Le calvaire quotidien des habitants est adouci par l'espoir du renouveau. Des milliers de milliards sont injectés dans des projets de requalification, de mise à niveau et autres, qualifiés de structurants, censés ouvrir à la cité les portes de la modernité. Les représentants du gouvernement font leur ballet polyphonique et pressent les exécutants de livrer commande. Le choix de la ville qui abritera la capitale la culture arabe en 2015 stimule l'entreprise de développement et, surtout, désigne une échéance pour livrer l'ensemble des projets. Constantine ressemble à Pékin sur le point de devenir Beijing pour accueillir les Jeux olympiques. La comparaison s'arrête à l'idée bien entendu. Car aujourd'hui, la population commence à douter des résultats de ces travaux d'Hercule. Dans les discussions de café, dans la presse ou dans les travées des assemblées locales, l'heure n'est plus à la confiance béate. La foi du charbonnier a des limites. Les problèmes dont souffrent les Constantinois pourraient être résumés en ceci : trafic automobile hyper congestionné, foncier saturé, urbanisme éclaté, exode rural et violence débridée, vieux bâti en ruine, nouveau bâti inesthétique, déficit en infrastructures de culture et de loisirs. Voici à quoi devrait répondre l'effort de l'Etat. Or, non seulement les nouvelles infrastructures souffrent de tares de naissance, en plus elles n'apportent pas de solution à ces problèmes, à défaut de moderniser la ville. La nouvelle aérogare, la trémie de Daksi et surtout l'incontournable tramway sont là pour témoigner du fiasco. Deux plans, une histoire Après dix ans de retard et un budget revenu dix fois plus cher, la montagne a accouché d'une souris qui fait office d'aérogare. Un bâtiment repoussant, lequel, dès sa réception en 2013, a décidé les pouvoirs publics à l'oublier en construisant un nouveau ! La trémie de Daksi, censée soulager la circulation au niveau d'un des points les plus noirs, a vu elle aussi son délai de réalisation rallongé au lieu de décongestionner le trafic. Résultat : l'ouvrage a créé de nouveaux problèmes ! Quant au tramway, l'expérience constantinoise est un véritable guide des choses qu'il faut éviter quand on fait un tramway. Les choses n'ont pas toujours été aussi déprimantes. Constantine a connu auparavant deux plans d'urbanisme venus apporter des solutions aux ambitions politiques d'agrandissement et de modernisation de la métropole. Le premier, réalisé par l'urbaniste français Henri-Jean Calsat et exécuté par l'administration coloniale à partir de 1960, devait servir une ville de 400 000 habitants à l'horizon 1982. Ensuite, au milieu des années 1980, les Tchèques sont venus et ont réalisé une étude un tantinet radicale proposant des solutions un peu trop révolutionnaires pour les décideurs de l'époque. Ce n'est qu'en 2006 que ces idées furent adoptées, notamment le tramway, le téléphérique et le transrhumel. Galvanisées par les instructions du président de la République pour moderniser les villes algériennes et son insistance sur Constantine après avoir mieux constaté les retards lors de sa visite conjointe avec Nicolas Sarkozy, les autorités centrales et locales franchissent le pas. Les projets furent lancés cependant sans référence à une nouvelle planification urbaine qui prend en compte les nouvelles données. Stigmatisant la démarche des pouvoirs publics, l'urbaniste et chercheur Belkacem Labii écrivait dans ces mêmes colonnes en 2009 : «Force est d'observer que ces grands projets ont été pensés, voire décidés individuellement, pour répondre à des problèmes ponctuels ; ils ont été ensuite réunis dans un plan dit de modernisation de la métropole. La démarche est pour le moins anachronique : d'abord des projets, ensuite un plan pour les contenir et enfin d'autres projets pour remplir ce plan.» Tout se passe comme si le plan est improvisé, à défaut d'études préalables, d'impact et économétriques. Mieux, la population a mesuré toute l'incohérence de la démarche des pouvoirs publics à travers les visions opposées des deux précédents walis de Constantine. Erreurs fatales Le plan de modernisation de la métropole (PPMMC), initié en 2006 par Abdelmalek Boudiaf, a été remisé au tiroir par son successeur Noureddine Bedoui, qui a rompu avec l'œuvre inachevée du premier, comme si les deux grands commis n'émargeaient pas au même Etat. «Comment peut-on aborder la modernisation quand l'assainissement n'est pas fait et quand les bidonvilles ceinturent la cité ?», avait soutenu Bedoui en exposant, à son arrivée, sa propre feuille de route. Le cabinet de conseil, choisi parmi les universitaires par Boudiaf, avait été dissous de fait. Ces deux postures antagoniques trahissent toute l'inconstance du gouvernement sur ce dossier. Ce qui est d'autant plus inquiétant, c'est l'absence d'une logique de réflexion globale sur le devenir de la cité, l'absence d'un concept général où peuvent s'imbriquer les différents projets comme s'imbriquent les pièces d'un puzzle. Khelfi s'interroge : pourquoi n'a-t-on jamais réfléchi à créer un plan d'urbanisme communal permettant aux élus de faire appel à des spécialistes pluridisciplinaires capables d'élaborer un cahier des charges qui fait force de loi ? «Avec un tel instrument, le transrhumel ne serait pas réalisé là où il est, parce qu'il ne respecte pas la distance de visibilité. Ce n'est pas normal qu'on construise un hôtel 5 étoiles face à des quartiers hideux et un pôle universitaire au milieu de nulle part ! Regardez comment le tracé du tramway a engendré des problèmes énormes de circulation. La ville est morte, on ne peut plus circuler, il faut absolument changer le tracé du tram avant qu'il ne soit trop tard.» Dans une tribune intitulée «La modernisation sans la modernité», l'universitaire Abdelmadjid Merdaci écrivait en 2009 dans El Watan : «Tout semble se passer comme si le décalage entre les démarches institutionnelles et le mouvement de la société se reproduisait à l'enseigne politique de gestion de la rente et de calculs de carrière.» Le résultat est en tout cas inquiétant : les nouvelles infrastructures ne répondent guère aux attentes de la population. Le mal-être est croissant dans une cité au bord du chaos et où l'ordre ne tient plus qu'à un fil.