Pendant 10 jours, jour et nuit, les voitures et les murs des maisons ont brûlé. Les jeunes ont été attaqués, les familles n'ont pas laissé leurs enfants sortir. Dans la nouvelle ville de Ali Mendjeli à Constantine, les violences entre bandes durent depuis dix mois. «Au moins 50 appartements ont été brûlés et plusieurs familles ont été obligées de quitter la cité», dénonce un habitant. Cette violence fait partie du quotidien de nombreux Algériens qui vivent dans ces barres d'immeubles. A Baraki (Alger), les associations d'habitants tentent d'alerter les autorités depuis plus d'un an. Les combats à coups de sabre, les affrontements à proximité des écoles, ceux qui habitent dans cette petite ville autrefois traumatisée par les massacres n'en peuvent plus. Un père de famille avoue inscrire son fils dans plusieurs équipes de sport «pour qu'il ne traîne pas dans la rue». Aux 568 Logements à Haouch Mihoub, une cité à la lisière de la ville, juste après l'Aïd, de violents affrontements ont opposé les habitants de deux bâtiments à coups de sabre, de cocktails Molotov, de pistolets de détresse durant plus d'une semaine. «Un véritable arsenal», commente un habitant du quartier dont l'appartement a été endommagé. «Les policiers et les gendarmes n'ont rien fait pendant plus d'une semaine», s'insurge-t-il. Ces situations ne sont pas exceptionnelles. Les violences urbaines sont l'enjeu sécuritaire de demain. Car si aucune comparaison n'est possible avec la violence terroriste, il existe dans certains quartiers des habitants qui s'inquiètent pour la sécurité de leurs enfants et de leurs biens. Pourtant, la société ne leur laisse pas le droit d'en parler. A chaque plainte, nombreux sont ceux qui répondent : «Vous ne devriez pas vous plaindre, ce n'est plus les années 1990.» L'entourage de Abdelaziz Bouteflika n'a laissé aucune place à ces remises en cause pendant la campagne, le Président étant celui «qui a ramené la paix», notion ne pouvant pas inclure la question de l'insécurité. Sauf que la peur n'est pas rationnelle. Une mère a peur pour ses enfants, peu importe celui qui tient l'arme blanche. Le droit à la sécurité fait partie des droits des citoyens. Que l'insécurité soit «moins importante» n'a pas à justifier l'inaction des pouvoirs publics. Les facteurs de cette insécurité urbaine sont multiples, mais les pouvoirs publics peuvent avoir un impact rapide en s'attaquant d'abord à l'aménagement des nouvelles-villes. A l'image de la majorité des habitants de Tessala El Merdja, des quartiers ou des villages entiers sont relogés dans des tours, sans aucun aménagement. «Quand des habitants, déracinés de leurs quartiers, se retrouvent sans transport, sans équipement, sans stade, les problèmes arrivent !», affirme Akli Amrouche, architecte-urbaniste, directeur de la revue Vies de Villes. «C'est précisément l'absence d'urbanisme qui est la cause principale de la violence dans les cités. La ville est un contenant et la société un contenu. Les deux sont intimement liés comme le corps et l'esprit. L'urbanisme n'est pas une science de la construction et ne se suffit pas d'un plan et d'une entreprise de réalisation, aussi performante et rapide soit-elle. On parle de ‘cité de 1000 ou 2500 logements', de ‘numéro de bloc', on entre dans une ‘cage' d'escalier pour dormir dans une ‘cellule', c'est bel et bien un langage carcéral», explique Halim Faïdi, architecte-urbaniste. La politique de relogement qui ne prend pas non plus en compte les caractéristiques des populations relogées, sapant les bénéfices de la mixité sociale. «Au départ, les autorités avaient prévu de créer une cité pour les cadres. Mais au moment d'une campagne électorale présidentielle, il y a eu plusieurs opérations de relogement pour des habitants de bidonvilles de Constantine. C'est à ce moment-là que les tensions ont commencé», raconte un habitant de la cité Ali Mendjeli à Constantine. Le deuxième facteur que les autorités doivent prendre en charge est l'impact de la violence sur la société. La Forem qui a créé trois centres de prise en charge psychologique, dont un à Bentalha, milite pour la prise en charge des victimes de traumatisme. «Nous estimons que même les gens qui n'ont pas été pris en charge jusqu'à aujourd'hui doivent être écoutés. Il faut des psychologues performants et des cellules d'écoute dans tout le pays», affirme Mostefa Khiati, professeur de pédiatrie et président de l'association, qui estime qu'un million d'enfants ont été traumatisés pendant les années 1990. «La majeure partie n'a eu aucune aide psychologique. Or, aujourd'hui, on assiste à une élévation du niveau de violence chez les jeunes. Le standard dans les relations humaines, c'est la violence. A mon sens, c'est lié à ce traumatisme vécu pendant l'enfance. Prenons par exemple le cas des mineurs présentés devant la justice pour tout type de délit ou de crime. Auparavant, ils étaient 10 000 par an. Aujourd'hui, ce chiffre s'élève à 15 000. Là encore, je fais le lien avec l'absence de prise en charge psychologique», explique M. Khiati.