ABDERRAHMANE EL KERTHI C'est le nom d'un illustre savant ibadite du XIIIe siècle. C'est aussi le nom du Conseil des notables des tribus de la Vallée du M'zab. Dans l'architecture politico-sociale mozabite, il faut savoir qu'il existe deux hautes institutions «orfia» (traditionnelles). Le Conseil du Cheikh Ba Abderrahmane El Kerthi («Ba» étant un titre honorifique) est chargé de gérer les affaires temporelles, sorte d'instance politique qui chapeaute les sept cités du M'zab, tandis qu'un autre conseil, dénommé «Ammi Saïd» (du nom d'un autre savant ibadite du XVe siècle, en l'occurrence Abou Othmane Saïd Ben Yahia Al Djerbi), se charge, lui, des questions religieuses et des fatwas. Le 31 décembre dernier, une dépêche de l'APS relayait un communiqué du Conseil du Cheikh Ba Abderrahmane El Kerthi dans lequel cette instance a notamment appelé à «ouvrir une enquête transparente et approfondie pour identifier les auteurs (des derniers événements, ndlr) et leur infliger les sanctions les plus sévères, conformément aux principes de la République et en consécration des principes de citoyenneté et d'égalité devant la loi». Le communiqué a, en outre, insisté sur «la prise en charge urgente des victimes et leur assistance, ainsi que la préservation de la sécurité et de la quiétude, tout en œuvrant au renforcement du système juridique pour bannir et incriminer tout ce qui peut porter atteinte à la stabilité et la sécurité, qu'il s'agisse d'écrits ou de déclarations provocantes qui menacent l'unité de la nation et la cohésion nationale».
AFFRONTEMENTS
Alors que des milliers d'émeutes sont enregistrées chaque année en Algérie, à Ghardaïa on ne parle pas de révolte mais d'affrontements. Et pour cause : le plus souvent, il est question, dans cette wilaya, de clashes entre les deux grandes communautés qui peuplent la région. Il faut noter, à ce propos, que les derniers événements qui ont secoué la pentapole ne sont pas nouveaux, loin s'en faut. La Vallée du M'zab est même sujette à des violences cycliques. En 1975, la région avait connu des événements similaires à Béni-Isguen et Guerrara. En 1985, la ville de Ghardaïa fut ébranlée par le même type de violences, puis, respectivement, Berriane en 1991, Béni-Isguen et Melika en 2004, et de nouveau Berriane en 2008 et 2009, puis Guerrara en novembre dernier, pour ne citer que les incidents majeurs. Au cours de l'année 2013, la wilaya de Ghardaïa aura connu, en tout, pas moins de 9 «affrontements intercommunautaires» de différente intensité, à l'instar de ceux du mois de mai. BILAN
Aucun bilan officiel n'a été rendu public par le ministère de l'Intérieur concernant les derniers événements de Ghardaïa. Cependant, selon des informations distillées par les autorités de la ville (Sûreté de wilaya, Protection civile, hôpitaux), un bilan provisoire fait état de plus de 200 blessés dont 3 sont dans le coma, indique notre correspondant sur place (El Watan Week-end du 3 janvier 2014). Un jeune de 23 ans, grièvement touché à la tête le 26 décembre, a succombé à ses blessures. Par ailleurs, 40 personnes ont subi une intervention chirurgicale, selon El Khabar du 29 décembre. 22 ont été victimes de brûlures causées par l'emploi de cocktails Molotov, ajoute le même journal. Du côté des forces de l'ordre, 61 blessés ont été enregistrés, dont 10 seraient dans un état grave. Les événements ont causé la destruction et l'incendie d'une trentaine de magasins, et de dizaines de maisons, ainsi que la profanation de deux cimetières (Ammi-Saïd et Baba-Salah). 200 m de câbles électriques ont été endommagés, précise une source de la Sonelgaz à El Khabar. La Protection civile a dû effectuer une centaine d'interventions. Au chapitre arrestations, 6 personnes ont été placées sous mandat de dépôt, tandis que 9 autres sont mises sous contrôle judiciaire, indique une dépêche APS du 30 décembre. Les autorités n'ont communiqué aucun chiffre sur la valeur numéraire des dégâts matériels occasionnés. CHAâMBA
L'un des mots-clés les plus usités ces derniers jour en évoquant la situation explosive que vit la région est «Chaâmba». A la question : «Qu'est-ce qui se passe à Ghardaïa ?», d'aucuns vous répondront : «Nadhet ma bin el m'zabiya oue'chaâmba» (ça a éclaté entre les Mozabites et les Chaâmba). D'autres récits, un peu plus prudents, parleront d'affrontements intercommunautaires entre «Mozabites» et «Arabes». On a entendu aussi «Arabophones» VS «Berbérophones». D'autres encore, pour nommer les acteurs du conflit, mettent en avant le clivage Malékites/ Ibadites. Pour nombre d'habitants de Ghardaïa que nous avons rencontrés, ces dichotomies, qu'elles soient ethniques ou religieuses, sont considérées comme réductrices. Il faut préciser aussi que pour des pans entiers de la population locale, il n'est guère choquant de