Une visite dans un contexte particulier «Les convictions sont les ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges» Friedrich Nietzche (Humain trop humain) Il m'a été donné de visiter la wilaya de Ghardaïa et d'assister à la réunion avec la société civile à la wilaya de Ghardaïa, quelques éléments de réflexion à même de contribuer à une meilleure perception de la situation qui prévaut dans cette wilaya. Cette contribution a pour ambition de se focaliser sur le «conflit» d'affrontements communautaires entre Mozabites et Chaâmbi. Ces pseudo-conflits ont une tonalité particulière et curieusement indexés sur des échéances politiques économiques ou politiques, voire même géostratégiques si on tient compte des «printemps arabes». La presse qui, en l'occurrence, n'a pas fait suffisamment de sang-froid a été amenée peut- être à son corps défendant à donner une image de chaos loin de la réalité. Ce qu' il y a de remarquable est que cette focalisation et exagération d'événements qui ont eu lieu ont été dénoncées à la fois par la communauté ibadite et la communauté sunnite. Dans cette note, nous allons tenter de décrire l'histoire de ces communautés, leur longue proximité, notamment pendant les périodes ottomane et coloniale. Les Algériens habitant le M'zab de rite ibadite Les Mozabites sont un groupe ethnique berbère vivant principalement dans la région du M'zab en Algérie et les grandes villes algériennes. La plupart sont ibadites et parlent une variante mozabite du tamazight. Initialement, les tribus berbères étaient implantées dans la région dont les Lemaïa, les Luwata, les Houara, les Zouagha, les Matmata, les Meknassa et les Nefzaoua. Mais après les guerres du Moyen Âge, le M'Zab fut dominé par la tribu des Lemaïa. Les Bani Izguen (d'origine berbère) aussi habitent la région. En 972, les populations des Azzaba, qui faisaient partie des Rostémides, se réfugient au sud puisque les Zirides (chiites) les traquent. Les Zirides prennent Tiaret et une partie de Chlef. L'Imam Yacoub (membre des Rostomides) se réfugie dans la vallée du Ouad Mia à Ouargla. L'Imam Yacoub fonde plusieurs ksars entre Krima, Sedrata et la montagne Ibad. L'Imam Yacoub quitte la région de Ouargla avec ses membres et se dirige vers la région du M'Zab qui était habitée par les tribus des Nefzaouas venues de Libye et ils sont majoritaires et pratiquent l'ibadisme. Au XIIIe siècle, les Berbères ibadites se rassembleront dans la région du M'Zab. Tous les réfugiés venaient de Tiaret, du Djbel Amour, etc. D'autres sont venus de Djerba en Tunisie, pour des raisons inconnues à nos jours, dans la région du M'Zab. Depuis le XVIIIe siècle, le rôle de la région comme carrefour commercial caravanier de l'Afrique saharienne s'est affirmé autour de produits tels que les dattes, le sel, l'ivoire, les armes, mais aussi les esclaves. En 1853, la Fédération des Sept cités du M'Zab signe un traité avec la France, le texte garantit une autonomie à la région. Mais les incursions répétées de nomades poussent la France à annexer le territoire en 1882. Pendant la Guerre d'Algérie, les Mozabites adhèrent au mouvement du MNA de Messali Hadj. Par la suite, le FLN contrôle la région sous l'autorité du colonel Mohamed Chabani. Du point de vue société, c'est le conseil des sages qui prend, après consultation, toutes les décisions des citoyens selon des règles. La célébration des mariages se fait selon un rite unique au Monde. La coutume veut que les mariages se fassent en groupe. Une journée de l'année est proclamée pour cette célébration. Après la dernière prière d'El Icha, plusieurs activités traditionnelles et culturelles sont présentes, la musique, le théâtre, la poésie, les chants religieux, etc.» (1) Ghardaïa tire son nom du mot amazigh tagherdayt. Sa date de fondation est 1048 ou 1053. C'est une cité (Aãerm) de type ksourien. Le toponyme serait depuis toujours prononcé «Taãerdayt». Selon une hypothèse solide à laquelle est parvenu H. Dabouz, le toponyme Taãerdayt, signifiant «cuvette/dépression». Ce qui va en harmonie avec la topographie et le sens de «cuvette/dépression». La Pentapole désigne les cinq villes de la vallée du M'Zab, El Atteuf, Ghardaïa, Beni Izguen, Bou Noura et Melika, définitivement ancrées dans le paysage depuis le XIVe siècle. Au XVIIe siècle, sont construites les villes de Berriane et de Guerrara, plus au nord. Les Algériens d'origine chaâmba Populations arabophones établies dans la vallées du M'Zab. Elles pratiquent l'Islam sunnite de rite malékite. Les Arabes chaâmba sont d'origine nomade et pratiquaient jusqu'à une époque récente l'élevage. Ils ont toujours cohabité en parfaite symbiose avec les Mozabites berbérophones. Citons Metlili, située à 42 km au sud-ouest du chef-lieu de la wilaya, qui est un ancien ksar. Metlili a été fondée par Tamer et Trif vers le XIIe siècle et est habitée par les Chaâmba, descendants des Beni-Souleim Ben Mansour de Médine, qui sont un ensemble de tribus parmi lesquelles se trouvent les Ouled Allouche, et Ouled Abdelkader, les Chorfa, les Almorabitine, les Zouas, les Beni Merzoug ou les Beni Brahim. La commune de Metlili est créée le 25 mars 1958. Metlili-Chaâmba est connue aussi pour ses dattes Deglet nour de renommée mondiale. Chaque année au printemps est célébrée la fête du Mehri (dromadaire destiné à la course). Les populations étaient composées des Béni Mozab, d'origine du nord d'Algérie et Tunisie de la tibu Béni Zénète. Des Chaâmba d'origine malienne de la tribu des Béni Hamyanne et d'autres tribus venues de diverses régions du Centre, du Nord et du Sud. Ces populations ont des modes de vie différents et se complètent en matière économique. Les habitants de la vallée étaient des agriculteurs et artisans; par contre, les Chaâmba étaient des éleveurs. Les populations de la vallée du M'Zab étaient sédentaires; par contre, les Chaâmba étaient nomades et ne séjournaient à Metlili qu'en période estivale. (2) Voilà pour l'histoire. De l'avis des sages à Ghardaïa, la presse n'a pas rapporté les faits avec toute l'objectivité nécessaire en pareil cas dans une situation aussi délicate. Sans vouloir prétendre donner des leçons ou dicter la norme en matière d'information, le désir de bien faire en informant a, qu'on le veuille ou non, contribué à encore plus à exacerber les tensions. Les émeutes telles que rapportées par la presse Quand on rapporte que Ghardaïa est encore sous le joug d'affrontements communautaires. Rien ne va plus entre Mozabites et Chaâmbi dans cette ville du sud de l'Algérie, où les tensions entre les deux communautés sont encore allées loin. Si les actes de vandalisme sont là, il ne faut pas de mon point de vue «tirer sur des ambulances» et prendre tout prétexte pour faire croire que le Sud est à feu et à sang. Quelles que soient nos sensibilités politiques, nous n'avons pas le droit de jouer avec le feu. En fait, s'il ne faut pas nier ces échauffourées il faut les situer dans une problématique plus large qui est celle du chômage, des conditions de vie. «Les raisons profondes de ces confrontations à répétition sont avant tout sociétales et économiques.» On apprend qu'à l'issue d'une réunion extraordinaire de l'ensemble des sages de la vallée du M'Zab, ces derniers invitent l'ensemble des habitants de Ghardaïa à faire preuve d'une «extrême vigilance» et à faire face à «toutes tentatives et actes de nature à menacer la cohésion sociale, la sécurité et la stabilité de la région». Déplorant ces actes de vandalisme, ils en appellent au «sens de tolérance» et de «responsabilité» de tous pour que «cessent les dérives sur les voies publiques et les provocations». Par ailleurs, ils considèrent, la plupart des publications sur ces «malheureux» événements, dans certains titres de presse, comme des «pratiques