etat seront conditionnées par des résultats à réaliser par ces entreprises. Sortir de la confusion dans les rôles et les responsabilités L'Etat, le marché et l'entreprise sont les éléments constitutifs de toute organisation économique susceptible de "construire" le développement économique et social. Ce qui est discutable, ce sont les formes d'articulation entre les trois et c'est ce qu'on appelle la régulation. Quels sont les rôles de chacun? A l'Etat de définir les règles du jeu, au marché d'offrir le terrain du jeu et aux entreprises de produire les biens et services.Les règles du jeu sont les institutions, la législation, les incitations et d'une façon générale toutes les normes. Plus ces règles du jeu sont simples, transparentes et stables et plus les acteurs sont productifs. Et inversement lorsque les règles du jeu sont opaques, instables et compliquées, les acteurs cherchent à les contourner (sphère informelle) et à les détourner (corruption). La question centrale est donc celle de la qualité des règles du jeu. L'Etat n'a pas vocation à devenir entrepreneur et l'entrepreneur n'a pas vocation à devenir régulateur. Si l'Etat produit une bonne régulation, les entreprises produisent de la croissance. M. C. B. *Professeur de management et d'économie institutionnelle Nom Adresse email