dire «Mozabite» ou «Arabe». «Qu'est-ce que je vais dire, les Martiens ?», lâche Kamel Eddine Fekhar, militant des droits humains, en parlant de la communauté voisine. Mais pour revenir aux «Chaâmba», ce qui agace les membres de cette communauté c'est d'abord le fait de l'impliquer à tort et à travers à la moindre mèche qui s'allume dans l'une ou l'autre des sept cités du M'zab. D'ailleurs, les Chaâmba de Ghardaïa, de Metlili et d'El-Ménéa sont montés au créneau, à travers la presse, pour affirmer qu'ils n'ont rien à voir avec ces événements. Sur le plan strictement ethnique, il est utile de souligner que les Chaâmba ne sont qu'une composante parmi plusieurs autres de la communauté dite «arabe» ayant élu domicile dans la Vallée du M'zab. Parmi les autres archs d'obédience malékite, il convient de citer les Béni-Merzoug, les M'dabih, les Mekhadma ou encore les Ouled Saïd et les Ouled Naïl.
CONFLIT (INTERCOMMUNAUTAIRE) Comme nous le disions, les derniers événements ont souvent été décrits comme des «affrontements intercommunautaires». D'autres ont parlé de «conflit confessionnel». Une lecture que récusent des membres influents des deux camps. «Il n'y a pas de ‘‘sirae madh'habi''» (conflit confessionnel) à Ghardaïa. Nous avons toujours vécu en bonne intelligence avec tout le monde, même les juifs et les chrétiens», martèle un ancien membre du Conseil des sages de Ghardaïa et dirigeant d'une association touristique à Béni-Isguen. Un jeune guide abonde dans le même sens : «L'un des mots-clés qui nous fait mal, c'est ‘‘harb taïfia'' (guerre confessionnelle) propagé par une certaine presse. Ce n'est pas vrai. C'est une mafia qui est derrière tout ça», s'indigne-t-il. Le secrétaire fédéral du FFS de Ghardaïa, Hammou Mesbah, ne dit pas autre chose : «Il faut arrêter de parler d'«Ibadites» et de Malékites», tonne-t-il. «Il ne faut plus jamais dire ‘‘Mozabite'' et ‘‘Arabe''. Il faut abolir cette terminologie. Cela fait des siècles que nous cohabitons ensemble, et il n'y a jamais eu de problème entre nous. Mais il y a des gens qui jouent sur cette partition, qui usent de ce langage, ‘‘malékite'', ‘‘ibadite'', ‘‘arabe'', ‘‘mozabite''. Nous refusons catégoriquement ces termes. Nous sommes tous des Algériens. Il y a des lois qui nous régissent. Il faut appliquer la loi pour tout le monde, au lieu de laisser les choses s'envenimer.» De leur côté, les Chaâmba et autres composantes de la communauté arabophone n'ont de cesse de clamer urbi et orbi qu'ils ont toujours vécu en parfaite harmonie avec leurs frères mozabites. Dans une tribune adressée à El Watan en date du 19 février 2013, Kouider Ouled Messaoud Koumar, un spécialiste de l'histoire des Chaâmba, originaire de Metlili, remettait en cause le traitement médiatique des conflits qui agitent la région. Sous le titre : «Eradication du tribalisme par la citoyenneté», il fournit de précieuses indications historiques à l'appui de sa plaidoirie. «Il n'y a pas et il n'y a presque jamais eu de conflit à proprement parler entre ce que l'on tente en vain de formaliser comme clivages Mozabites/Châambas», écrit-il. «Les racines de ces populations qui se sont installées dans cette région centrale du pays appelée La Chebka (…) sont presque issues des mêmes origines, Zénètes et Hilaliens dans l'ensemble. Lors de l'affirmation du rite Ibâdite dans la région de l'Oued Mzab (XIe siècle), les autres musulmans qui se sont accrochés à leur rite malékite se sont retirés en partie dans l'oued voisin de Metlili pour s'y installer et édifier leur propre ksar parallèlement aux ksour de l'Oued M'zab de l'époque et que sont El-Atteuf et Melika. Afin de mettre un terme à toutes formes de rivalités et de conflits éventuels, les deux groupes de populations (Ibadites et Malékites), ceux habitant l'Oued M'zab (Melika) et ceux habitant l'Oued Metlili (appelés à l'époque Brezga et par la suite Châamba), ont signé un premier traité en 1317 permettant l'échange et l'intégration de familles réciproques dans les deux ksour (Melika et Metlili). Une véritable civilisation commençait à se construire dans la région consolidée par un second traité établi entre les habitants des vallées de Metlili (…) et ceux des autres tribus Malekites occupant l'Oued M'zab et ses environs (manuscrit du XIVe siècle, daté de l'an 800 de l'hégire). C'est ainsi que le ksar principal de Ghardaïa a été édifié et a pu contenir et intégrer en son sein, dans une parfaite entente et concorde, une population mosaïque et variée, composée d'Ibadites, de Malékites, de juifs et de chrétiens par la suite, sans distinction ni discrimination. Une grande civilisation est apparue dans cette région, connue sous le nom de la Chebka, qui attirait et accueillait un grand flux de populations venant d'horizons divers en quête de quiétude et de sécurité».
