A Alger, mais aussi dans de nombreuses grandes villes du pays, le cours de l'euro, principale monnaie échangée, a atteint les 153 DA, voire 155 DA en fin du mois dernier. Rencontrés sur les lieux, les cambistes, proposant de la devise à la rue de la Liberté, au square Port-Saïd, nous ont affirmé que «l'achat de l'euro est à 151 DA (15,10) et la vente à 153 (15,30)». Sur cette placette, réputée de la capitale, la demande sur cette devise ne cesse de progresser. Les quelques «courtiers» interrogés nous le confirment, mais ne donnent pas la même explication. Pour certains, il s'agit là d'un fait «tout à fait habituel», en ce sens que le cours de la devise, aussi bien officiel que parallèle, «peut connaître à n'importe quel moment des fluctuations, à la baisse comme à la hausse, sans qu'on puisse réellement déterminer les causes». Mais pour d'autres cambistes, se disant connaisseurs du marché, l'actuelle demande sur l'euro peut avoir un lien direct avec la situation générale du pays et les «incertitudes», voire les «craintes» que ressentent beaucoup de personnes quant à l'avenir proche. Kamel, un jeune habitué des lieux, affirme que «les détenteurs de grandes sommes d'argent en dinars préfèrent, dans des conditions pareilles, se prémunir contre tout retournement de situation en achetant de la devise pour la transférer, illégalement bien sûr, à l'étranger». Et d'ajouter : «J'ai moi-même vendu à des clients des sommes faramineuses, tout en m'interrogeant à quoi serviront-elles. Mais j'ai fini par comprendre qu'il ne s'agit là que de transfert illicite.» A la question de savoir quel est le profil de sa clientèle, le même cambiste ne donnera aucune précision. Mais, selon lui, le marché informel n'est jamais resté insensible face aux différentes conjonctures prévalant dans le pays. «La situation que nous traversons inquiète bon nombre de personnes, et il est tout à fait normal que des gens, les plus fortunés surtout, aient peur de perdre leur argent si les choses tournent mal», nous affirme-t-il. Une explication, certes, plausible, mais qui n'est pas partagée par l'ensemble des «courtiers informels» fréquentant la place. Forte demande en euros Aux yeux d'un autre cambiste abordé, la monnaie européenne est de plus en plus prisée ces derniers temps pour la simple raison que les quantités sont de moins en moins disponibles. «Nos émigrés, touchés par la crise en Europe, ne transfèrent plus de grandes sommes, chose qui s'est répercutée sur la disponibilité de l'euro sur le marché parallèle», nous explique-t-on. Dans un pareil cas, «certains milieux influent indirectement sur le marché et font grimper le prix de l'euro pour inciter ceux qui en détiennent ici à le faire sortir sur le marché», nous assure-t-on encore. L'algérie, 3e pays au monde à pratiquer le change parallèle Une autre explication nous est aussi fournie par des jeunes cambistes qui pensent que la flambée de l'euro n'a de lien ni avec la situation politique du pays ni avec la disponibilité de cette monnaie sur le marché. Selon eux, une forte demande est effectivement constatée depuis quelque temps sur l'euro pour la simple raison que l'activité commerciale et «les affaires» ont repris quelque peu et «les importateurs de tous genres viennent ici s'alimenter en grandes quantités de devises». Et c'est principalement cette catégorie «d'hommes d'affaires qui est à l'origine des transferts illicites de la devise, mais aussi de sa flambée sur le marché», nous garantit-on. Il convient de rappeler à ce propos que le dernier rapport de l'institut nord-américain Global Finance Integrity (GFI) place l'Algérie au troisième rang africain des pays affectés par ces pratiques, derrière l'Egypte et le Nigeria. Le GFI affirme en effet que «les surfacturations en matière d'importation sont estimées pour l'Algérie à environ 4,4 milliards de dollars au cours de la période 2000-2009». Il s'agit d'une pratique qui permet à ces importateurs de faire sortir de la devise en toute quiétude, mais au détriment de l'économie nationale.