Qu'un acte aussi poétique, celui pour des amoureux d'accrocher sur les barreaux de protection contre l'envie de mort du pont-dit-des-suicidés un cadenas comme symbole de l'amour éternel, puisse être à ce point subversif que des «politiques», les salafistes en l'occurrence, s'interposent violemment, évoquant Dieu et ses saintes recommandations et envoient leurs casseurs, donne à réfléchir. Disons en passant que ces mêmes restent muets quand il s'agit de condamner les viols. Mais tout le monde l'aura remarqué. «Nous vivons dans un monde où nous devons nous cacher pour faire l'amour, alors que la violence est pratiquée en plein jour.» C'est avec ces mots de John Lennon que nos amis égyptiens avaient lancé le scandaleux «Egyptien Kissing day» avec la photo d'un baiser (la jeune fille est voilée) postée le 23 mai par Ahmed Elgohary. Les prophètes de l'amour sont rares dans les temps qui courent, son nom mérite d'être retenu, comme celui des trois journalistes algériens, Idir Tazerout, Mehdi et Farida, les inventeurs du pont de l'amour. Quel grand corps malade est devenu notre pays pour que, au vu et su de tous, des hommes, au nom de la religion, sans douter de leur bon droit, à visage découvert, vouent aux gémonies et lancent des casseurs contre l'amour. Sans parler du ridicule. L'ont-ils attrapé ? L'ont-ils trouvé sur le pont du Télemly cette nuit où ils ont avec rage arraché les cadenas ? Attraper l'amour c'est comme essayer d'attraper la liberté, c'est comme essayer d'attraper la vie. Pour cela, il ne suffit pas de se dire homme de Dieu, il faut encore avoir la grâce. La grâce de la jeunesse, la grâce de l'amour, de la vie. Et c'est cela qui les rend furieux. Voilà ce qui est subversif. Avec ces jeux de l'amour, un cadenas à Alger, un baiser au Caire, malgré la déprédation politique, la folie meurtrière des uns, l'irresponsabilité des autres (la police est-elle intervenue contre ceux qui ont déclaré avoir saccagé le pont ?), ces jeunes femmes et ces jeunes hommes font le pari de la vie contre la mort et son cortège d'imprécations mortifères. Oui l'amour est politique. Sous le pont du Télemly coule la vie et nos amours, faut-il qu'il m'en souvienne… www.facebook.com/wassylatamzali