DIALOGUE
Les appels au dialogue se multiplient pour tenter d'apaiser les tensions entre «les frères ennemis» à Ghardaïa. Même Bouteflika est sorti de son mutisme pour appeler les différentes parties au dialogue. A l'issue du Conseil des ministres de lundi dernier, le chef de l'Etat a souligné «la nécessité de faire prévaloir les valeurs de tolérance, de concorde et de dialogue que prône notre religion ainsi que les vertus séculaires de solidarité et d'unité qui constituent le fondement de notre société». En dépit de son état de santé sensiblement dégradé, le président de la République assure, via le communiqué du Conseil des ministres, qu'il «suit la situation avec une attention vigilante» et a instruit le gouvernement en vue «d'apporter les solutions appropriées auxquelles aspirent les citoyens de cette wilaya». De son côté, le gouvernement cherche à tout prix à maîtriser la situation. Messahel avait parlé dans un premier temps d'une «initiative Sellal» pour Ghardaïa sans plus d'explications. Les derniers jours, le Premier ministre a multiplié les contacts, recevant tour à tour les membres de la mission parlementaire du FFS sur les événements de Guerrara et Ghardaïa (le 31 décembre), puis 24 représentants (12 de chaque) des communautés mozabite et arabe (2 janvier). Le conclave a débouché, entre autres, sur la résolution de créer un conseil des sages mixte qui sera un «espace d'arbitrage et de conciliation» entre les deux communautés, rapporte l'APS. Le gouvernement a décidé, en outre, «la distribution équitable et équilibrée» de 30 000 lots de terrain destinés à l'auto-construction, à travers l'ensemble des communes de la wilaya. Abdelmalek Sellal a également donné instruction au ministère de la Solidarité nationale afin d'examiner les modalités d'assistance aux victimes des derniers événements, en particulier ceux dont les maisons et les magasins ont été touchés. Une enquête approfondie sera ouverte, indique-t-on, pour faire toute la lumière sur les troubles de Guerrara et de Ghardaïa. Il faut dire que ces démarches ne satisfont pas tout le monde tant la question de la représentation des différentes composantes de la population à Ghardaïa demeure problématique. Il semblerait même que l'initiative de Sellal aboutit à une impasse. Aux dernières nouvelles, une dizaine d'associations de quartier à Ghardaïa ont décidé de boycotter l'école, les élèves reprenant leurs cours ce dimanche, rapporte El Khabar dans son édition d'hier.
