Dimanche 3 novembre, des appartements de Baraki, dans la banlieue d'Alger, brûlent. Au pied des immeubles, les habitants de deux bâtiments voisins s'affrontent à coups de sabre et de pistolets de détresse. La police arrête une vingtaine de personnes, mais personne n'est dupe, les violences recommenceront. A Aïn El Malha, Dély Ibrahim ou Birtouta, ces affrontements font partie du quotidien des habitants. Les habitants mettent systématiquement en cause des «relogés» qui ne seraient «pas d'ici». Mais au-delà des populations, l'urbanisme est l'une des causes la flambée de violence. «Dans un espace agréable, quand le climat est apaisé, il n'y a pas de gangs, pas de problèmes. Or quand des habitants, déracinés de leurs quartiers, se retrouvent sans transport, sans équipement, sans stade, les problèmes arrivent !», affirme Akli Amrouche, architecte-urbaniste, directeur de la revue Vies de Villes. «C'est précisément l'absence d'urbanisme qui est la cause principale de la violence dans les cités. La ville est un contenant et la société un contenu. Les deux sont intimement liés comme le corps et l'esprit. L'urbanisme n'est pas une science de la construction et ne se suffit pas d'un plan et d'une entreprise de réalisation, aussi performante et rapide soit-elle. On parle de ‘cité de 1000 ou 2500 logements', de ‘numéro de bloc', on entre dans une ‘cage' d'escalier pour dormir dans une ‘cellule', c'est bel et bien un langage carcéral», déclare Halim Faïdi, architecte-urbaniste. Qualité-quantité Ces problèmes d'intégration de l'habitat dans un système urbain sont la conséquence du cloisonnement des responsabilités entre les ministères. «Le ministre de l'Habitat ne peut pas gérer les baux commerciaux quand il planifie la construction d'un immeuble !», déplore Akli Amrouche. «Il y a un problème de gouvernance. On privilégie la quantité de logements. Or, il faut penser à la qualité. L'Etat fait des efforts en donnant des logements gratuitement, cela règle des problèmes à court terme, mais à long terme, ce sera pire», ajoute-t-il. Pour les professionnels, une ville, ce n'est pas que des logements. «Le logement n'est censé représenter que 30% de la ville. Les 70% restants sont réservés aux routes, aux chemins, aux massifs plantés, aux parcs, aux plans d'eau, aux équipements de proximité ou de ville, aux activités, aux écoles, aux universités, aux services, aux loisirs, à la culture, aux centrales de distribution de l'énergie, aux stations techniques, etc. En rajoutant une école, un centre commercial et une mosquée dans une cité, on ne lui retire pas son caractère de cité. Une HLM en couleur restera toujours une HLM», explique Halim Faïdi. cités-dortoirs Un responsable de l'urbanisme de la wilaya d'Alger promettait, en 2011, à la presse : «Nous allons assurer de véritables villes indépendantes disposant de tous les équipements nécessaires.» Le président Abdelaziz Boutelfika a répété plusieurs fois que c'en était fini des cités-dortoirs, mais rien ne change. «Des solutions existent en interne, chez nous, par nous-mêmes. Serait-ce trop demander ? En lieu et place de plans de cités, il faut alors établir des projets urbains singuliers, bannir la systématisation et la répétition, penser la ville comme un établissement humain harmonieux et pas en nombre de logements à construire vite», renchérit Halim Faïdi. Ces conditions de vie sont aggravées par une politique de relogement qui ne prend pas en compte les caractéristiques des populations relogées, sapant les bénéfices de la mixité sociale. «Au départ, les autorités avaient prévu de créer une cité pour les cadres. Mais au moment d'une campagne électorale présidentielle, il y a eu plusieurs opérations de relogement pour des habitants de bidonvilles de Constantine. C'est à ce moment-là que les tensions ont commencé», raconte un habitant de la cité Ali Mendjeli. «La mixité, celle-là même qui fonctionne au Télemly et à Bab El Oued, est nécessaire, mais je le répète, l'urbanisme est une science de la stratégie et non de la construction. C'est aussi un art et s'il perd ce caractère, il peut devenir explosif. On ne récolte que ce que l'on sème», explique Halim Faïdi. «Aujourd'hui, nous sommes dans une relation de prédation, affirme Larbi Merhoum, architecte. Si on vous donne un logement gratuitement, vous ne réclamez rien. Personne n'a donc de compte à rendre. Si vous deviez payer 8 millions pour un appartement vous n'iriez jamais habiter dans ces cités. On construit des logements de très mauvaise qualité du fait de cette politique populiste. C'est une hérésie et un crime économique!»