Le gouvernement du Soudan peine à placer les vestiges de Nubie dans les grands circuits de voyage, le lobbying égyptien restant toujours aussi puissant. Au nord du Soudan, dans le désert de Nubie, se cache un trésor de 220 pyramides, tombeaux des rois et princesses de Méroé et de Napata, classées patrimoine mondial par l'Unesco. Le roi Kashta, ses fils et petits-fils Piânkhy, Shabaka et Tanoutamon y sont enterrés. Nous avons visité par le passé ces pyramides situées à une centaine de kilomètres au nord de Khartoum, dans la cité antique de Méroé. De petite forme, pointues et à pente forte, ces pyramides avaient fait la grandeur du royaume koushite. Un royaume qui avait connu trois périodes (Kerma, Napata et Méroé). Kerma était un rival de l'ancien empire égyptien. Les Kerméens avaient même réussi à couper les routes qui permettaient aux pharaons d'Egypte d'acheminer des produits de l'Afrique noire. Les pharaons de la XVIIIe dynastie, Ahmosis et ses successeurs, avaient engagé une entreprise coloniale et occupé le royaume de Kerma pendant plus de cent ans. Les pharaons égyptiens avaient mis tout leur poids pour effacer les traces civilisationnelles de Kerma. Ils avaient échoué. « La prospérité du royaume de Kerma était fondée sur l'exploitation des terres agricoles, le développement de l'élevage, l'exploitation des richesses minières, notamment l'or, mais le pays a su tirer profit de sa position stratégique sur les routes commerciales entre le Sahara et la mer Rouge, l'Egypte et l'Afrique », écrit l'égyptologue Brigitte Gratien. L'histoire est là Napata était le royaume qui avait succédé à celui de Kerma et qui était situé à Djebel Barkal, à la frontière entre le désert et les terres cultivées du Nord-Soudan. Napata avait pris sa revanche. Le roi Piânkhy avait réussi à dominer toute l'Egypte à partir de la Nubie. Cinq pharaons de la XXVe dynastie étaient originaires de Napata, dont Chabaqa, Chabataqa et Taharqa. Méroé constituait la troisième période du royaume koushite. Il avait existé en 2500 avant Jésus-Christ. Méroé était aussi fort que sa voisine du nord. Il était même arrivé à occuper toute l'Egypte pendant presqu'un siècle, marqué par le règne de cinq pharaons noirs. Le royaume Méroé ne fut battu que par les Ethiopiens, après un âge d'or particulièrement long. « Les Méroïtes possédaient une administration efficace, des armées redoutées, des temples sans cesse embellis, une écriture ingénieuse, une agriculture prospère. Et surtout, ils tenaient les seules voies de commerce terrestre reliant le monde méditerranéen à l'Afrique subsaharienne, les pistes par où transitaient les caravanes convoyant l'or, l'ivoire, l'ébène, les peaux de panthère, les plumes d'autruche, les singes et les fauves », écrit l'historien Claude Rilly. Le lobbying du tourisme égyptien La Nubie était donc une civilisation aussi florissante que celle de l'empire des pharaons d'Egypte. Pour beaucoup de chercheurs, la civilisation égyptienne tirait sa sève de celle du royaume koushite. Chose peu admise dans l'Egypte d'aujourd'hui. Sur place, nous avons demandé au guide les raisons qui font que les pyramides de Nubie sont peu visibles sur les cartes touristiques internationales. « Demandez cela aux Egyptiens. Ils font tout pour ne pas voir ces pyramides dans les guides touristiques. Pour eux, il n'y a que les pyramides de Gizeh que les étrangers devraient voir », nous a-t-on dit. Les Egyptiens ne veulent en aucune manière remettre en cause le fait que la grande pyramide de Khéops fasse partie des sept merveilles du monde antique. La propagande touristique du Caire fait donc tout pour faire « oublier » ces pyramides du sud, du monde noir, comme pour mettre le voile sur un passé « honteux ». Le fait est là : les Nubiens étaient aussi forts, civilisés et prospères que leurs voisins égyptiens. Le gouvernement du Soudan peine à placer les vestiges de Nubie dans les grands circuits de voyage, le lobbying égyptien restant toujours aussi puissant. Cette attitude peut se comprendre pour l'Egypte, dont le tourisme est la colonne vertébrale de l'économie. Le Soudan peut faire un effort pour relancer son tourisme et attirer les visiteurs étrangers. Reste que l'histoire, quels que soient les artifices et les ruses, ne peut être effacée d'un trait de plume...