EXPLICATION
Il est toujours difficile de fournir une explication univoque et consensuelle d'un événement qui est, à la base, complexe. A chaque communauté sa version. Manichéisme et guerre des récits. Si l'on se limite uniquement à ce qui s'est passé ces derniers jours, deux explications nous ont été fournies à Ghardaïa. La première parle d'émeutes qui ont éclaté à l'origine pour protester contre le non-affichage d'une liste d'attribution de logements sociaux et de lots de terrain. Le mouvement dérape avec l'attaque de certains magasins appartenant à la communauté mozabite. Riposte des jeunes de l'autre communauté qui ne veulent plus se laisser faire. La situation dégénère avec le retard accusé par la police pour mettre fin aux agressions des fauteurs de troubles, «des barons de la drogue qui agissent en toute impunité», selon Hammou Mesbah. La version «arabe» impute, elle, l'origine des événements à une agression présumée contre un membre de la communauté arabophone issu de Haï El Moudjahidine. «Ils ont jeté un parpaing sur lui à partir d'une terrasse», soutient un jeune cagoulé du quartier Hadj Messaoud. A noter qu'un peu plus d'un mois avant ces incidents, la ville de Guerara (120 km au nord-est de Ghardaïa) avait connu des affrontements similaires suite à un match de football. Au-delà des explications «anecdotisantes» qui réduisent la trame et les drames du M' zab à des «micro-événements», il est clair que le mal est beaucoup plus profond et appelle une lecture sociologique et même pluridisciplinaire tenant compte de tous les intrants (anthropologiques, historiques, urbanistiques, démographiques, politiques) de la vie sociale dans le M'zab (Voir : Sociologie). FACEBOOK
Le conflit a trouvé un prolongement naturel sur les réseaux sociaux et cela donne plus de retentissement au clash. Les affrontements par commentaires interposés se révèlent autrement plus féroces sur la Toile. Des pages spécifiques consacrées à cette actualité peuplent les réseaux de partage et rendent, paradoxalement, la lecture des événements encore plus difficile. Les commentaires incendiaires le disputent aux images choc. C'est sur Facebook qu'ont circulé, en premier, les images et les vidéos dénonçant le parti pris de la police à Ghardaïa (voir : Police). On y déniche aussi de nombreux appels à manifestation, des appels à la grève, des tracts militants, des sigles nouveaux, des communiqués et contre-communiqués. Et comme le Net ne reconnaît pas de frontières, il dilate l'espace du conflit et l'étend à d'autres territoires. Des mouvements de solidarité sont annoncés dans les Aurès et en Kabylie. On apprend même, dans la foulée, qu'un rassemblement de soutien aux Mozabites sera organisé le 12 janvier prochain Place du Trocadéro, à Paris. Dans la «galaxie Zuckerberg», on trouve également de nombreux appels au calme et à l'union sacrée, avec, à la clé, toute une iconographie sur le thème de la fraternité arabo-mozabite. Toujours est-il que c'est la violence verbale, frisant le racisme, qui l'emporte, ce qui fait dire au chargé de com' de la wilaya : «Les jeunes de Facebook échappent à tout contrôle, ils n'écoutent personne. Houma elli ichaâlou f'ennar (Ils jettent de l'huile sur le feu)». Pour les autorités en tout cas, Facebook est le bouc émissaire idéal. Témoignage de Khodir Scouti, un ancien élu APW FFS (2007-2012) : «Dans l'une des dernières délibérations auxquelles j'ai assisté, certains responsables accablaient les jeunes qui revendiquent leurs droits en les qualifiant de ‘‘jemaâte el Facebook''». GRèVE
Même si le calme est revenu à Ghardaïa, il est une image qui témoigne des tensions qui persistent et qui risquent de perdurer : les centaines de commerces toujours fermés, en réponse à l'appel de l'Ugcaa. De fait, un communiqué placardé dans les rues du vieux marché daté du 25 décembre appelait les commerçants à observer une grève illimitée jusqu'à satisfaction de leurs revendications, à savoir : rétablissement de la sécurité dans la ville, poursuite et sanction des auteurs des actes de vandalisme qui ont pillé, saccagé, incendié plusieurs magasins, et indemnisation des commerçants victimes de ces violences. A noter que plusieurs d'entre eux ont dû vider leurs magasins et mettre leur marchandise à l'abri. La fermeture massive des commerces en signe de grève donne de Ghardaïa l'aspect d'une ville morte, surtout quand on sait que le vieux marché est le cœur battant de la ville. IBADISME C'est le rite dominant de la