Longtemps dévalorisée, parent pauvre de l'investissement, l'agriculture familiale peut-elle contribuer à relever le défi de la sécurité alimentaire dans les pays de la Méditerranée ? La question a été posée le 27 février dernier au salon de l'agriculture de Paris, lors d'une conférence organisée par l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen. À la tribune, économistes et responsables d'institutions internationales ont dressé un portrait sans fard d'un secteur qui occupe une place dominante au Maghreb. Mohamed Elloumi, agro-économiste à l'Institut national de recherche agronomique de Tunis, s'est livré à un exercice d'analyse critique de la politique agricole des pays du Maghreb en s'appuyant sur l'exemple de la Tunisie. Quant à savoir si l'agriculture familiale est à même de relever le défi alimentaire, il a répondu par l'affirmative. Avec quelques conditions. La discussion a pris un tour polémique lors de l'intervention de Hassan Abderrazik, économiste et ancien secrétaire général du ministère de l'agriculture du Maroc, qui s'est attaqué à la question du dumping sociale provoqué par la politique agricole commune (PAC). En subventionnant fortement les exportations agricoles, l'Europe a déversé sur les pays du sud des tonnes de denrées alimentaires artificiellement moins chères que les productions locales. Résultat, les agriculteurs du sud se sont retrouvés contraints de baisser leur prix ou d'abandonner leur métier. L'erreur des dirigeants africains a été de ne pas taxer assez fortement ces importations, explique l'économiste. Cela aurait eu deux intérêts : réduire voire inverser l'écart de prix entre les importations subventionnées et la production locale d'une part, mais surtout financer la modernisation de l'agriculture de leurs pays.
Il préconise de ne pas avoir une vision naïve de la politique de voisinage menée par l'Union Européenne. Ce à quoi n'a pas manqué de réagir Pierre Bascou, chargé de l'analyse de la PAC au sein de la Direction de l'agriculture et du développement rural de la Commission européenne. Le représentant de Bruxelles considére que la PAC est un instrument intra-européen et a préféré insister sur les similitudes qu'il voit entre la situation des pays d'Afrique du Nord et ceux d'Europe de l'est. Les décideurs de nos pays pourraient profiter de l'expérience européenne, selon lui. La restructuration des outils de production, le développement d'emplois complémentaires, l'accès aux services (eau, électricité, écoles), pour continuer à exister l'agriculture familiale doit être prise en charge dans des politiques publiques qui englobe l'ensemble du monde rural. Même si pour plusieurs experts présents, c'est une évidence, la part de la population rurale est amenée à diminuer. Les politiques doivent accompagner ce mouvement. C'est l'avis de Hassan Abderrazik. Coordinateur de l'Afrique du nord pour la FAO, Benoit Horemans s'est montré lui aussi confiant sur la possibilité d'une complémentarité entre l'Europe et les pays du Maghreb. « Il y a une place réelle à de la coopération, avance-t-il. Avec l'accord des gouvernants de la région, nous souhaitons concentrer notre action sur l'analyse des filières porteuses et l'identification de gain de valeur ajoutée, ainsi que l'emploi des femmes et des jeunes. » Il a également lancer un appel aux chercheurs regrettant que l'absence de données et de travaux académiques empêche la formulation de recommandation sur les politiques à mener. Mais c'est surtout la question du morcellement des terres qui le préoccupe. Avec une taille moyenne de deux hectares, la rentabilité est difficile à atteindre. Cet émiettement des surfaces agricoles s'explique par le flou qui entoure les successions. On arrive ainsi à des cas critiques comme en Tunisie où la moitié des exploitants déclarés ont plus de 60 ans. In fine, les premiers concernés, les paysans, sont encore peu consultés sur les politiques à mener. Dans la salle, un agriculteur marocain lance cet appel: « Aidez-nous, mais soyez à notre écoute. » En écho, le directeur de l'Institut Agronomique de Montpellier, Pascal Bergeret, habitué à échanger avec les hauts fonctionnaires des ministères de l'agriculture des pays de la Méditerranée, dit: « On en est très loin encore mais cette idée fait son chemin. »