irresponsables» n'ayant «aucun lien avec le travail journalistique noble». Pour eux, la couverture médiatique de ces événements est un «précédent dangereux», une «apologie» et une «incitation à la division visant la déstabilisation de la région et, par là même, du pays en essayant d'induire en erreur sa jeunesse, est-il souligné dans le document». Tout en dénonçant la «manipulation» de ces événements par des parties à des fins obscures, sans les citer, les sages et représentants de la population de Ghardaïa ont dit joindre leur voix à la majorité des habitants du M'Zab dans toute sa diversité culturelle et sociologique et aux forces éprises de paix et de concorde pour «éradiquer la haine et la discorde dans cette région jadis havre de tolérance». Ils ont aussi salué les efforts et les sacrifices que ne cessent de consentir les pouvoirs publics, les services de sécurité et les comités de quartiers afin de préserver la stabilité de la région et consolider les liens fraternels entre ses habitants. L'histoire du vivre-ensemble de ces deux communautés De l'analyse des réactions des habitants de la ville, il vient que les médias d'une façon maladroite ou délibérée ont tenté d'allumer en vain une mèche. Au-delà de la nécessité de faire leur métier, il existe pour les journalistes une règle d'airain non écrite qui est de protéger son pays. Des réflexions sur l'indépendance de la presse bien qu'utopiques sont tout à fait recevables. L'analyse suivante permet de se rendre compte de la dimension de la manipulation des médias du fait de la méconnaissance de l'histoire. Kouider Oulad Messaoud Koumar mettant en cause le traitement médiatique orienté et en tout cas qui ne contribue pas à l'apaisement, écrit dans une réponse à un journal: «(...). C'est ce genre de traitements médiatiques qui risquent plutôt d'alimenter les tensions surtout en ces moments sensibles où l'Algérie se trouve cernée de toute part et où chaque partie et parti tentent d'exploiter la moindre faille pour enfoncer sa lame afin de provoquer sa destruction.» (...)Ces populations doivent impérativement être associées au véritable pouvoir de décision et de gestion des affaires du pays. Il est grand temps que le voile des suspicions qui pèse sur elles soit définitivement levé. Aujourd'hui, la mobilisation autour d'authentiques valeurs d'une véritable citoyenneté est plus qu'attendue, car l'enjeu est gigantesque, dès lors qu'il s'agit du sort de la nation, menacée dans sa propre existence. Pour revenir au sujet du pseudo conflit tribal, il est utile de rappeler ce qui suit.» (3) «Il n'y a pas et il n'y a presque jamais eu de conflit à proprement parler entre ce que l'on tente en vain de formaliser comme clivages Mozabites/Chaâmba. Les racines de ces populations qui se sont installées dans cette région centrale du pays appelée La Chebka (véritable filet naturel tissé par un ensemble d'oueds et de vallons), selon sa configuration géographique particulière formée de plusieurs lits d'oueds et de vallées, sont presque issues des mêmes origines, Zénètes et Hilaliens dans l'ensemble. (...) Afin de mettre un terme à toutes formes de rivalités et de conflits éventuels, les deux groupes de populations (Ibadites et Malékites), ceux habitant l'Oued M'Zab (Melika) et ceux habitant l'oued Metlili appelés à l'époque Brezga et par la suite Châamba, ont signé un premier traité (en 1317) permettant l'échange et l'intégration de familles réciproques dans les deux ksour (Melika, Metlili).» (3) Remontant dans l'histoire, Kouider Oulad Messaoud ajoute: «Une véritable civilisation commençait à se construire dans la région consolidée par un second traité établi entre les habitants des vallées de Metlili et ceux des autres tribus malekites occupant l'Oued M'Zab et ses environs (manuscrit du XIVe siècle, daté de l'an 800 de l'Hégire). C'est ainsi que le ksar principal de Ghardaïa a été édifié