société mozabite, un rite largement méconnu, faut-il le souligner, au point de donner, parfois, lieu, à des interprétations erronées assimilant l'ibadisme à une secte hérétique. Il serait donc fort utile de préciser une fois pour toutes que l'ibadisme n'est qu'une branche de l'islam et ne diffère des autres écoles de la jurisprudence musulmane que sur des détails et guère sur le socle théologique de la religion musulmane. Né au premier siècle de l'islam, il est, de ce fait, antérieur aux autres «madhahib» (malékite, chaféite, hanafite et hanbalite). Son fondateur «biologique» est Abdullah Ibn Ibad Al-Tamimi à qui il doit son nom. Mais le véritable théoricien de cette école est Jaber Ibn-Zayd Al-Azdi, né en 711 à Nizwa (Oman), et qui s'établit ensuite à Al-Basra, en Irak. Outre l'Algérie, l'Ibadisme est pratiqué dans l'île de Djerba, en Tunisie, à Djebel Nafoussa en Libye ainsi qu'à Zanzibar (Tanzanie). Il est, en outre, le culte officiel du Sultanat d'Oman. Parmi les principes cardinaux de l'ibadisme : le califat ne se transmet pas sur une base héréditaire comme dans les empires omeyyade et abbâsside, mais sur le critère de la rectitude morale et de l'exemplarité du gouvernant, avec, à la clé, une approche élective et collégiale du pouvoir, ce qui fera dire à certains spécialistes que «l'ibadisme est la première démocratie de l'islam». Comment le rite ibadite s'est-il implanté au Maghreb ? A la fin du VIIe siècle, le général perse Abdourrahmane Ibnou Rostom, d'obédience Ibadite, traverse la Mer rouge et arrive jusqu'en Algérie où il fonde le royaume de Tihert (761). Sa dynastie (les Rostomides) durera jusqu'en 909. Les survivants de la dynastie fuient vers le désert. Ils s'établissent tout d'abord à l'Oued Mya, près de Ouargla, et fondent la cité de Sedrata. Dans un deuxième temps, et pour se mettre définitivement à l'abri des persécutions, ils trouveront asile dans la Vallée du M'zab (voir : Mozabites). MOZABITES
Les Béni-M'zab sont une population amazighe issue des Béni-Badine qui sont, eux-mêmes, une des ramifications des Zenata. Dans son ouvrage Aperçu sur l'histoire des Béni-M'zab (L'imprimerie arabe, Ghardaïa, 2011), Youcef Hadj Saïd écrit : «Les Béni-M'zab se sont fixés sur les rives de l'oued qui porte leur nom au VIIIe siècle. Les premiers peuplements de la vallée étaient nomades ou semi-nomades. La sédentarisation définitive des Béni-M'zab, les exigences d'ordre sécuritaire, l'afflux de nouveaux arrivants, ont fait naître trois villes : El Atteuf, créée en 1012, Bounoura en 1065 et Ghardaïa en 1085». A signaler que le nom berbère de Ghardaïa est «Taghardayet». En 1321, le ksar de Tafilelt donnera lieu à une quatrième cité mozabite : Béni-Isguen. En 1355, Mélika s'élève à Agherm Enwadday. «Ainsi est née la pentapole du M'zab». En 1631, une sixième ville sort de terre : Guerrara, suivie, en 1691, par Berriane. Pour ce qui est de la doctrine religieuse, il faut noter que les Mozabites n'ont pas toujours été Ibadites. Cheikh Tfyèche, célèbre érudit ibadite, cité par l'auteur, rapporte : «Les habitants de ces villages (mozabites) n'étaient pas au départ Ibadites ; non seulement ils étaient moutazilites, mais ils se rendaient à Tahert pour combattre les Ibadites». Youcef Hadj Saïd poursuit : «Présenter les Béni-M'zab comme étant les descendants des Rostomides ayant fui l'invasion chiite en 909 et s'étant réfugiés à Sédrata, près de Ouargla, d'où ils ont été encore chassés pour se rendre finalement au M'zab, est une erreur monumentale». Et d'ajouter : «Les Béni-M'zab se sont installés dans cette partie du désert depuis le VIIIe siècle au même moment de la création de l'imamat de Tahert. Ils n'ont pas attendu sa chute, encore moins la ruine de Sedrata pour peupler cette région, sachant que Sedrata a été dévastée d'abord en 1075, ensuite en 1229 et enfin en 1274». L'auteur souligne que le M'zab a, néanmoins, accueilli «des familles ibadites et parfois même des tribus entières venues des régions ayant appartenu à l'Etat rostomide disparu depuis des générations». Youcef Hadj Saïd affirme que «l'adhésion des Béni-M'zab à l'ibadisme n'a débuté qu'au XIe siècle, comme conséquence de la propagande faite par le Cheikh Mohammed Ibn Bakr, le fondateur de l'institution de la Halka (la halka des Azzaba, conseil religieux de 12 membres dominés par un Cheikh, ndlr), mort en 1050. Cette adhésion à l'Ibadisme a nécessité près de deux siècles pour se généraliser». NOTABLES
