C'est désormais officiel : l'esprit sportif est définitivement mort en Egypte. Les médias égyptiens ont déversé sur l'Algérie un torrent d'insultes et un océan de haine. S'appuyant sur les attaques présumées de supporters algériens sur le public égyptien, les réflexions des journalistes d'El Doustour peuvent laisser pantois : « Au lieu d'être le pays du million et demi de martyrs, l'Algérie a été le pays des dix millions de vauriens », souligne, sans rougir, le commentateur Nabil Farouk dans un texte intitulé « La différence entre l'Algérien et le boucher ». Dans un climat déjà tendu, les médias égyptiens en rajoutent et jettent de l'huile sur le feu. Les dérapages sémantiques ont été divers et variés. Il y eut ainsi la protestation rageuse : « Les Algériens sont partis au Soudan dans le seul but d'humilier les Egyptiens, qu'ils soient gagnants ou perdants. Cela montre au peuple et aux gouvernants algériens que ces supporters – je veux dire ces vauriens – représentent toute la société algérienne », écrit-on dans l'hebdomadaire Al Youm el sabâa (le septième jour). L'emphase lyrique : « Nous n'accepterons pas de jouer un autre match avec eux jusqu'à ce qu'ils demandent des excuses. Le drapeau algérien ne flottera plus sur les pelouses vertes de n'importe quelle compétition jusqu'à ce que l'Egypte et les Egyptiens soient reconsidérés. Autrement, non et mille fois non à l'Algérie. » L'appel à Dieu : « Les Algériens ont acheté tous les couteaux qui se vendaient à Khartoum pour prouver leur "arabité". Si leur arabité signifie l'attaque et l'agression du peuple égyptien, alors Dieu les maudira ainsi que leur arabité. » Les menaces calibrées : « Ce qui s'est passé au Soudan ne doit pas rester impuni. » « Nous ne pardonnerons pas à ceux qui ne le méritent pas. » Et la mauvaise foi : « Si le peuple égyptien avait eu ce genre de comportements, le président Hosni Moubarak se serait empressé de demander des excuses. » Alors que le journal El Doustour accuse le président Moubarak d'être à l'origine de ce qu'ils appellent « l'humiliation des Egyptiens », le quotidien El Ahram, la voix officielle, prévient contre « une exagération démesurée » de la situation. Dans une tribune dite « l'avis d'El Ahram », les rédacteurs disent qu'ils ne peuvent « justifier ni excuser les comportements condamnables de quelques supporters algériens à Oum Durman » et ils pensent qu'« ils ne devraient pas prendre des proportions démesurées car il s'agit d'actes isolés et qu'on ne doit pas blâmer tout le peuple algérien frère ». Les artistes égyptiens se sont également pris au jeu. Le chanteur Amro Diab a reporté son concert par solidarité avec le peuple égyptien. Les artistes ont été appelés par leur syndicat à organiser des sit-in sur le tapis rouge du Festival du cinéma qui se tient actuellement. Les organisations d'artistes égyptiens ont décidé de boycotter toute activité avec l'Algérie jusqu'à ce qu'il y ait des excuses officielles. Le communiqué de la Société arabe de production et de diffusion se fait provoquant : « Si notre compagnie avait, dans le passé, gratifié les festivals algériens de ses films, de sa créativité et de ses stars, c'était dans l'espoir que la culture, l'art et le cinéma pouvaient rapprocher les peuples, mais ce qui s'est passé au Soudan, notre compagnie a le sentiment que les responsables et les artistes algériens ne sont pas à la hauteur de ce qu'est l'art et la culture. » « Maintenant que le boucan du match se termine et qu'il éclate en poussière sur une véritable tragédie, il apparaît que le résultat est la perte de tous ceux qui ont véritablement cru en l'unité arabe et qui ont longtemps vécu sous les étendards de la fraternité et du rêve arabes », écrit le journal El Wafd. Dans un article intitulé « La seconde défaite », El Wafd compare la crise actuelle à la guerre des six jours : « Comme l'histoire se répète. La différence entre les deux chocs est de 42 ans et nous n'en n'avons tiré aucune leçon. Israël nous avait entraînés dans une guerre médiatique en ce temps-là (…) Quatre décennies plus tard, l'Algérie nous pousse à l'escalade jusqu'à ce que nous entrions dans une guerre d'insultes. »Pourtant, les médias algériens n'ont jamais été aussi virulents dans leurs critiques. Les insultes proviennent d'un seul côté.