et a pu contenir et intégrer en son sein, dans une parfaite entente et concorde une population mosaïque et variée, composée d'ibadites, de malékites, de juifs et de chrétiens par la suite, sans distinction ni discrimination. Une grande civilisation est apparue dans cette région, connue sous le nom de la Chebka, qui attirait et accueillait un grand flux de populations venant d'horizons divers en quête de quiétude et de sécurité. Les caravanes commerciales ibadites atteignirent Alger en toute sécurité, escortées et appuyées par les Châamba depuis des siècles. Le congrès ibadite de 1642 tenu à Alger a confirmé l'intégration des Malékites (Châamba) dans leurs assises. Cette entente et cette harmonie entre les communautés ont pu être concrétisées grâce à l'application des valeurs authentiques de la «Citoyenneté» issues des préceptes de notre religion (...)»(3) Le danger des certitudes L'aphorisme de Nietzche cité plus haut et d'une brûlante actualité est là pour nous convaincre qu'il nous faut nous méfier de nous-mêmes avant de se méfier des autres. Les certitudes, que l'on veut autoréalisatrices sont néfastes pour la dignité professionnelle du journaliste qui devrait, non seulement s'en tenir aux faits. Suis-je prêt, écrit Edwy Plenel, à accepter des faits qui dérangent mes convictions, des réalités qui bousculent mes préjugés Des révélations qui ébranlent mes certitudes? Des informations qui contredisent mes croyances? Spontanément répond Edwy Plenel, «non» est la seule réponse sincère.»(4) Appelant à la rescousse Hannah Arendt, il écrit: «Hannah Arendt distingue deux types de vérités, les vérités de raisons et les vérités de faits. S'agissant des vérités de raisons, elles peuvent être aussi bien déraisonnables que pertinentes, spéculatives ou déductives (...) pour la philosophe, un monde où ne régneraient plus que ces vérités- là ne seraient pas un monde commun, chacun campant sur ses certitudes. Les miennes contre les tiennes, ma conviction contre ton opinion, ma croyance contre ton préjugé, mon appartenance contre ton identité, ma religion contre ta communauté, mon histoire contre ta communauté... Cet engrenage nous dit Arendt, serait la guerre de tous contre tous et la fin de tous espoir d'un monde commun.» (4) Comment consacrer le vivre-ensemble? Qu'on prenne garde! Personne ne laissera tranquille un pays de 2, 4 millions de km2, le premier en surface de l'Afrique, le premier pays en termes de réserves d'hydrocarbures s'il n'y a pas de cohésion sociale. Justement, au-delà des engagements en faveur de la wilaya, le discours du Premier ministre en face de la société civile s'est focalisé plusieurs fois sur l'unité, la nécessité du vivre-ensemble en prenant l'exemple de cette convivialité qui remonte au temps où déjà les caravanes mozabites qui montaient vers le Nord étaient sécurisées par leurs cohabitants de la vallée du M'Zab. Il a aussi assuré d'exemple de convivialité à suivre. On sait que l'école, le lycée, l'université, l'armée par leur dynamique de brassage sont de puissants creusets de l'identité, qu'il nous faut mobiliser. J'ai eu beaucoup de plaisir en entendant les citoyens de la ville qui, tour à tour, ont appelé au vivre-ensemble. C'était vraiment exceptionnel que d'entendre du fin fond de l'Algérie ces voix justes, sans m'as-tu vu, sans animosité, nous parler sereinement de destin commun, d'apprentissage de la citoyenneté prouvant par-là que le fond rocheux des Algériens est un fond d'empathie de désir d'être ensemble pour constituer une nation. Les tentatives de fitna n'ont pas d'avenir. 1. Les Mozabites: Encyclopédie Wikipédia 2. Les Chamba: Encyclopédie Wikipédia 3. Kouider Oulad Messaoud 19 février 2013. http://www.algerieinfos-saoudi.com/article-mozabites-chaambas-le-traitement-mediatique-alimente-les-tensions-115488236.html 4. Edwy Plenel: Le droit de savoir. p.112. Editions Don Quichotte 2013