En arabe, «el aâyane». On entend souvent ces jours-ci parler de «Majliss al ayane» de Ghardaïa qui prend, décidément, une place prépondérante dans le dispositif de règlement de la crise. Par «notables», on entend généralement des personnalités locales jouissant d'une certaine autorité morale, et qui se prévalent soit d'une position sociale, soit d'une aura religieuse. D'ailleurs, on trouve toujours, parmi eux, des imams. Le pouvoir les met toujours en avant pour dire qu'il est à l'écoute de la population locale comme on l'a vu récemment avec la feuille de route lancée par Sellal. Problème : ces figures «pittoresques», toutes vénérables qu'elles soient, ne font pas l'unanimité, en particulier parmi les jeunes générations. Certains, à l'instar de Kamel Eddine Fekhar, estiment que les notabilités locales, «c'est du folklore», une «structure archaïque» sans aucune prise sur les réalités du terrain et ne cadrent pas avec les standards d'une société civile moderne. «Ils nous parlent de ‘‘aâyane qui se sont réunis, etc.'' Ils se moquent de nous !», assène le docteur Fekhar. «Ces notables n'ont aucune prérogative. Ils n'ont aucun pouvoir. Tout ça, c'est du folklore. Ils font partie de la justification de l'injustice qui sévit. Ces gens sont soit de vieux imams qui ne peuvent rien et qui voient l'Etat comme un ogre qui va les bouffer, soit de petits ‘‘smasra'' (courtiers), des ‘‘beznassia'' qui ont des intérêts à défendre» (Lire l'interview qu'il nous a accordée in El Watan du 31 décembre 2013). Kamel Eddine Fekhar dit n'avoir pas été contacté dans le cadre de l'initiative Sellal. Au demeurant, il décline, d'emblée, toute offre de dialogue, estimant que «c'est de la poudre aux yeux». Dans une lettre ouverte adressée à Bouteflika, il plaide pour une «réconciliation durable» conditionnée par des excuses officielles de la part de l'Etat et une commission d'enquête onusienne. POLICE
La police locale est accusée ouvertement d'avoir pris fait et cause avec la communauté arabophone de Ghardaïa. Plusieurs vidéos ont circulé dans ce sens sur le Net. La délégation parlementaire du FFS qui s'est rendue à Guerara ainsi que la LADDH ont dénoncé le comportement jugé «scandaleux» de la police durant ces événements. L'opposition locale en est venue à demander la tête du chef de sûreté de wilaya. A Guerrara, la police est accusée d'avoir pratiqué des actes de torture et des agressions sexuelles. La DGSN a démenti. Pour le chargé de com' de la wilaya, il s'agirait de «photo-montages». Toujours est-il que l'apaisement de la situation à Ghardaïa passe par l'établissement de la vérité sur l'attitude des CNS dans la gestion de ces événements. Plusieurs images montrent des membres des forces anti-émeutes complètement passifs, voire complices, devant des jeunes déchaînés en train de profaner des cimetières mozabites et des mausolées datant de plusieurs siècles et classés par l'Unesco. D'un autre côté, ces mêmes forces de sécurité font preuve d'une attitude répressive hystérique à la moindre manifestation des militants des droits de l'Homme ou des membres de la Coordination des chômeurs réclamant une répartition équitable des postes de travail dans les champs pétroliers et gaziers limitrophes (Hassi R'mel est à 100 km de Ghardaïa et Hassi Messaoud à 274 km). RUMEURS
Au nombre des causes évoquées avec insistance pour expliquer la flambée de violence qu'a connue la région, Dame Rumeur figure en bonne place. «Les rumeurs ont énormément contribué à envenimer la situation», lance Kacem Khellili, attaché de presse à la wilaya de Ghardaïa. Et il n'est pas le seul à le penser. Plusieurs habitants de la ville nous ont fait la même réflexion. Lors de notre passage à Ghardaïa, des rumeurs parlaient déjà de morts. L'intox battait son plein. Pour justifier l'attaque d'un magasin, un jeune nous dit : «Ce type-là avait une caméra vidéo et il filmait les filles qui se changeaient dans son arrière-boutique». Untel croit savoir que les membres de l'autre communauté «ont jeté le Coran dans les toilettes» (sic) ! D'autres affirment que tel personnage est manipulé par la France est qu'il veut déclencher un «printemps arabe» à Ghardaïa. Dernière rumeur en date : le wali de Ghardaïa aurait jeté le tablier, à en croire certains «facebookeurs». A vérifier… SOCIOLOGIE
Les dérèglements sociologiques, urbanistiques et culturels successifs infligés à la Vallée du M'zab expliquent, dans une large mesure, les tensions cycliques actuelles. Une analyse pertinente de Mohamed Mokhtari, un sociologue établi à Ghardaïa depuis une vingtaine d'années, permet de mieux saisir l'origine de ces tensions. Dans une interview accordée à El Watan suite aux affrontements qui avaient secoué Ghardaïa en mai 2013, le sociologue explique : «Le port d'attache des Chaâmba est Metlili. Cette implantation a coïncidé avec deux événements majeurs durant les années 1950. Les Chaâmba de Ghardaïa avaient un profil nomade de pasteurs, de transhumance. Ils ont fui la sécheresse. La guerre d'indépendance les a également incités à s'installer dans un grand centre urbain. Soulignons que les M'dabih, des Arabes aussi, sont depuis longtemps intégrés dans la communauté mozabite. (…) Les Chaâmba qui se sont installés à El Atteuf et à Melika il y a des siècles ont vécu dans les ksour. Ils sont dans le même schéma que les M'dabih. D'autre part, durant la guerre de Libération, les dromadaires des Chaâmba étaient considérés comme un moyen de transport d'armes qui servaient à la guerre de Libération. Les avions français tiraient systématiquement sur ces bêtes, tuant ainsi une partie des richesses de la population chaâmbie. Certains Chaâmba sont venus d'eux-mêmes. D'autres y ont été contraints par les autorités coloniales. Le but était de maîtriser des hommes chaâmba incontrôlables. Ils se sont donc installés sur des terrains vagues, en extra muros, et habitaient sous des tentes. De là, la distinction prenait forme, puisque visible quotidiennement. En face des tentes des Chaâmba, les Mozabites, des citadins, habitent des ksour érigés depuis des siècles. Donc, dès le départ, il y avait un problème de compréhension entre les deux communautés. Maintenant, il faut rappeler que la communauté mozabite est de vieille souche. Elle a ses codes, ses repères, son mode de vie particulier. Il est complexe à comprendre. La communauté est d'ailleurs difficile à intégrer. Les Arabes ignoraient les codes des Mozabites. Donc, ils constituaient une sorte de lumpenprolétariat. Avec l'avènement de l'indépendance, les choses ont commencé à changer. Beaucoup d'Arabes sont entrés dans l'administration, ils sont devenus enseignants dans des petites communes ; d'autres ont pu accéder à l'université. Des maisons ont été construites pour remplacer les tentes. Mais les incompréhensions ont persisté, excepté avec les M'dabih, qui ont vécu à Ghardaïa intra-muros. La libre entreprise est l'un des aspects du profil mozabite. C'est un héritage culturel. La communauté comprend beaucoup de petits entrepreneurs. Dans la philosophie des Mozabites, il faut créer à partir du néant. Ils ont développé une classe moyenne, à laquelle la plupart des Mozabites appartiennent. Pas de grands riches, pas de pauvreté à l'extrême. Ils savent ce qu'est le sens de l'épargne. Ce profil a créé des frustrations dans l'autre communauté. Ces frustrations s'accumulent. A un moment donné, elles ne cherchent qu'un prétexte pour s'extérioriser. La classe moyenne des Arabes est récente. Ils sont passés du lumpenprolétariat à ce niveau rapidement. Ce qui est une bonne chose. Ils ont des spécialistes, des architectes, des entrepreneurs de travaux publics. L'une des caractéristiques de la classe moyenne, c'est la recherche de la stabilité et de la paix. Une bonne partie des Chaâmba n'est pas arrivée au stade de classe moyenne. Donc, quand il y a une émeute, c'est l'occasion de dégager les frustrations. On ne peut pas la maîtriser. Mais en même temps, la classe moyenne des Chaâmba, soucieuse de stabilité, essaie de rappeler à l'ordre par la suite. Donc, je situe le problème intercommunautaire à partir des années 1950 et des frustrations qui se sont développées par la suite. La mafia du foncier existe dans toute l'Algérie. Mais, à Ghardaïa, il suffit d'un événement, comme un accident de la circulation, une rumeur, n'importe quoi pour que la ville plonge dans la violence». (Interview réalisée par Mehdi Bsikri in El Watan du 18 mai 2013). TOURISTES
Les touristes se sont faits sensiblement rares à Ghardaïa durant les fêtes de fin d'année alors qu'en pareille saison, les hôtels de la ville affichent complet. Un coup dur pour les commerçants et les artisans de la région pour qui cette période représente la haute saison. En parlant de tourisme, ce détail qui n'a pas manqué d'attirer notre attention : il s'agit de ce joyau architectural signé Pouillon, l'hôtel Le M'zab (ex-Rostomides). Cet établissement hôtelier de 150 chambres est fermé depuis… 1994. Il est resté toutes ces années inexploité et il vient d'être cédé à la chaîne El-Djazaïr. Il est quand même regrettable qu'un tel bijou soit resté aussi longtemps à l'abandon. Un détail qui résume toute l'ineptie de la gouvernance locale. VIOLENCE
Dans une tribune remarquable intitulée «Le M'zab en deuil : manifeste pour la paix», écrite dans le feu des déchirements fratricides de Ghardaïa et diffusée sur plusieurs sites (dont : www.lejeunemusulman.net), le professeur Brahim Benyoucef, éminent urbaniste et spécialiste en sciences sociales, auteur de nombreux ouvrages sur la région du M'zab, analyse le phénomène de la violence qui ravage la région en faisant un focus sur les lutte de pouvoir ayant pour enjeu la ville, devenue, dit-il, un «champ de tension sociale» : «En dépit des causes apparentes ou des événements déclencheurs très souvent liés aux compétitions sportives (match de football) ou aux compétitions politiques (élections), écrit-il, les enjeux fonciers et symboliques, la compétition pour l'accès à la ville et au pouvoir constituent les véritables enjeux à l'origine de ces affrontements. Ces guerres sont déclenchées tantôt pour cause d'enjeux fonciers (Ghardaïa 1985, Mélika 2009), tantôt pour cause d'enjeux symboliques, dont la nomination de lycée ou d'équipement (Guerrara 1988.) ou pour cause d'enjeux politiques (Berriane 1991). L'accès à la ville, l'accès à la mémoire de la ville et l'accès au pouvoir de la ville polarisent toute cette dynamique et font de la ville un champ de tensions et d'affrontement social, traduisant le niveau avancé du malaise social et des frustrations engendrées». Le Dr Benyoucef constate : «Loin de réussir la cohésion sociale attendue pour son épanouissement, la ville algérienne contemporaine évolue depuis quelques décennies au rythme de dynamiques d'exclusion, nourrissant les clivages et les dualités ethno-sociales. Les jeux de nationalisation abusive des biens des uns pour les octroyer à d'autres ; les manœuvres que déployaient les uns et les autres pour accéder à la ville, à travers l'accès au pouvoir, l'adhésion et le contrôle du parti unique ; la compétition sociale et politique par l'exclusion, ont transformé au fil des années nos villes en des théâtres de violence sociale». Et de faire remarquer : «Très vite le conflit revêt un caractère confessionnel ou ethnique pour l'intensifier et le rendre plus passionnel. (…) Ces frustrations engendrées par l'exclusion combinée à l'ignorance et à la pauvreté sont à l'origine de l'intensification de la violence et de l'accélération de son rythme. La société fragilisée succombe facilement au piège de l'instrumentalisation et de la manipulation et sombre vite sous le coup de la dogmatisation dans des conflits confessionnels». Le professeur diagnostique cinq raisons principales qui alimentent la violence urbaine, à savoir : 1)- La mauvaise gouvernance. 2)- Une jeunesse en plein désarroi (64% en âge d'activité de 15 à 59 ans), et «dont un grand pourcentage avait l'âge de 5 à 6 ans durant la décennie noire, nourri d'images de violence». 3)- Un taux de chômage qui s'élève à 10% en 2013 (22,4% pour la tranche des 16-24 ans) 4)- Une «idéologie meurtrière que sous-tend le discours haineux à caractère religieux (d'importation surtout). 5)- Accroissement depuis l'ouverture du marché, des milieux mafieux, qui n'hésitent pas à souffler sur la braise de la haine et des clivages pour créer diversion ou exercer une pression. 6)- Système éducatif en crise, déstabilisé continuellement par des refontes non adaptées et non expérimentées. Le professeur préconise, en guise de conclusion, des solutions à court terme, en l'occurrence : 1)- Des mécanismes juridiques préventifs, dissuasifs et punitifs (…) pour lutter contre toutes les formes de la violence, à sa base l'exclusion, le racisme et tout ce qui suscite la haine (y compris le discours haineux et surtout à caractère religieux). 2)- Des mécanismes sécuritaires pour défendre la loi et l'ordre public. 3- Mobilisation des écoles, des mosquées, des médias ainsi que l'élite religieuse et sociale pour dispenser une éducation à la non-violence. 4)- Développer la bonne gouvernance (équité, justice, transparence, responsabilité, réédition de comptes et imputabilité…) et promouvoir les conditions de la participation citoyenne.
ZAKARIA (MOUFDI) Tout le monde le sait : Qassaman, notre cher hymne national, est l'œuvre d'un Mozabite : Moufdi Zakaria, de son vrai nom Zekri Cheikh. Né en 1913 à Beni-Isguen. Mort en 1977, à Tunis. En exil…